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James Christie, premier commissaire-priseur d’Angleterre




Si le monde des enchères se développe au XVIIe siècle dans les Provinces-Unies, c’est bien au XVIIIe siècle qu’il se généralise et devient un milieu prisé par les plus grands collectionneurs. La France joue alors un rôle très actif dans ce domaine et devient l’une des principales plaques tournantes du marché de l’art où les enchères deviennent un véritable phénomène de société. L’historien franco-polonais Krzysztof Pomian estime par exemple que l’on passe à Paris de 5 ventes par an en 1730 à 430 ventes par an en 1780. Pour autant, d’autres places européennes commencent à émerger. C’est le cas de Londres où des personnalités telles que James Christie deviennent indissociables de ces milieux d’affaires florissants. S’il n’est pas véritablement l’inventeur de sa profession, c’est cependant à James Christie que l’on doit l’invention de la vente aux enchères comme nous la connaissons aujourd’hui et c’est très certainement cela qui lui valut ce titre de premier commissaire-priseur d’Angleterre. Coupe-File Art vous propose cette semaine de revenir sur la vie de cette figure marquante de l’histoire de l’art.


Thomas Gainsborough (1727-1788), Portrait de James Christie, 1778, huile sur toile, J. Paul Getty Museum, Los Angeles

C’est en 1730 que naît James Christie à Perth, en Ecosse, d’une mère écossaise et d’un père d’origine anglaise. Vendeur de matelas, c’est peut-être ce dernier qui lui donna le sens des affaires. Issu d’un milieu social relativement modeste, le jeune Christie se destine tout d’abord à une carrière militaire. Il s’engage ainsi dans la Royal Navy comme simple aspirant. Ne parvenant pas à s’y faire une place, il décide d’en démissionner vers 1750. C’est alors qu’il tente sa chance dans le monde de l’Art en partant à Londres. Avait-il déjà une quelconque ambition personnelle lorsqu’il se fait engager comme assistant au sein de la maison de vente Annesley à Covent Garden ? Personne ne saurait désormais le dire mais c’est bien dans ce domaine qu’il réussira quelques années plus tard.


Étant parvenu à se constituer les fonds et l’expérience nécessaires pour pouvoir prendre son indépendance, c’est le 5 décembre 1766 qu’il fonde sa propre maison de ventes aux enchères à Pall Mall, dans le centre de la capitale anglaise. Il la baptise tout simplement Christie’s, sans doute pour que chaque personne franchissant sa porte n’oublie pas son nom en sortant. Ses premières ventes sont assez communes : il disperse quelques collections de petits propriétaires après leur décès et liquide des fonds de commerces de marchands et vendeurs de tapisseries ou de céramiques. Il organise ses ventes en constituant des lots et en publiant des catalogues, des pratiques qu’il reprend du marché français où le marchand-mercier Edme-François Gersaint les avait inventés et systématisés.

Joshua Reynolds (1723-1792), Autoportrait à la main en visière, vers 1748, huile sur toile, National Portrait Gallery, Londres

Très rapidement James Christie cherche à diversifier son activité et il commence à vendre des objets d’art et des tableaux. Le 21 mars 1767 a lieu sa première vente de peintures qui ne rencontre qu’un relatif succès. Sur quarante-et-un lots seuls dix trouvent preneur. Il ne se décourage pourtant pas et il parvient à force de travail à se faire une petite réputation dans la bonne société britannique. Christie a en effet plusieurs qualités qui le distingue de sa concurrence directe : il a un grand talent d’éloquence et un très bon sens de l’humour. Il s’attire de ce fait les sympathies de nombreuses célébrités du temps comme l’acteur David Garrick, le peintre Joshua Reynolds, l’un des trois fondateurs de la Royal Academy of Arts en 1768, ou le célèbre portraitiste anglais Thomas Gainsborough, membre de cette même académie et qui réalise son portrait en 1778. Lorsque son entreprise, encore jeune à l’époque, connaît des difficultés financières, c’est auprès d’eux qu’il se tourne pour obtenir de l’aide.


En plus de son éloquence et de son caractère sympathique, Christie se révèle être aussi un excellent communiquant qui soigne l’image de son affaire. Il transforme ainsi ses ventes en véritables spectacles publics où il se met en scène sur une estrade derrière un pupitre qu’il fait réaliser par un autre de ses amis alors très en vue, l’ébéniste Thomas Chippendale. Cette pratique, tout à fait révolutionnaire à son époque est à présent bien familière aux habitués des salles de ventes du monde entier. Il est enfin le premier à utiliser massivement la publicité pour gagner en popularité. Pour se faire, il devient actionnaire de deux journaux concurrents, le Morning Chronicle et le Morning Post pour y publier les annonces de ses prochaines ventes.



Dès les années 1770-1780, les ventes chez Christie’s deviennent de véritables événements et les caricaturistes britanniques ne s’y trompent pas. La notoriété de la maison devient telle que James Christie n’a plus besoin de se faire sa promotion pour que les journaux et la bonne société londonienne parlent de lui. Le succès est assez important pour qu’il déménage le siège de sa compagnie au 125 Pall Mall dès 1770. Il s’associe également à partir de 1769 et jusqu’en 1784 avec Robert Ansell, qui achète pour lui des peintures sur le continent et qu’il revend en salle. C’est durant ces années que Christie est missionné comme expert pour estimer la collection d’Horace Walpole, héritée de son père, Sir Robert Walpole qui fut Premier Ministre. Christie’s est même mandaté par celui-ci pour négocier son achat par Catherine II de Russie au prix estimé de 40.000£.

Jean-Baptiste van Loo (1684-1745), Portrait de Robert Walpole, 1740, huile sur toile, Houghton Hall, Norfolk

Les années 1790 marquent un véritable tournant dans l’histoire de la désormais célèbre entreprise. Alors qu’il est un des marchands d’art les plus cotés d’Angleterre, c’est la Révolution française qui le fait connaître sur la scène européenne. A cause des troubles politiques outre-Manche, la France perd son statut de première place d’enchères en Europe. Les autres puissances européennes sont également en guerre contre les révolutionnaires français puis contre Napoléon et l’heure n’est alors plus au commerce artistique sur le Vieux Continent. Seul le Royaume-Uni échappe aux difficultés militaires et politiques de par sa situation géographique, ce qui bénéficie à ses maisons de ventes.


C’est ainsi que le commissaire-priseur réalise ses premières ventes les plus célèbres. Après avoir dispersé les biens de son ami Thomas Gainsborough, décédé en 1788, il procède à la vente des bijoux de Madame du Barry, victime de la Révolution en 1795. C’est également en 1798 que le collectionneur français Noel Desenfans, venu s’installer à Londres, lui confie la dispersion des œuvres qu’il avait collectés pour le dernier roi de Pologne Stanislas II Poniatowski, déchu de son titre en 1795. Toutes ces ventes qui firent date durant les dernières années du XVIIIe siècle firent de Christie’s la maison où les plus grandes familles vinrent céder leurs œuvres d’art. Ainsi réalise-t-elle encore la vente des collections de William Ponsonby, 2e comte de Bessborough ou de l’écrivain et collectionneur William Beckford.

Attribué à Léonard de Vinci (1452-1519), Salvator Mundi, vers 1500, huile sur bois, collection particulière

Lorsqu’il meurt le 8 novembre 1803 à l’âge de 73 ans, James Christie laisse derrière lui cinq enfants et une entreprise dont le succès et la réputation ne seront jamais démentis. Sa famille s’occupera de la compagnie d’abord avec l’aîné des cinq fils, James Christie le Jeune et jusqu’en 1889, date du départ en retraite de l’arrière-petit-fils du fondateur. Aujourd’hui encore Christie’s est la première maison de ventes aux enchères au monde. Avec ses 85 salles autour du globe notamment à Londres bien sûr, mais aussi à New-York, Hong-Kong ou encore Paris, ce géant du marché de l’art réalise toujours des records mondiaux d'adjudications, comme avec le désormais célèbre Salvator Mundi en 2017, pour une somme de 450,3 millions de dollars frais compris. Elle totalise ainsi sept milliards de dollars en volume de ventes annuel, juste devant son rival de toujours, la maison londonienne Sotheby’s, avec 6,4 milliards de dollars, suivi de loin par la maison française Artcurial, troisième du classement avec environ 241,7 millions de dollars en volume de ventes annuel… Le marché mondial de l'art est aujourd'hui plus que jamais sous domination britannique.

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