Le Domaine de Chantilly présente, jusqu’au 3 janvier 2021, une exposition consacrée à la course à l’or blanc au XVIIIe siècle, la précieuse porcelaine, en évoquant les productions des manufactures de Meissen et de Chantilly. Créées respectivement en 1710 et 1730, ces deux institutions sont issues de la volonté de deux grands collectionneurs atteints de la même « maladie de porcelaine » : Auguste le Fort, Prince-électeur de Saxe, et Louis-Henri de Bourbon-Condé, Prince de Condé.
Dans les Grands Appartements du château de Chantilly, une centaine d’animaux et de personnages ventripotents d’inspiration bouddhique, aux positions et grimaces parfois surprenantes, peuplent les meubles d’époque et autres mobiliers dessinés par l’architecte américain Peter Marino pour l’occasion. Ne vous y trompez pas, cette drôle de population est entièrement de porcelaine, tantôt en provenance de Meissen, tantôt de Chantilly. Le XVIIIe siècle voit s’accélérer l’engouement pour la porcelaine, à tel point que l’on a pu parler de « course à l’or blanc ». Deux collectionneurs, deux grands princes, y ont grandement contribué : Auguste Le Fort et Louis-Henri de Bourbon-Condé. Le premier fonde en 1710 à Dresde une grande manufacture, la première à produire de la porcelaine à pâte dure hors de Chine et du Japon, bientôt déplacée à Meissen. Le second, dans une volonté de concurrencer sa voisine allemande, fonde quant à lui une manufacture de porcelaine à pâte tendre à Chantilly. En effet, le kaolin, nécessaire à la confection de porcelaine à pâte dure, n’est découvert en France qu’en 1768.
Le goût de ces deux grands mécènes, teinté de Chine et de Japon déjà irrigue les productions de Meissen et de Chantilly. De fait, le XVIIIe siècle se passionne pour les sujets, bien souvent fantasmés, d’Extrême-Orient. Le motif du singe connait ainsi un fort succès dans le domaine de la peinture et des arts décoratifs. Singes riant ou encore dansant investissent en « singeries » les intérieurs palatiaux. Louis-Henri de Bourbon-Condé commande dans les années 1730 à Christophe Huet les Grande et Petite singeries pour son château de Chantilly. Et c’est l’une des réussites de l’exposition : la présentation de singes de porcelaine en provenance des manufactures de Meissen et Chantilly dans la Grande Singerie peinte par Huet en 1737. La scénographie extravagante, évoquant des branches dorées, magnifie l'ensemble.
L’on y découvre également des pièces en provenance directe de Chine, d’une grande préciosité et rareté. C’est le cas d'une discrète théière prenant la forme d’un petit singe jaune en porcelaine dure, tout droit sortie des fours de Jingdezhen et datée vers 1690-1720 (Dynastie Qing, ère du grand empereur Kangxi). Il faut garder en mémoire que Auguste le Fort et Louis-Henri de Bourbon Condé sont avant tout de grands collectionneurs de porcelaines asiatiques, qui inondent alors le marché européen notamment grâce aux importations de la Compagnies hollandaise des Indes orientales (la fameuse VOC). Auguste le Fort possédait une collection de quelques 20 000 pièces de porcelaines chinoises et japonaises des plus qualitatives. Ces importations ne sont cependant pas nouvelles ; dès la fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle sont importées en masse des porcelaines venues de Chine et du Japon, parfois réalisées spécifiquement pour les Européens, la kraak porcelain. Et très vite, on cherche à imiter ces motifs au parfum d’exotisme.
La manufacture de Chantilly, dès sa création en 1730 et jusqu’au milieu du siècle, se fait une spécialité des porcelaines à l’imitation du Japon, adoptant le style dit « Kakiemon ». Branches fleuries, bambous, écureuils ou encore cailles investissent dans une palette de couleurs très réduite et sur fond blanc les précieux objets de porcelaine. Tout comme à Meissen, la manufacture française s’intéresse également aux motifs d’animaux et aux figures d’inspiration bouddhique, bientôt agrémentés de bronzes dorés par les marchands merciers à l’image du grand concert de singes, beau prêt du Petit Palais et des deux pendules à éléphant et rhinocéros de Meissen conservés en collections privées. Il y a également, et ce sont deux pièces que le public affectionnera sans doute, les deux candélabres à carlins de Meissen, eux aussi conservés en collection privée.
La manufacture de Sèvres et les Collections nationales de Dresde (Staatliche Kunstsammlungen Dresden) prêtent pour l’occasion les grands oiseaux blancs, qui figurent parmi les plus spectaculaires pièces jamais produites à Meissen. D’un haut degré technique, d’une incomparable beauté, ils ont été créés au début des années 1730 pour orner une grande galerie dans le Palais japonais d’Auguste le Fort à Dresde. Présentés en compagnie de nombreux autres volatiles de porcelaine, fruits d'une importante production à Meissen, dans de véritables volières dessinées par Peter Marino, ce sont peut-être les pièces les plus remarquables de l’exposition.
Certaines porcelaines d’exception reviennent à Chantilly pour la première fois depuis la Révolution française et se retrouvent magnifiées dans les Grands Appartements. La « Fabrique de l’extravagance », en plus de son caractère visuel spectaculaire, accuse un propos fort intéressant et des plus construits. Comparer l’évolution des productions de Meissen et de Chantilly, les grandes rivales du XVIIIe siècle, est chose sensée. Nous avons ici choisi de n’évoquer que partiellement le propos et les axes explorés par l’exposition afin de laisser à nos lecteurs une importante part de découverte. Courez vous émerveiller, à seulement 25 minutes de Paris, dans cette curieuse et spectaculaire ménagerie figée.
- Photographies ©Nicolas Bousser -
La Fabrique de l'Extravance Porcelaines de Meissen et Chantilly
Commissariat : Mathieu Deldicque
Domaine de Chantilly, jusqu'au 3 janvier 2021
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