« J’ai acheté des tableaux parce qu’ils me plaisaient. » Avec ses mots, Christoph Blocher se présente comme un collectionneur malgré lui.
Fin connaisseur de l’art suisse, l’homme d’affaires et ancien conseiller fédéral de la Suisse a rassemblé environ un siècle de création helvétique depuis la Confédération de 1848 jusqu’au XXe siècle. Son seul moteur : la beauté. Le choix instinctif de ses œuvres dément toute recherche de rationalité dans la constitution de son répertoire iconographique. Enfant, Christoph Blocher grandit dans une famille modeste mais où l’art est présent. Son frère aîné, Martin, était peintre et enseignait le dessin. Son père, pasteur, aimait l’art et s’intéressait aux reproductions d’œuvres d’art suisse de Ludwig Richter, de Ferdinand Hodler ou encore d’Albert Anker. Faute de pouvoir s’offrir des originaux, les parents de Christoph découpaient parfois les photographies d’œuvres d’art dans les magazines pour les encadrer et les accrocher dans le presbytère où vivait la famille, à Neuhausen am Rheinfall. Ces murs, ainsi revêtus, constituèrent un répertoire d’images important dans la mémoire du jeune Christoph.
Dans les années 1970, Christoph Blocher commence à acquérir ses premiers originaux, notamment des croquis et des dessins au fusain d’Anker pour quelques centaines de francs. La flamme de Blocher pour les œuvres d’art suisse ne cesse alors de croître et le syndrome du collectionneur s’intensifie jusqu’à ce que les murs deviennent insuffisants. Principal prêteur privé de toute rétrospective consacrée aux maîtres de la peinture helvétique, Christoph Blocher possède désormais la plus riche collection privée d’œuvres d’art suisse, du réalisme à la peinture moderne figurative.
Avec cent vingt-sept toiles de la collection Blocher exposées, la Fondation Pierre-Gianadda et le commissaire d’exposition Matthias Frenher font la part belle à Albert Anker (1831-1910) et Ferdinand Hodler (1853-1918), deux figures emblématiques de l’art suisse. Cependant, une large sélection d’artistes variés et singuliers offre une première initiation à la peinture helvétique souvent méconnue en France.
Les quarante-cinq toiles de Ferdinand Hodler présentées sur les cimaises de l’exposition révèlent l’amour du couple Blocher pour les paysages lémaniques du peintre bernois. Initié à la peinture par son beau-père, Hodler travaille plusieurs années comme assistant dans l’atelier du peintre védutiste Ferdinand Sommer à Thoune. Son apprentissage, fondé sur la copie des œuvres de son maître, laisse bientôt place au désir de se confronter directement à la nature réelle. Après s’être illustré dans plusieurs expositions réalistes auprès de Gustave Courbet, alors exilé en Suisse, Hodler ne se distingue réellement qu’en se tournant vers le symbolisme. Dès 1890, ses paysages se teintent d’une réflexion sur l’immensité de la nature, métaphore de l’éternité. A l’instar des Impressionnistes, Hodler produit une œuvre sérielle de vastes surfaces lacustres et de cieux infinis, variant les points de vue et captant les nuances atmosphériques au gré des saisons.
Après 1900, ses talents de portraitiste le partagent entre portraits d’officiels, autoportraits et représentations de son épouse Berthe. Son intérêt se porte alors davantage sur l’évocation de la psyché des modèles que sur une ressemblance physique fidèle. Les traits de caractère transparaissent ainsi dans ses toiles au moyen de l’expressivité de sa touche large et de couleurs non-imitatives cernées de noir.
Contemporain de Hodler, Albert Anker est le second artiste majoritaire de l’exposition avec quarante-huit toiles présentées. Après avoir délaissé des études de théologie et écarté les sujets bibliques des débuts, Anker consacre une grande partie de sa carrière à l’expression divine de la création dans des scènes de genre contemporaines, des natures mortes symboliques et des visages qui sont comme des portraits de l’âme. Le sujet principal de son œuvre demeure la figure humaine, même dans ses paysages ou ses intérieurs qui ne constituent finalement que des cadres à la pensée.
Le reste de la création artistique suisse n’est pas en reste dans l’exposition, qui offre un panorama étendu de la peinture helvétique moderne : Giovanni Giacometti, père du sculpteur Alberto, Félix Vallotton (naturalisé français en 1900 mais Suisse d’origine), le grand paysagiste romantique Alexandre Calame, représentant de l’école genevoise, Giovanni Segantini et sa palette éclatante et lumineuse, Adolf Dietrich, le Douanier Rousseau suisse, et tant d’autres…
Créée par Léonard Gianadda en souvenir de son frère Pierre, décédé dans un tragique accident d’avion le 31 juillet 1976, la Fondation Pierre-Gianadda accueille depuis 1978 une large programmation artistique. La construction du vaste site de Martigny a mis au jour des vestiges gallo-romains dont le bâtiment expose les principaux artefacts. Avec trois expositions annuelles, un musée de l’Automobile rassemblant une cinquantaine de véhicules des années 1890 à 1940 et une exposition sur Léonard de Vinci dans le Vieil Arsenal, la Fondation a déjà reçu plus de dix millions de visiteurs. Chaque année, l’acoustique de l’édifice sert également une programmation musicale prestigieuse avec des artistes de renommée internationale telle que Cecilia Bartoli. Pour clore la visite, les jardins de la Fondation présentent un ensemble de sculptures représentatives des artistes majeurs du XXe siècle (Maillol, Bourdelle, Brancusi, Miró, Moore, Arman, César, Lalanne, etc.).
Margaux Granier-Weber
Exposition du 6 décembre 2019 au 14 juin 2020
Fondation Pierre Gianadda à Martigny (Suisse)
Tous les jours de 10h à 18h
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