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Interview: Inès Geoffroy, Conceptrice et coordinatrice d’expositions à la Villette.

Inès Geoffroy, conceptrice et coordinatrice d’expositions à la Villette, conseil et management artistique.


Sommaire :


I. Présentation, parcours et travail.

II. Actualités.

III. Carte Blanche.

IV. Futurs projets et aboutissements.

V. Question Coupe-file Art.





I. Présentation, Parcours et Travail :


J’ai vu que votre parcours d’histoire de l’art avait commencé à l’Université de Strasbourg, le hasard a voulu que ce soit également celle de notre premier invité au mois d’octobre Vincent Blanchard qui y est professeur, a posteriori, comment avez vous vécu la formation et la licence de cette université ?



Je suis rentrée un peu tardivement en première année de licence à Strasbourg car j’ai d’abord fait une classe préparatoire littéraire en sortant d’un baccalauréat littéraire option art plastique. J’ai donc d’abord fait hypokhâgne et me suis vite rendu compte que ce n’était pas fait pour moi ; le fonctionnement de la classe préparatoire était selon moi très élitiste et peu stimulant intellectuellement. Je me sentais plus formatée qu’autre chose. Donc je suis arrivée en cour d’année à la fac de Strasbourg et j’y ai vraiment trouvé ce que je cherchais dans les cours d’histoire de l’art. Le bon équilibre entre une formation rigoureuse et une grande ouverture intellectuelle. Avec des professeurs vraiment passionnés par leur matière. Certaines analyses d’œuvres en devenaient presque mystiques parfois. Ça a vraiment forgé mon approche de l’art. J’ai en même temps suivi des modules conjugués d’histoire de l’art et d’histoire des religions qui étaient très intéressants. C’était une forme d’anthropologie des images religieuses qui m’a donné envie de persévérer dans l’étude de l’art sacré.

Je suis ensuite partie en échange en 3ème année à Dublin au Trinity College, toujours en histoire de l’art et j’ai réussi à intégrer des cours de master en iconographie du Haut Moyen Age irlandais.


Comment s’est passé votre retour en France ?


Je suis d’abord rentrée à l’EPHE (École Pratique des Hautes Études) à Paris, pour un master de recherche sur l’art roman médiéval. En cours d’année, j’ai rencontré un groupe de recherche de l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales), que j’ai donc intégré pour mon M2.


Comment avez-vous trouvé l’enseignement à l’EHESS et le conseillez-vous ?


Oui je le conseille fortement parce que je l’ai trouvé à la fois très exigeant mais aussi très libre. Il poussait à la curiosité sans trop de cadres contraignants. L’idée était vraiment de mener la recherche le plus loin, de la manière la plus précise et la plus construite possible.


Pensez-vous vous tourner essentiellement vers la recherche si vous en avez l’occasion plus tard dans votre carrière ?


J’ai hésité en sortant du master parce que j’avais la possibilité de demander une bourse pour une thèse mais j’ai préféré trouver une voie professionnelle cumulant à la fois réflexion et action. Je ne suis pas sure de reprendre un jour la recherche pure, même c'est une voie qui m'intéresse.


Conseilleriez-vous l’étude de la médiation culturelle dans le cursus que vous avez suivi ?


Oui, d’ailleurs je l’ai fait après l’EHESS, j’ai suivi un master professionnalisant en médiation culturelle à Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Je ne peux que le conseiller. Après un cursus de cinq ans vraiment tourné vers la recherche, c’était intéressant pour moi de faire un an en médiation culturelle. Même si concrètement la formation a été un peu rapide, ça m’a permis d’avoir un cadre pour faire un bon stage.


Quels étaient les thèmes de vos mémoires de master ?


En master de recherche, mon sujet était la représentation de la pesée des âmes, partant de ses premières apparitions au Moyen-Âge durant la période Romane jusqu’à la période moderne, en analysant comment le motif iconographique évolue, se transforme et change de sens en fonction des époques. Quelque soit le contexte ou le sujet étudié, c’est cette mutation des images qui m’a toujours intéressée. Le deuxième, était davantage un mémoire pour un mémoire, pour boucler mes études, c’était sur les relations internationales dans le développement de projets culturels au sein de l’Institut du Monde Arabe.


Étant détentrice de 2 masters, les voyez-vous complémentaires ou l’un d’entre eux vous sert-il plus au quotidien dans votre travail ?


Avec mon master à l’EHESS que j’ai mené sur deux ans je suis vraiment rentrée en profondeur dans la recherche et c’est ainsi que j’ai pu développer de vraies compétences en analyse et en rédaction. Donc c’est celui-là qui m’a donné des bases solides.


J’ai vu que vous aviez eu une première expérience professionnelle dans une galerie, avez-vous aimé ce genre de travail ?


Ça m'a un peu dégoûté du marché de l'art. C'était ma première expérience avant les masters, c'était cependant bénéfique dans le sens où ça m'a tout de suite fait comprendre que je n'étais pas faite pour le marché de l'art.


C’était le côté financier qui vous posait problème, le côté marchandage de l’art ?


Il y avait de ça, je trouvais qu'on passait beaucoup à côté des œuvres et du propos de l’artiste puisque le biais principal était les acquéreurs, les acheteurs, etc.


Comment avez-vous abordé le travail dans une institution comme l’Institut du Monde Arabe ?


C’était particulier à mon arrivée car c'est un endroit où je venais depuis l’enfance et où j’ai vu des expositions qui m’ont marquées. Je l’ai vécu comme une grande chance, je me sentais partie prenante de quelque chose qui était vraiment plus grand que moi. Après on découvre tout de même rapidement que toute institution a une lourdeur inhérente et il faut trouver le moyen d’être efficace et pertinent dans son travail malgré cela. Ce n’est pas toujours évident mais c’est commun à tous les grands lieux. De l’autre côté on a la possibilité de réaliser des projets de grande envergure, c’est ce cap là qu’il faut maintenir.


De quoi vous occupiez-vous ?


Je suis arrivée en stage de fin d’études et j’assistais la programmatrice des concerts et spectacles. J'étais stagiaire auprès du directeur de la programmation mais j’ai eu un lien privilégié avec une programmatrice chargée d’action culturelle et donc mon rôle était de mettre en place toute une saison culturelle et j’avais de grosses responsabilités donc j’ai énormément appris lors de ce stage. J’ai notamment monté des collaborations avec la Gaîté Lyrique. Voir ses premiers spectacles, ses premiers événements se dérouler et se développer sous ses yeux était assez impressionnant.


Quel partenariat vous a le plus intéressé durant votre passage, celui de la Gaîté Lyrique ?


En effet. j’ai eu deux missions à l’Institut du Monde Arabe, un travail en programmation donc c’est dans ce cadre qu’il y a eu ce partenariat pour un concert de la saison marocaine dont l’idée était de fédérer les musiciens marocains et un gros établissement comme la Gaîté Lyrique. Dans ma deuxième mission, j’ai développé les partenariats jeune public, avec un temps fort autour de l’exposition Hip-hop : du Bronx aux rues arabes, le but était de faire venir un maximum de public pas forcément habitué à venir à l’Institut du Monde Arabe.





Donc vous travailliez avec la communication ?


Exactement, la communication et l’action pédagogique.


En quoi consistait votre intervention au palais de Tokyo ?


En fait c’était des performances, donc je ne faisais pas vraiment de la médiation dans le sens où je rentrais moi-même dans l’œuvre. Je suis un peu passée de l’autre côté du rideau. Tino Sehgal recherchait des personnes de tout genre pour participer à ses œuvres mais qui n’était pas des performeurs, des danseurs ou des comédiens de métier. J’étais entre deux postes et c’était quelque chose que je voulais essayer, de me retrouver de l’autre côté de la médiation. On était beaucoup en interaction avec le public mais on était dans l’œuvre on n’était pas entre le public et elle.


J’ai vu que vous aviez travaillé pour la Philharmonie avant votre poste actuel à la Villette, les avez vous démarché ou vous ont-ils recruté pour un travail précis ?


Pour chacune de ses expositions la Philharmonie invite un commissaire extérieur qui travaille avec l’équipe du service exposition en place et j’ai eu la chance que cette commissaire ait voulu que l'on travaille ensemble, donc on m’a proposé un poste. L’avantage de la Philharmonie est qu’ils prennent des chargés de productions d’exposition complètement dédiés à l’exposition et qui ont déjà un bonne connaissance du sujet. On devient alors parti prenante du projet, c’est passionnant.


Etant donné que c’était une exposition à la Philharmonie, on se doute que le sujet de l’exposition était autour de la musique, c’était une première pour vous ou aviez vous déjà travaillé sur un sujet musical ?


Via mon expérience à l’Institut du Monde Arabe j’avais déjà une formation musicale en ayant fait de la programmation de concerts et c’est dans cette continuité que je suis arrivée à la Philharmonie pour l'exposition Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe.


Quelles étaient les différences entre votre travail pour l’exposition de l’IMA et celle-ci?


L’approche était assez différente, car pour ce poste j’étais vraiment absorbée dans le contenu et dans la mise en place de l’exposition. On a eu beaucoup de rencontres avec des artistes, de rendez-vous avec les équipes de médiations, de communication pour leur dire quel type de magazine ou d’associations toucher car on connaissait un petit peu ce réseau là de la culture arabe en France. Nous étions un peu dégagées des aspects de médiation car il y avait une équipe complète pour s’en occuper, on était vraiment dans le développement du contenu même de l’exposition.


Comment avez vous vécu les retours qui semblent essentiellement positifs sur l’exposition en tant que membre de l’équipe de développement ?


J’étais assez fière de la bonne réception de l’exposition parce que j’ai eu la chance de travailler assez étroitement avec la commissaire. Je me suis beaucoup investie dans le projet, donc la bonne réception était une agréable validation de mon travail. Mais j'ai appris à prendre de la distance car quand on se donne autant dans un projet, une fois qu’il sort c’est très spécial, il y a toujours des choses qu’on aurait vu autrement, des choses qu’on a pas décidé et qui nous conviennent moins, etc. J’ai appris à prendre du recul par rapport à mon niveau d’implication émotionnel.



II. Actualités:


Quels sont vos rôles dans la programmation et la coordination des expositions au sein de la programmation culturelle ?


Je suis dans le pôle exposition du service de la programmation culturelle qui réunit expositions, concerts, spectacles et événementiel. j’ai une responsable d’expo, ma N+1, on collabore ensemble pour élaborer et mettre en place tous les projets d’expositions.



Participez vous à des développements particuliers ?


Généralement sur une année, je travaille sur deux expos, une grosse expo de printemps, - là on travaille sur une exposition sur les révolutions de la fin des années 60. C’est le gros travail de fond car il y a tout un travail de commissariat et un important travail de recherche de conception, etc... et en parallèle on prépare une deuxième expo qui est un panorama de la jeune création française, c’est une collaboration avec des grandes écoles d’art, qu’on renouvelle chaque année. On présente une sélection de jeunes artistes et c’est un travail très différent. C’est essentiellement la sélection et la réception des artistes et comment les articuler ensemble.


Quelle est la partie de votre travail actuel que vous préférez, puisque vous faites de la recherche en ce moment ?


J’aime bien les deux extrêmes, le moment où on est en immersion dans la recherche et l’exposition est encore loin et un peu floue. On lit, on écrit, on rencontre des artistes, on tire des fils qui nous amènent vers de nouvelles choses, etc. Et de l’autre côté il y a les phases de montage où c’est le rush et l’adrénaline. On donne tout pour voir l’expo sortir de terre et ses idées se concrétiser. C’est assez exaltant de pouvoir trouver ses deux aspects très différents dans un même projet.


Une chose que j’ai cru comprendre au fur et à mesure de notre discussion c’est qu'en fait à la Villette, il n’y a pas de différence entre l’équipe de programmation et l’équipe de développement ?


Il n’y a pas de modèle type,nous sommes une petite équipe dédiée aux expositions, et on s’adapte au projet, si c’est une coproduction qu’on doit coordonner, si c’est une exposition que l’on monte complètement… Dans ce cas on assure nous-même le commissariat. La Villette est un lieu vraiment modulable où l’on reçoit des projets très différent.


Le choix de La Villette d’organiser des expositions visant le grand public comme l’exposition Toutankhamon ou de grands salons comme celui du tatouage est il lié à une volonté de rendre l’art accessible et compréhensible par tous ?


Nous ne sommes pas hors sol, l’intégration dans notre quartier est très importante pour nous. De plus nous sommes au plein coeur d’un parc à la croisée de plusieurs arrondissements et villes. On ne veut pas être coupé de notre public de proximité, très jeune, avec beaucoup de scolaires notamment. On a beaucoup d’exemple de lieux d’art contemporain totalement déconnectés de leur milieu et c’est tout l’inverse de ce que l’on recherche.



La Villette est un lieu immense et c’est à la fois un lieu de création mais aussi un lieu d’accueil de grands événements qui ont vocation à être présentés dans des espaces particuliers, on assume donc ces deux aspects là.



III. Carte Blanche :


Ce qui m’anime ces derniers temps, à titre plus personnel, c’est l’écriture. Cela reste une passion liée à mon univers professionnel car je traite de sujets artistiques. Ce peut être soit des interviews d’artistes, soit plutôt une critique et une analyse de l’œuvre d’un artiste qui m’a touchée particulièrement. Mais j’assume une approche subjective et personnelle. C’est quelque chose que je fais en dehors de tous cadres professionnels, je ne cherche pas à me glisser dans la peau d’un critique d’art selon les critères traditionnels mais c’est une manière d’exprimer ma sensibilité artistique. Depuis que j’ai commencé à partager des textes, ça m’a ouvert d’autres portes, ça a façonné ma propre approche de l’art et ça a intéressé des gens qui me sollicitent par exemple pour du conseil artistique.

Je publie tout ça sur un site ( https://inesgeoffroy.com/ ).


Vous pensez vouloir rester autonome ou pensez vous un jour proposer vos services à des journaux plus professionnels ?


Non je pense que je continuerai à écrire comme ça pour moi ou des magazines qui acceptent une certaine vision. Je n’ai pas envie d’entrer dans un modèle et un formatage de revue d’exposition. Sinon l’étape suivante serait plutôt l’écriture pour l’édition.



IV. Futur projets :



Est ce que vous avez des projets importants pour les prochains mois ou prochaines années dans lesquels vous pensez participer, des expositions où on a demandé votre aide, ce genre de choses comme par exemple l’exposition sur laquelle vous êtes en train de travailler et dont vous nous avez parlé tout à l’heure ?


C’est une exposition qui me tient beaucoup à cœur. Elle provient du Victoria & Albert Museum de Londres mais notre avantage à la Villette c’est d’avoir un espace exceptionnel qui nous permet de doubler l’exposition originelle avec un contenu français inédit. C’est comme si on intégrait une deuxième exposition française en harmonisant le tout. C’est passionnant car depuis un an on effectue de nombreuses recherches sur cette période dont je redonne les cadres 1966-1970 environ et où on parle de toutes les révolutions : artistiques, culturelles, sociales, politiques mais aussi technologiques. On brosse un portrait de tous les bouleversements de la société à cette période donc ça touche à la culture underground, l’esthétique psychédélique, la conquête spatiale, les luttes féministes et homosexuelles, les premiers mouvements de retour à la Terre…

L’un des aspects les plus passionnant est que l’on a un accès privilégié à des artistes qui ont vécu cette période là comme Gérard Fromanger, ORLAN, Erró …




V. Question Coupe-fil Art :


Une de mes œuvres préférées est sûrement Purification de Héla Ammar, une artiste photographe et plasticienne tunisienne qui travaille beaucoup sur les thèmes du féminins.



C’est une très belle série de photo qui m’émeut profondément. Elle représente une femme qui réalise ses ablutions dans une bassine remplie de sang. Ce n’est pas macabre pour autant, il y a quelques choses d’assez subtil et poétique, d’autant plus quand on partage certains codes culturels avec cette femme. ( https://inesgeoffroy.com/2018/12/10/premier-article-de-blog/ )



Propos recueillis par Arno Le Monnyer.

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