Par Antoine Lavastre
Alors que l’exposition Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam vient de fermer ses portes après un triomphe retentissant, la Fondation Custodia, rue de Lille à Paris, a inauguré le 16 juin ce qui peut s’apparenter à un véritable prolongement de l’évènement hollandais. Elle met ainsi à l’honneur un autre peintre originaire de Provinces-Unies : Jacobus Vrel. Présentant des dessins et une quarantaine de tableaux du maître et de ses contemporains, l’exposition, qui s’accompagne d’une première monographie dédiée à l’artiste, cherche à lever le mystère sur cet « énigmatique précurseur de Vermeer ».

Si aujourd’hui Jacobus Vrel est un nom connu seulement par les initiés à la peinture hollandaise du XVIIe siècle, cela est déjà depuis longtemps le cas. En effet, contrairement à son illustre compatriote, le peintre n’a jamais eu la chance de connaître un retour en grâce malgré sa mention par Théophile Thoré dès le XIXe siècle ou dans un article de Jean Clair paru en 1968. Dans ce dernier, l’historien de l’art surnomme d'ailleurs Vrel le « Vermeer du pauvre ». Malheureusement, peu d’éléments biographiques sont à la disposition des chercheurs qui sont pourtant, depuis 2018, organisés autour d’un projet de recherche international dont cette exposition est le fruit. Les archives n’ont ainsi livré aucun document permettant de connaître les dates de naissance et de mort du peintre. De plus, même son activité est très peu connue, excepté par le biais de ses œuvres encore conservées (environ quarante-cinq peintures et un dessin). Leur étude matérielle a permis de montrer qu'elles avaient été peintes vers 1650, soit avant la période d'activité de Vermeer. Vrel qui était vu tel un suiveur devient ainsi un précurseur.
Ce manque d'informations et le traitement parfois naïf de ses œuvres ont longtemps entraîné le fait que Jacobus Vrel ait été compté parmi les « petits maîtres », ces innombrables artistes dont le succès ne dépassa jamais un cercle restreint mais qui sont cependant la part majoritaire de la production artistique d’une époque.
Comme le montre très bien l'exposition, cela est faux pour plusieurs raisons. Tout d'abord, Vrel semble avoir rencontré un véritable succès de son vivant comme en témoignent les multiples versions des mêmes compositions, signes que ses tableaux étaient recherchés. De plus, certaines de ses œuvres ont même fait partie de prestigieuses collections à l'image de celle de l’archiduc Leopold Wilhelm.

Enfin, Vrel est un véritable artiste d’avant-garde. Il semble, en effet, préfigurer dans son art ce qui fera le succès de l’école de Delft. Il est ainsi le premier peintre hollandais à avoir choisi pour sujets des vues de rues et de bâtiments et ce sans contexte historique servant d’alibi à la représentation, ouvrant alors la voie à la fameuse Vue de Delft de Vermeer par exemple. Parfois, il est même seul dans son genre, notamment lorsqu’il montre des intérieurs domestiques complètement vides, à l’exception d'un personnage et d’un morceau de papier portant sa signature.

La majeure partie de ses œuvres présente néanmoins des thèmes plus contemporains. Vrel peint d’ailleurs souvent les mêmes sujets, c’est-à-dire des femmes vaquant aux occupations du quotidien dans une profonde méditation intérieure. Rien ne semble ainsi pouvoir déranger ces Hollandaises qui lisent, cousent, même lorsque l’ombre inquiétante (?) d’un enfant apparait à la fenêtre (Vieille femme à sa lecture, un garçonnet derrière la vitre, The Orsay Collection). Grâce à la présence d'œuvres contemporaines (avec quelques chefs-d'œuvre tel le tableau de Ter Borch), l'exposition montre ainsi très bien les nombreux échanges iconographiques qui existaient alors dans les Provinces-Unies.

Chez Vrel, tout ce qui fait l’essence de la peinture delftoise est déjà là. La minutie de la touche évoque ainsi l’héritage de Carel Fabritius et annonce Pieter de Hooch. Les compositions en intérieur montrant un monde silencieux baigné d’une lumière claire préfigurent elles l’art de Vermeer. Néanmoins, Vrel se distingue par un traitement plus naïf de la surface picturale. Il ne possède pas le talent de ses illustres contemporains pour traiter le monde comme le reflet d’un miroir mais compense par un vrai sens de l’invention. Il compose ses œuvres de manière inattendue, jouant sur les effets de découpage du décor. Vrel place ainsi souvent les enfants qui animent ses œuvres dans des situations déconcertantes comme derrière une vitre ou derrière une barrière (Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte, Détroit, Institute of Arts). De même, il amène de la vie à ses vues urbaines en plaçant des personnages aux fenêtres ou en créant de véritables saynètes à l’étal d’un boulanger (Scène de rue avec une boulangerie près d’un rempart, Hambourg, Hamburger Kunsthalle).

Comme le démontre l’exposition, si Vrel n’est sans doute pas un artiste au talent conférant au génie tel Vermeer, son influence sur les autres peintres hollandais est grande. Il ouvre véritablement la voie en donnant au quotidien un intérêt pictural que sauront valoriser brillamment ses successeurs. En présentant vingt-deux tableaux du maître et son unique dessin parmi un ensemble d'œuvres de son temps, la Fondation Custodia permet ainsi de redécouvrir ce précurseur avec près de la moitié de son corpus tout en le replaçant dans son époque. Il s’agit donc d’un évènement immanquable loin des expositions blockbusters où tout est déjà connu à l'avance.
JACOBUS VREL. ÉNIGMATIQUE PRÉCURSEUR DE VERMEER
du 17 juin au 17 septembre 2023
Fondation Custodia / Collection Frits Lugt
121, rue de Lille - 75007 Paris
Tous les jours sauf le lundi, de 12h à 18h
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