Depuis le 22 mai dernier, le Château d'Eau accueille Currents Shift. Promulguant de jeunes artistes issus du programme européen Parallel, cette exposition photo s'impose comme le parcours idéal pour découvrir ou revisiter ce lieu atypique du paysage culturel toulousain.
Bâti au XVIIIe siècle afin de filtrer l'eau de la Garonne et de la redistribuer vers les fontaines de la ville rose, le Château d'Eau cesse son activité première en 1870. Un siècle plus tard, en 1974 le site échappe à la démolition et est transformé en galerie d'exposition photo, devenant l'un des premiers du genre en France. Fort de ce statut de pionnier dans le développement du 8e art en Hexagone, le Château d'Eau est devenu depuis une institution reconnue et membre à ce titre du programme Parallel mettant en lien plusieurs centres culturels européens dédiés à la photographie.
Currents Shift, littéralement « Changements de courant » entend présenter au public la réflexion de jeunes photographes révélés par le programme Parallel sur les thématiques de l'eau et de l'évolution de la photographie dans nos sociétés. A travers le premier axe de l'exposition, on décèle une volonté de la part des jeunes artistes de manifester leurs préoccupations environnementales. D'autre part, l'eau étant à l'origine de la vie, l'élément noue naturellement un lien avec le second sujet de l'exposition à savoir l'omniprésence du médium photographique dans nos sociétés. Révolutionnée par la technologie, la photographie est aujourd'hui associée à la vie et au mouvement plus qu'à une image figée du passé aux yeux des artistes exposés. A travers leur travail, ces derniers jettent cependant un regard critique sur cette évolution qui tend notamment à uniformiser les clichés en circulation sur le web.
Divisé en deux espaces distincts, le parcours muséographique commence en dehors des murs de la galerie. A l'extérieur, des séries de quatre photographies nous introduisent ainsi au travail de Jessica Wolfelsperger. La photographe suisse présente un projet en cours intitulé "Savez-vous qui je suis" dont l'objet d'étude est le passage obligé des clichés dans la matrice des réseaux sociaux à l'instar d'Instagram, et le "sentiment d’effroi et l’improbabilité d’un nouvel ordre" qui s'en dégage. La plupart de ses clichés sont toutefois visibles à l'intérieur du bâtiment, aux côtés des vidéos de Cihad Caner dans un panel intitulé "Le flux vivant de la raison produit des monstres". Cet artiste Turc met quant à lui en scène deux monstres antiques discutant de politique contemporaine au moyen de deux écrans situés face-à-face. Décontenançant.
La majorité des productions visibles sont abritées au sein du château d'eau lui-même. Lors de votre descente dans le sous-sol, entre deux roues à aube, l'eau ne coule plus sous vos pieds mais bel est bien aux murs grâce aux performances du plasticien belge Dries Lips. Celui-ci a choisi de se filmer entrain de fabriquer des moulages exposés à quelques mètres de la vidéo retraçant leur improbable genèse. Toujours au sous-sol, on peut également observer le rapport volontairement très cartésien et scientifique du portugais Diogo Bento à la photographie, qui vise à démontrer l'absurdité de la croyance absolue dans la science et ses bienfaits supposés.
Au-dessus de cette association nommée "Poétique de l'incertain", place aux "Océans de profit et de désespoir". Les clichés pris par Garrett Grove et Marie Lukasiewicz ont en effet tous pour thème le monde aquatique. Le premier a choisi de faire figurer l'horizon de l'océan Pacifique dans chacune de ses photographies en noir et blanc de "The Edge of Some Dream". Un titre aux accents pessimistes en accord avec le choix du monochrome d'un diaporama centré sur l'anthropisation des côtes et les conséquences environnementales désastreuses qui en découlent de fait. Enfin l'artiste américain partage l'étage avec les coraux immortalisés par la française Marie Lukasiewicz. "Beyond Coral White" s'intéresse à cet animal si fragile victime de la surexploitation des ressources marines et à son apparence singulière.
A la croisée entre problématiques environnementales et nouvelles technologies, Currents Shift propose en somme un point de vue engagé et critique sur le monde d'aujourd'hui et de demain. Le résultat de la réunion du travail de ces artistes provenant des quatre coins du monde est égal à leur origine, éclectique. Loin d'être réservé aux passionnés du 8e art, le message de l'exposition se veut accessible et à la portée de tout un chacun. Alors laissez-vous tenter et si la photo vous laisse indifférent, profitez-en au moins pour admirer le cadre.
Antoine Bouchet
----------------------------------------------------------------------------------
Du 22 mai au 1er septembre 2019
Le Château d'Eau
Horaires: de 13h à 19h du mardi au dimanche
Tarifs d'entrée: 4€ plein tarif, 2€50 tarif réduit
Comentários