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Back Side, quand la mode nous tourne le dos

Il y a deux semaines, les plus grandes maisons de mode présentaient leurs collections Haute Couture Automne/hiver 2020. Furent donc diffusées les nombreuses photographies des défilés, qui toutes présentent un point commun : prises de face, le dos n'est jamais visible. C'est précisément ce dos toujours caché qui est mis à l'honneur dans l'exposition hors-les-murs du Palais Galliera au Musée Bourdelle : Back Side / Dos à la mode.


Mireille Darc dans Le Grand Blond avec une chaussure noire, 1972 © IMDB

Dès l'entrée de l'exposition, au milieu des méandres de l'ancien atelier du sculpteur Antoine Bourdelle, le décor est planté : le visiteur est amené à traverser un couloir tapissé de photos des défilés de prêt-à-porter féminin printemps-été 2019. L'objectif est bien évidemment de dénoncer l'absence totale de prises de vue de l'arrière des vêtements, pourtant élément central de la construction de ceux-ci. Et c'est là qu'est tout l’intérêt de l'exposition: démontrer l'importance de ce dos, à travers des pièces allant du XVIIIe siècle à nos jours. Comme pour appuyer cette intention de manière puissante, la première pièce que l'on croise, isolée au détour d'un escalier sombre, est la robe iconique de Guy Laroche portée par Mireille Darc dans Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972), dont le décolleté plongeant jusqu'au bas du dos fut qualifié par beaucoup de "visionnaire".


Robe du soir de Christian Lacroix pour Jean Patou, collection automne-hiver 1986-1987 © Coupe-File Art

Pas question ici d'une présentation chronologique classique ; l'espace est savamment séparé en sections illustrant des thématiques variées touchant à la construction du dos des vêtements. Les plus anciens côtoient ceux des plus grands créateurs du siècle dernier, et des pièces n'ayant à première vue aucuns liens entre elles sont ici associées pour illustrer un même sujet. Ainsi, une longue traîne d'une robe aristocratique datant des années 1880 observe son héritage dans les créations plus récentes de Yohji Yamamoto, Balenciaga ou encore Jean-Paul Gaultier. Les faux-culs de la fin du XIXe siècle, participant activement à la construction des apparences, trouvent un écho dans une robe du soir de Christian Lacroix pour Jean Patou de 1986, et les queue-de-pies dans une jaquette d'Azzedine Alaïa de 2003. Le dos inspire et transcende véritablement les époques.


Place également à la créativité, avec la réinterprétation de la charge que peut porter notre dos au quotidien par les couturiers contemporains, qui n'hésitent pas à greffer sacs ou même un deuxième corps sur leurs créations. Cette observation de la fonction de l'arrière du corps et du vêtement se fait aussi au travers d'une section dédiée à l'entrave, ou quand les attaches présentes dans le dos amènent contrainte et perte d'autonomie. En témoignent un corset du XIXe siècle, symbole même de la femme dépendante pour s'habiller, mais également - plus surprenant - des camisoles de force datant du tout début du XXe siècle. La plus grande salle de l'exposition - et également la plus fournie - est donc la bienvenue, étant consacrée à l'émancipation du dos nu après la Première Guerre mondiale.


Enfin, il y a le dos que l'on ne voit pas, et celui destiné à être vu ; l'exposition aborde les gilets des habits à la française du XVIIIe siècle, dont le devant était fait d'une matière précieuse, souvent richement brodé, tandis que l'arrière, caché par la veste, était réalisé dans une simple toile de lin, par mesure d'économie. 200 ans plus tard, les symboles investissent le dos dans un but de revendication, de publicité ou de marqueur d'identité ; marques, crédos de contre-cultures ou encore le nom de joueurs de foot envahissent le champs de vision de qui se trouverait derrière le porteur du vêtement.

© Coupe-File Art

Mais la force de cette exposition, qui avait d'abord été présentée au Musée de la Mode et de la Dentelle de Bruxelles sous le nom de Back Side, Fashion From Behind, réside également dans le lieu dans lequel elle prend place. Elle ne se contente pas d'investir le Musée Bourdelle de manière superficielle comme une substitution à ses propres locaux, mais s'imprègne de son ambiance et respecte son âme. Ainsi, des sculptures d'Antoine Bourdelle viennent appuyer les thématiques au milieu des vêtements ; arrières de sculptures en bronze évidés sont aux côtés des dos en toile des gilets XVIIIe et la Première Victoire d'Hannibal (1885) se fond avec les ailes de la robe de la collection "l'Hiver des Anges" de Thierry Mugler. Mais si les œuvres de Bourdelle viennent se glisser dans la présentation du Palais Galliera, le contraire est également vrai ; certaines pièces, dont la robe prêt-à-porter  de Martine Sitbon, tête d'affiche de l'exposition, sont placées en dehors des locaux dédiés à l'exposition pour investir les pièces du musée et se glisser parmi les œuvres phares de l'artiste, sans les déranger.


C'est donc une exposition mûrement réfléchie, variée et polyvalente que nous offre en cette fin d'année le Palais Galliera. Dans une scénographie simple mais parfaitement travaillée, le visiteur (re)découvre un autre aspect de la mode trop souvent laissé de côté. Le dos inspire, contraint, innove, façonne la silhouette ou l'identité, un personnage. L'occasion de venir observer des vêtements anciens et ceux des plus grands créateurs comme il est rarement possible de le faire, tout en déambulant dans un lieu riche d'histoire.


Raphaëlle Agimont

 

Back Side / Dos à la mode

Musée Bourdelle

du 5 juillet au 15 novembre 2019

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18 Rue Antoine Bourdelle

75015 Paris

Métro Pasteur (6,12), Falguière (12), Duroc (10) ou Montparnasse-Bienvenüe (4,6,12,13)

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