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Histoires de peintures

“Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien”. La célèbre maxime de Socrate définit à merveille les Histoires de Peintures. Publié en 2004 à titre posthume aux éditions Denoël, l’ouvrage retranscrit la série d’émissions animée sur France Culture pendant l’été 2003 par Daniel Arasse. Cet historien de l’art spécialiste de la Renaissance italienne y vulgarise avec une humilité déconcertante des thèmes extrêmement variés qui lui tiennent à cœur.


A travers ce livre, Laure-Hélène Planchet et Victoria Cohen ont tenu à conserver les traces d’oralité des vingt-cinq chroniques tenues à la radio par Daniel Arasse afin de transmettre le caractère singulier de ces interventions. Jamais en effet l’homme, alors atteint de la maladie de Charcot et se sachant condamné (il décèdera quelques mois plus tard) n’avait autant mêlé l’histoire à l’intime. De l’apparition de la perspective et son développement via les Annonciations à la nature des restaurations en passant par l’art contemporain, Daniel Arasse n'impose aucune limite chronologique ou thématique aux sujets abordés. Le bonheur que j’ai personnellement éprouvé à la lecture de ces trois cents et quelques pages tient je crois à la capacité de “l’auteur” à nous entraîner dans sa réflexion sur l’art à travers l'importance du détail.


En effet Daniel Arasse nous fait part sans détours de ses interrogations face à une toile ou un artiste. A quoi pensait Lisa Gherardini lorsqu’elle est immortalisée sous les traits de la Joconde par Leonardo Da Vinci au début du XVIe siècle ? La partie gauche du Verrou de Fragonard est-t-elle vraiment vide, et si oui pourquoi ? Masolino était-t-il réellement inférieur à Masaccio ? Autant de questions qui permettent de mieux comprendre voire de réhabiliter des pans de l'histoire de l'art. Avec son œil critique, ce spécialiste nous enseigne avant tout la première des qualités nécessaires pour exercer son métier ou plus simplement s’intéresser à sa discipline, à savoir la curiosité. Son envie de comprendre son objet d’étude le pousse notamment à interroger l’histoire pour comprendre l’époque dans laquelle fut produite une toile. Ce besoin de replacer sans cesse les productions et surtout les hommes dans leur contexte le pousse ainsi à exposer l’art de la mémoire et, au fil de l’explication, à le poser en marqueur déterminant entre le Moyen-Âge et la Renaissance. Ainsi il développe l'hypothèse selon laquelle l'ancien système mnémonique continue d'exister à travers les polyptyques tandis que la rhétorique du tableau d'autel s'impose progressivement. Comme toujours le discours de Daniel Arasse s'appuie constamment sur des travaux de confrères, ici ceux de Frances Yates.


Bien plus qu’une énumération de noms de toiles majeures, de critiques d’art acerbes ou de confrères historiens parfois en désaccord, la parole de Daniel Arasse est profondément engagée. C’est d’ailleurs là que réside la saveur de l’ouvrage, dans ces moments de réflexion sur la déformation du regard du spectateur avec les expositions de masse, ou bien sur la triple temporalité d’une oeuvre et ses conséquences sur son appréciation contemporaine. L'auteur ne cesse de développer ces problématiques en faisant part de sa propre expérience. Oui, la restauration s'impose lorsqu'elle permet de mettre à jour les couleurs "acides" de Michel-Ange utilisées pour les fresques de la Chapelle Sixtine, dont il a été témoin. Non, rien ne peut remplacer la sensation indicible de contempler la voûte de la Chambre des époux peinte par Mantegna pour les époux de Mantoue. Arasse emprunte en ceci à Walter Benjamin et sa thèse du hic et hunc selon laquelle une oeuvre ne peut être mieux admirée qu'à son emplacement d'origine. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande notre article qui y est consacré.


En définitive le travail remarquable de vulgarisation entrepris par Daniel Arasse s'effectue principalement par le prisme de l'intime. Les moments choisis de sa propre vie, de celles des artistes passés et de l'existence intrinsèque des œuvres tissent le fil directeur de ce précieux condensé du savoir acquis par l'érudit. A l'instar de la couverture du livre, la peinture passe par le regard. Véritable ode à l'art et à la culture, les Histoires de peinture invitent à nous rendre dans les musées après des temps difficiles afin de s'émouvoir à nouveau de la beauté de l'art.


Antoine Bouchet

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Daniel Arasse, Histoires de peintures, Paris, Denoël, 2004

Les émissions diffusées sur France Culture à l'été 2003 sont disponibles en podcast sur https://www.franceculture.fr/oeuvre-histoires-de-peintures-de-daniel-arasse

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