Par Célia De Saint Riquier

Depuis le 28 septembre 2021, le septième art a envahi l’ancienne gare d’Orsay, avec l’ouverture de l’exposition Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France, 1833-1907. Le grand hall du musée s’est même paré de son plus bel écran géant, projetant plusieurs films des débuts de cet art. Si quelques éléments peuvent peut-être désappointer le public le plus cinéphile, l’ouverture de cette exposition peut tout de même réjouir ce dernier, souvent peu servi en expositions dans lesquelles une place de choix est laissée au cinéma. L'ouverture d'Enfin le cinéma ! confirme de plus une nouvelle politique culturelle du musée d’Orsay, englobant de plus en plus les arts encore trop souvent jugés comme non-nobles par les grandes institutions. Enfin du cinéma dans les grands musées donc, dans une exposition qui affirme d’autant plus ses rapports avec les autres arts de la fin du XIXe siècle.
Comment l’ébullition de la modernité artistique de la fin du XIXe siècle a-t-elle préparé l’arrivée fracassante du cinéma en France ? C’est à cette question que tente de répondre l’exposition. Le parcours thématique des différentes salles invite à retrouver les prémices du spectateur moderne. Tableaux, gravures, objets d’art, affiches et bien sûr films se mêlent, s’intéressant tour à tour aux rapports entretenus avec la ville moderne, mais aussi aux traitements du corps humain (notons d’ailleurs la présence d’une contextualisation et d’une critique des œuvres affichant clairement une vision colonialiste et fétichiste commune à l’époque, chose encore assez rare), ou encore aux rapports à l’Histoire.

Le titre ne doit cependant pas tromper le visiteur : Enfin le cinéma ! n'est pas une exposition à proprement parlé sur le cinéma. La peinture et la photographie occupent chacune autant, voire plus de place que les projections cinématographiques et les objets liés au cinéma. En cela, les visiteurs s'attendant à voir une exposition de cinéma seront peut-être déçus.
Il est néanmoins nécessaire de mettre l'accent sur la richesse et la diversité des œuvres présentées ; pas moins de 315 supports artistiques remplissent les salles d’exposition, sans pour autant créer un effet de trop plein. Les œuvres souvent méconnues, se composent de quelques petits chefs-d’œuvre, et sont mises en rapport avec des « vues » et des films tout aussi peu souvent montrés, comme le film Ce que l’on voit de mon sixième Ou Scènes de mon balcon (Ferdinand Zecca Pathé, 1901). La scénographie participe activement à mettre en valeur des œuvres aux richesses insoupçonnées, comme l’huile sur toile Le Campo Santo de Pise, de Louis Daguerre et Charles-Marie Bouton (1834-1839, collection particulière), qui, par un subtil effet d’éclairage, permet de faire passer le tableau d’une ambiance diurne à une ambiance nocturne, comme par magie. Mentionnons de même la salle dédiée à la représentation de l’Histoire (au sens large, comme celui du genre de la peinture d’histoire), particulièrement percutante par cette mise en rapport direct entre films et tableaux, se faisant face ou placés l’un au-dessus de l’autre, comme le tableau Les Dernières Cartouches (Défense d’une maison cernée par l’ennemi, Alphonse de Neuville,1873, Maison de la Dernière Cartouche) et son adaptation cinématographique de 1897 (Alexandre Promio, vue Lumière n°745). Comme disait Jean-Luc Godard, c’est bien le XIXe siècle qui a inventé le cinéma, sous tous ses premiers genres. La société avide d’attraction et de spectaculaire a ainsi favorisé l’arrivée du cinéma le plus « attractionnel » de tous, la narration se limitant alors à propulser l’effet de surprise.

Cette exposition au nombre d’œuvres ambitieux peut cependant faire regretter un certain manque de textes, qui se limitent à quelques points « focus » et aux panneaux introductifs des différents thèmes. Quelques cartels développés encadrent certaines œuvres, mais manquent sans doute entre elles quelques petits points de liaisons. En effet, les thèmes très vastes des différentes salles ont donc tendance à simplifier les rapports entre les œuvres, ce qui peut laisser un goût de trop peu pour les visiteurs les plus curieux, et rendre le dialogue avec les divers supports assez hermétique. Nous aurions, par exemple, pu attendre une réflexion poussée entre la mise en scène bien existante des premières « vues » (même les plus « réalistes ») et les courants picturaux réalistes et naturalistes qui, d’une certaine façon, mettent aussi en scène leurs sujets. De même, certains raccourcis voire oublis de l'histoire du cinéma peuvent étonner. Cela est d’autant plus regrettable que le contenu du catalogue semble, lui, très scientifique et approfondi. Or, s’il doivent évidemment compléter le propos de l’exposition, il est dommageable pour les visiteurs que les catalogues (au prix souvent relativement élevé), retiennent entre leurs pages un contenu aussi riche. Il faut, par ailleurs, mentionner la liste impressionnante des auteurs qui y participèrent, qui ravira les lecteurs cinéphiles.
Ces quelques regrets ne doivent pas dissuader de voir cette exposition si riche. La beauté de ces œuvres peu montrées, la variété des films et la sagesse de la scénographie font d’Enfin le cinéma ! une réussite, parfois donc un peu trop retenue, mais qui intègre très bien le septième art dans son époque contemporaine et surtout aux autres arts et spectacles qui participèrent à faire bouillonner et à laisser un air de magie à la fin du XIXe siècle.
Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France. 1833-1907,
Musée d'Orsay,
28 septembre 2021 - 16 janvier 2022
(Exposition organisée par l'établissement public du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie-Valéry Giscard d'Estaing, Paris, et le Los Angeles County Museum of Art où elle sera présentée du 16 février au 10 juillet 2022 sous le titre « City of Cinema: Paris 1850-1907 »)
Commissaire général :
Dominique Paini, Commissaire indépendant
Commissaires à Paris :
Paul Perrin, Conservateur pour la peinture au musée d'Orsay,
Marie Robert, Conservatrice en chef pour la photographie et le cinéma au musée d'Orsay
Avec la collaboration de Jérôme Legrand, Philippe Mariot et Lucile Pierret, Chargés d'études documentaires au musée d'Orsay
Commissaires à Los Angeles :
Leah Lehmbeck, directrice du département peinture et sculpture européenne et art américain au Los Angeles County Museum of Art
Britt Salvesen, directrice du département de photographie, des estampes et dessins au Los Angeles County Museum of Art
Vanessa R. Schwartz, Professor, History and Art History, Director, Visual Studies Research Institute à University of South California
コメント