Par Nicolas Bousser et Antoine Lavastre
Pour cette nouvelle interview, c’est un illustre anonyme que rencontre Coupe-File. Dissimulé depuis quelques années derrière le célèbre visage du Scribe accroupi, l’un des chefs-d’œuvre du Département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, cet amoureux du patrimoine conçoit et réalise pour son blog, scribeaccroupi.fr, divers articles, visites et reportages vidéo. Il transporte ainsi les internautes au cœur des expositions, des plus beaux musées ou des lieux qui ont marqué notre Histoire à travers ceux qui font vivre ces espaces, artistes, conservateurs ou simples passionnés. Ses « Visites privées », dans lesquelles les commissaires présentent leur travail dans le parcours même des expositions, sont parmi les plus suivies et les plus appréciées de la blogosphère artistique française. Entretien.
Tout d’abord, pourquoi le scribe ?
Je tiens premièrement à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à ma démarche de “Scribe Accroupi”. Au départ, je suis un simple visiteur de musées, ami du Louvre depuis de nombreuses années, photographe et vidéaste amateur. Si je regarde en arrière, je dois vous avouer que je garde des souvenirs assez désagréables de mes visites au Louvre étant jeune, n’étant tout simplement pas initié et peu sensible à l’Art. Etant moi-même devenu père, j’ai voulu accompagner mes enfants dans leur propre découverte de l’Art en partageant ma passion. Pour toucher plus largement ce nouveau public, il était indispensable d’utiliser leurs principaux moyens de communication, notamment les réseaux sociaux. Nourrissant aujourd’hui une véritable passion pour le Louvre, j’ai tout naturellement pensé m’attribuer une œuvre. Le scribe accroupi, symbole de l’écriture, s’est imposé assez naturellement, d’autant que son regard m’a toujours fasciné. Se prétendre “accroupi” tout en parcourant frénétiquement les salles de musées, cela sonnait déjà comme une forme de paradoxe qui me convenait bien. Et puis, certains disent que je ressemble au scribe ! (rires)
Comment avez-vous débuté votre production ? Pouvez-vous nous la détailler ?
J’ai commencé par le biais des réseaux sociaux dès 2015 avec mon compte twitter pour ensuite poursuivre ce travail sur Facebook, YouTube et Instagram, jusqu’à l’ouverture de mon blog en septembre 2017. Au début, je postais simplement des photos du Louvre avec peu d’informations, seulement les éléments des cartels. Il s’agissait plus d’un simple partage d’images. Après une prise de contact avec les équipes du musée, j’ai pu progressivement développer mon compte et être invité à des visites de presse ou réservées aux blogueurs. C’est au cours de l’une de ces visites que m’est venue l’idée des vidéos commentées. J’avais la chance d’écouter un discours érudit de la part des conservateurs et j’ai ressenti l‘envie de le partager au plus grand nombre. En effet, il me semblait que ce propos ne devait pas être réduit à un petit nombre de journalistes.
C’est ainsi que lors de la visite presse de l’exposition du Louvre consacrée à Hubert Robert, j’ai enregistré le discours du conservateur que j'ai ensuite monté sur des photos de l’exposition. C’est en quelque sorte le prototype des « Visites Privées ».
La véritable première visite privée réalisée au Louvre, avec présentation du propos de l'exposition par le commissaire, a été celle de la magnifique exposition consacrée à Bouchardon avec Juliette Trey. Puis petit à petit, j’ai été contacté ou ai moi-même pris contact avec d’autres musées et de fil en aiguille, j’ai pu en réaliser de plus en plus.
N’ayant pas de formation dans le domaine de l’Art, j’apprends beaucoup en préparant les tournages. Je pense que le secret est de rester toujours curieux. Quand on parle aux gens de leur passion, même les plus réfractaires s’ouvrent et donnent de leur temps. La préparation d’une exposition représente un énorme travail pour les commissaires et, même si certains sont éloignés du monde des réseaux sociaux, ils ont toujours l’envie de partager le fruit de leurs recherches et de leurs travaux. D’autant que je ne souhaite pas brider le propos et que je réalise des vidéos sur un format long.
Parmi mes formats, en plus des visites privées, on trouve les entretiens. Ce format a débuté lorsque j’ai eu la chance, à mon grand étonnement, d’être nommé parmi les membres du jury du Prix château de Versailles du livre d’Histoire. J’ai demandé à rencontrer chacun des auteurs des livres en compétition.
Je prépare les visites privées à partir du dossier de presse. Je sélectionne quelques œuvres au sujet desquelles je souhaite avoir des explications. Je laisse une grande liberté de propos aux commissaires, notamment au niveau des oeuvres qui seront finalement commentées.
C’est un travail énorme que j’effectue sur mon temps libre, travaillant à côté, avec notamment un temps important consacré au montage de chaque vidéo. Je tiens à toujours faire vérifier le contenu de mes vidéos par les personnes interviewées, pour garder toujours une impeccable exactitude.
Selon vous, le rapport des musées aux nouveaux médias a-t-il évolué depuis vos débuts ?
Il faut se rappeler que nous venons de loin ! Aujourd’hui, et ce par rapport à mes débuts, quasiment toutes les expositions autorisent la prise de photographies, ce qui était loin d’être le cas il y a encore deux ou trois ans. La charte « Tous photographes » (2014) a fait beaucoup de bien. A quelques exceptions près, le positionnement des personnes en charge de la communication numérique n’est pas toujours facile au sein des musées, même si cela évolue dans le bon sens. Le fait que plusieurs conservateurs du Patrimoine aient pris l’initiative de communiquer directement sur les réseaux sociaux favorise cette évolution, mais il reste encore des efforts à faire.
La démarche qui est la votre consiste à aller chercher un nouveau public. Pensez-vous y arriver ? Et pensez-vous faire évoluer votre format pour aller chercher le « grand public » ?
Il faut rappeler que l’objectif premier était de passionner mes enfants et sur ce point je suis assez satisfait (rires). Je les associe d’ailleurs assez régulièrement aux tournages dans les expositions. Par exemple, l'un d'entre eux, qui n’était pas un grand amateur du peintre Hammershoi à la vue des images des œuvres, a vu son regard sur l’artiste changer totalement suite à la visite réalisée en compagnie de Jean-Loup Champion, qui a su capter son attention, expliquer et faire apprécier la démarche de l’artiste.
Ensuite concernant le grand public, je me suis rendu compte que, sur Twitter, je touchais d’abord un milieu de professionnels et de gens au préalable intéressés par les expositions. Ceux-ci ont tendance à regarder mes vidéos pour préparer leur visite. J’ajoute que les commentaires qui me font plaisir et me donnent envie de continuer cette aventure sont ceux que je retrouve parfois sur Youtube, venant de personnes que se disent éloignées du monde de l’Art et qui me remercient.
En tout cas je suis assez fier d’une chose, c’est d’avoir pu partager le discours des commissaires à un public plus large que celui des simples visites presses.
Avez-vous idée de moyens, justement, pour aller chercher ce grand public ?
Il n’y a pas de solution unique mais ce que j’essaie de faire, c’est de capter le public ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux. Mais c’est vrai que le grand public est dur à atteindre. J’ai essayé, aujourd’hui de moins en moins, de passer par le biais des # populaires sur Twitter pour faire venir des gens sur mon compte. Par exemple, récemment lorsque Martin Fourcade, le biathlète, a repris le monologue du scribe d’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, je me suis appuyé dessus pour faire un tweet.
Si, grâce à ce tweet, je réussis à éveiller la curiosité d’une nouvelle personne pour une oeuvre d’art, photographiée ou filmée sur mon compte, alors mon objectif sera atteint.
Je crois beaucoup au fait de jouer une petite musique en rendant accessible les oeuvres d’art, comme lorsqu’une marque de friandises cachait des images de tableaux ou de sculptures dans ses tablettes de chocolat. C’est tout bête mais ce simple geste peut constituer pour certains une porte ouverte sur l’Art.
Même si les chiffres de la fréquentation des musées ne cessent d’augmenter, il semble s’agir d’un effet trompe-l’œil avec une starification accrue d’un petit nombre d’œuvres que les visiteurs doivent absolument avoir vu dans leur séjour touristique, au détriment d’un véritable intérêt artistique. L’enjeu actuel semble être de reconquérir un public déjà acquis mais dont la curiosité est limitée. Que pensez-vous de ce constat ?
Je ne suis absolument pas contre les visites simplement touristiques des musées, même les parcours dits « Chefs-d’œuvre ». Parce que ce sont, comme les chefs-d’oeuvre dans les tablettes de chocolat, une porte ouverte sur le musée. Pour beaucoup, c’est ce qui les amène à pousser pour la première fois la porte d’un musée. C’est avec cette main tendue que certains y retourneront d’eux même. Je peux prendre l’exemple d’une discussion que j’ai eue avec un conservateur du Patrimoine à propos du petit train touristique qui circule autour d’un château. Cette attraction fait parfois scandale auprès de certains.
Il faut sans doute que les musées essaient de trouver des angles d’attaque, peut-être plus simples, mais qui peuvent intéresser. C’est déjà le cas pour certains d’entre eux qui savent vraiment innover. Peut-être que l’une des pistes à explorer serait de mettre en place, dans les comités d’organisation, des représentants de ce public. Non pas pour influer le propos scientifique, bien entendu, mais pour rénover la façon de s’adresser au public. Je peux prendre l’exemple de la dernière exposition du musée des Beaux-Arts de Lille (Le Rêve d’être artiste). Elle a parfois été critiquée sur son propos scientifique mais pour le grand public, elle était un exemple réussi de médiation et d’accessibilité avec un propos autour de chaque œuvre. Un exemple à suivre ! Vous le voyez, j’aime bien prendre le contre-pied et peut-être que certains de mes propos surprendront vos lecteurs. Si c’est le cas, là aussi mon objectif sera atteint ! (Rires)
Retrouvez toutes les actualités et vidéos du Scribe sur son blog : www.scribeaccroupi.fr, mais également sur les réseaux sociaux.
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