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Christelle Téa au musée Delacroix : Face-à-face avec les icônes du romantisme et du néoclassicisme

Par Margot Lecocq


Après plusieurs mois de fermeture pour travaux du musée national Eugène-Delacroix, les visiteurs se languissaient de sa réouverture fin mars 2024. Pour l’occasion, le maître romantique (1798-1863) invite son rival montalbanais de toujours, le très grand Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867), à prendre ses quartiers dans sa maison-atelier parisienne du 6 rue de Furstemberg. L’exposition « Ingres et Delacroix. Objets d’artistes », conçue en collaboration étroite avec le musée Ingres Bourdelle de Montauban et le musée du Louvre, accueille son public depuis le 27 mars dernier. Elle est ouverte à Paris jusqu’au 10 juin 2024, avant de rejoindre le musée Ingres Bourdelle dans une version adaptée à partir du 11 juillet prochain.



Salon d'Eugène Delacroix, scénographie de l'exposition © Margot Lecocq

          

  L’exposition prend la suite de précédentes consacrées à ces deux monstres sacrés du XIXe siècle, montrées au musée du Louvre avec Delacroix (1798-1863) de mars à juillet 2018, et Delacroix et la nature de mars à juin 2022, mais aussi au musée Ingres Bourdelle avec Dans l’atelier d’Ingres de décembre 2019 à novembre 2020, au musée national Eugène-Delacroix avec Delacroix et la couleur de juillet à décembre 2022, au musée Condé avec Ingres, l’artiste et ses princes de juin à octobre 2023, et tout récemment au musée Courbet avec Delacroix s’invite chez Courbet d'octobre 2023 à février 2024.





Les amateurs l’auront compris, l’actualité autour des deux maîtres en particulier Delacroix , est en constante effervescence et exerce une fascination profonde sur le public. La récente campagne de restauration menée par le musée du Louvre sur plusieurs grands formats de Delacroix (les Scènes des massacres de Scio en 2019, Les Femmes d’Alger en 2021-2022, La Mort de Sardanapale en 2022-2023, puis La Liberté guidant le peuple, actuellement en cours de restauration) a exacerbé le phénomène et permis de redécouvrir des chefs-d’œuvre de l’artiste.



Couronne de laurier dorée offerte à Ingres en 1863 par les Montalbanais pour son entrée au Sénat en 1862, 1863, cuivre doré, Montauban, musée Ingres Bourdelle, MI 2008.0.891 © Margot Lecocq

En optant pour la présentation concomitante d’objets ayant appartenu à Ingres et à Delacroix, la maison-musée du 6e arrondissement propose une nouvelle plongée dans le quotidien des deux peintres. Si des œuvres d’art (peintures, dessins, photographies, estampes, etc.) sont également présentées, ce sont davantage des objets de la vie de tous les jours, ceux rapportés de voyages, qui marquent un jalon dans la vie des peintres, et ceux qui accompagnent leur travail, qui sont au cœur du propos.




Le violon d'Ingres, sa couronne de laurier dorée et la coupe que lui offrent ses élèves se mêlent ainsi aux meubles, aux céramiques orientales et aux aiguières néo-Renaissance de Delacroix. L'ensemble est présenté dans un cadre intimiste orné d’œuvres somptueuses et originales, tels une feuille figurant un Oriental assis sur un divan, tenant un narghilé (1824-1825) du musée du Louvre, ou un daguerréotype de Léon Riesener dressant le Portrait d’Eugène Delacroix les mains levées (1842) prêté par le Petit Palais.



            Pour l’occasion, le musée Delacroix organisait ce lundi 8 avril une rencontre avec la dessinatrice Christelle Téa. Passée par l’École Olivier de Serres, puis par l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, l'artiste illumine cette fin d’après-midi printanière. Plutôt que de copier les oeuvres de ces figures écrasantes de l’histoire de l’art, Christelle Téa s’est elle aussi tournée vers les objets qu’ils côtoyaient au quotidien.



Christelle Téa dessinant le Pot à tabac en forme de poisson de Delacroix © Margot Lecocq




« Le dessin c’est un peu mon premier moyen d’expression. Ce que l’on ne peut pas dire avec les mots, on peut le dire avec le dessin. » - Christelle Téa








17h30 – Début de la performance. Salon d'Eugène Delacroix.

 


Armée de son stylo à l’encre de Chine et parée de son plus beau sourire, Christelle Téa s’est immédiatement dirigée vers le magnifique pot à tabac en forme de poisson qui ornait le salon de Delacroix. La récente résidence de l’artiste à l’aquarium de Paris l’a très probablement attirée vers cet objet, dont elle a instantanément su saisir l’esprit. D’un geste sûr et appliqué, elle donne vie à son poisson en noir et blanc. Les visiteurs se bousculent gentiment autour d'elle, interloqués, curieux, et aussi abasourdis par sa rapidité que par son talent. Loin de s’enfermer dans une bulle créatrice, Christelle Téa propose un véritable échange à son public. Les questions fusent et abordent son parcours, sa pratique du dessin, ses goûts artistiques, mais aussi ses outils et ses choix de matériel ce qui rejoint pleinement le propos de l’exposition.





En quelques minutes à peine, le dessin est achevé. Semblable à celui en terre cuite que possédait Delacroix, un magnifique poisson s’offre au regard des spectateurs. Un tonnerre d’applaudissements retentit. Christelle Téa rougit, sourit, puis prend la pose devant des visiteurs émerveillés.


Pot à tabac, musée national Eugène-Delacroix, Paris, 8.IV.2024. Encre de Chine sur papier, 29,7 x 21 cm © Christelle Téa, Adagp, Paris, 2024


18h00 - Changement de décor. Atelier d'Eugène Delacroix.

 


Conditions de conservation obligent, une lumière moins franche éclaire l’atelier de Delacroix. Une atmosphère plus complexe s’en dégage et se prête parfaitement à la douceur de Christelle Téa. Au beau milieu des boîtes à couleurs d’Ingres et de Delacroix, de meubles ayant appartenu au maître du romantisme et de tableaux ou dessins montrant la main des deux hommes, la dessinatrice se dirige d’un pas souple vers l’une des palettes de Delacroix.






Christelle Téa dessinant la palette de Delacroix © Margot Lecocq

Comme le mentionne très justement Claire Bessède, directrice du musée national Eugène-Delacroix et conservatrice en chef du patrimoine, la palette très ordonnée détonne et étonne en comparaison de celle d’Ingres (probablement utilisée par l’artiste pour le Bain turc conservé au Louvre) qui apparaît comme un capharnaüm coloré. D’une manière assez amusante, les outils des deux peintres vont à l’encontre de la dichotomie « couleur/dessin » qui les opposait plus ou moins artificiellement la couleur étant associée à la passion et au désordre, tandis que le dessin incarnerait le calme, la concentration et l’ordre.






Entre histoire matérielle et discours séculaires sur l’art, Christelle Téa croque la palette de Delacroix, dont elle juge le riche chromatisme complexe et intéressant à restituer à l’encre de Chine. Elle-même l’affirme : plus le modèle est délicat et compliqué, plus elle se sent poussée dans ses retranchements. Le temps est suspendu. La palette de Delacroix, taillée dans du bois de marronnier, présente quelques aspérités qui nuancent ses teintes grisâtres plus ou moins foncées et ses tons pastel. Christelle Téa joue sur les contrastes et les dégradés pour évoquer la couleur.



Les visiteurs sont attentifs, l’échange continue : quelle œuvre de Delacroix est la préférée du public ? Deux œuvres quasi contemporaines l'une de l'autre sont mentionnées : La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826, musée des Beaux-Arts de Bordeaux) et La Mort de Sardanapale (1827, musée du Louvre). L’une éveille un intérêt chez ceux qui n’ont pas encore eu la chance de venir l’admirer en Gironde, l'autre est célébrissime. La main légère de Christelle Téa continue de glisser sur le papier, c’est bientôt une nouvelle palette que le public s’apprête à découvrir. Le silence s’installe, l'artiste a terminé son second dessin. Des applaudissements retentissent à nouveau dans la grâce de ce début de soirée.


 





Palette d’Eugène Delacroix, musée national Eugène-Delacroix, Paris, 8.IV.2024. Encre de Chine sur papier, 21 x 29,7 cm © Christelle Téa, Adagp, Paris, 2024


La performance est délicate, touchante et impressionnante. L’enchantement est total dans ces salles empreintes du souvenir de la vie de Delacroix et de son invité. Chacun s'abandonne alors à l'histoire de ces objets. Dans cet atelier qui a vu l’un des plus grands peintres de son temps s’adonner corps et âme à sa peinture, la présence de Christelle Téa fait appel à notre imagination et renoue avec la création artistique. Pour le musée national Eugène-Delacroix, l’évènement permet de redonner vie à cette maison-musée tout en faisant découvrir au public sa collection de manière ludique. Conquis, le visiteur repart le cœur léger, riche de nouvelles découvertes.


 
Christelle Téa présentant son oeuvre La Palette d'Eugène Delacroix © Margot Lecocq

Musée national Eugène-Delacroix

« Ingres et Delacroix. Objets d’artistes » du 27 mars au 10 juin 2024 (musée national Eugène-Delacroix, Paris) / du 10 juin au 11 juillet 2024 (musée Ingres Bourdelle, Montauban)


Commissariat :

Claire Bessède, directrice du musée Delacroix et conservatrice en chef du patrimoine & Florence Viguier-Dutheil, directrice du musée Ingres-Bourdelle et conservatrice du patrimoine

Tarifs : 9 euros


Site officiel de Christelle Téa : https://christelletea.com





Un immense merci aux équipes du musée Delacroix pour leur accueil et à Christelle Téa pour cet instant enchanteur, ainsi qu'à Baptiste Roelly et Benjamin Esteves pour leurs précieux conseils.

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