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L' Âge d'or de la peinture danoise au Petit Palais

De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque un âge d’or ? D'une période historique considérée comme idéale ? Difficile à appliquer pour le Danemark qui, au début du XIXe siècle, subit catastrophes sur catastrophes : bombardement de sa capitale, faillite de l’Etat, perte de ses territoires norvégiens suite au Traité de Kiel en 1814… Mais cela peut aussi évoquer un apogée dans l’évolution de l’art, un moment où des artistes inventifs semblent trouver une véritable harmonie et une identité propre dans une société au bouillonnement culturel intense. Et cette fois-ci, la définition correspond.

Initialement prévue pour avril 2020, c’est finalement le 22 septembre que l’exposition « L'Âge d’or de la peinture danoise (1801-1864)» a ouvert ses portes au Petit Palais, nous invitant à une immersion sans précédent dans le Danemark d’il y a 200 ans.


Et en effet, immersion semble être le mot juste pour désigner la production artistique de cet Âge d’or, que l’exposition retranscrit à travers un parcours thématique liant peinture et contexte historique. D’abord par la scénographie, celle-ci accompagnant subtilement les œuvres avec des murs de couleurs vives rappelant entre autres les intérieurs des anciennes maisons de Copenhague, ou encore des tons plus froids inspirés de l’atmosphère nordique. Ensuite, parce que les peintres eux-mêmes se font représentants de leur société, de leurs mœurs, de leur pays. Rompant avec les codes de l’art qui règnent en Europe à la même époque, ceux-ci innovent et refusent les cloisons ; ils touchent à tous les genres, s’inspirant du monde en pleine effervescence qui les entoure.


Eckersberg, vue du jardin de la Villa Borghèse à Rome, 1814, ©Coupe-File Art

Ainsi, si l’exposition commence par présenter le grand peintre que fut Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853) et lui dédie la première salle, nombre de ses œuvres sont présentes tout au long du parcours, l’artiste étant un exemple type de cette polyvalence. Chef de file de l’école de Copenhague, l’on a même parlé d’école d’Eckersberg, tant son influence dans ce renouveau artistique danois fut conséquente. Il ramène de Paris le néoclassicisme de David, dont il intégra l’atelier durant un an, et le goût pour la peinture de plein air d’Italie, où il fréquenta le célèbre sculpteur Thorvaldsen. En témoignent ses vues de Rome, fourmillantes de détails et à la lumière subtile et réaliste, fruit d’un travail sur le motif minutieux. Rapidement reconnu, il rejoint l’Académie royale des beaux-arts du Danemark en qualité de professeur d’abord, de directeur ensuite, où il participe à renouveler l’apprentissage même de l’art, en faisant notamment admettre le modèle féminin dans les salles de classe, ce qui était auparavant interdit.


Cette peinture académique, ainsi que le contexte de l’atelier, font d’ailleurs l’objet de toute une seconde partie, qui permet au visiteur de s’immerger dans le travail des artistes de l’époque, qui acquièrent alors un statut privilégié. Une reconstitution fictive d’un de ces ateliers de peintre, cachée derrière l’une des cloisons, aide par ailleurs à se rendre compte de toute l’importance que prend l’observation de la réalité dans les représentations picturales de l'Âge d’or, supplantant la grande peinture d’histoire et sa part importante donnée à l’imaginaire qui était jusque là au sommet de la hiérarchie des genres.


De haut en bas : Skovgaard, Etudes de nuages et cime d'arbre, vers 1840 et Lundbye, étude de nuages, 1843 ©Coupe-File Art

De fait, les artistes s’intéressent de près aux genres des portraits, des paysages et des scènes de genre, qu’ils s’approprient et réinventent par des nouveautés de sujets et de traitements que l’exposition met intelligemment en avant. On observe notamment une grande originalité dans les cadrages, qui nous paraissent aujourd’hui encore d’une grande modernité, et qui semblent s’appliquer à tous les genres. Ainsi, des grands noms de l'Âge d’or comme Skovgaard (1817-1875) ou encore Lundbye (1818-1848) poussent encore plus loin les recherches d’Eckersberg en peignant des paysages sous un angle nouveau. Il suffit pour cela de regarder leurs études de nuages, des peintures de petit format audacieuses qui ne signifient la présence d’un arbre que par la cime, soufflant ainsi une grande force à la représentation du ciel et aux phénomènes météorologiques, symbole aussi de la forte influence des progrès de la science sur les artistes danois.


Les plans peuvent se faire également très rapprochés, avec des points de vue tout à fait inhabituels pour l’époque : la représentation d’un pan de mur d’une maison délabrée, de l’intérieur sombre d’une gondole vénitienne, ou encore la vue coupée d’un toit, comme le fait Købke (1810-1848), autre figure centrale, avec Une des petites tours du château de Fredericksborg.



Mais la peinture danoise du XIXe siècle, c’est aussi la mise à l'honneur de la vie de tous les jours ; celle des peuples étrangers, mais aussi - et surtout - celle du peuple scandinave.

L’exposition propose une salle dédiée aux portraits, arborant des couleurs chatoyantes et agréables qui nous font véritablement entrer dans l’ambiance particulière de la société de l'époque. Les commandes fusent alors que se développe au Danemark la nouvelle bourgeoisie marchande et commerçante, qui désire embellir ses intérieurs. Là encore, les artistes se distinguent de leurs homologues européens. En effet, chose assez inhabituelle à nouveau et probablement influencée par les écrits de Rousseau au XVIIIe siècle, l’enfant est considéré sur ces tableaux comme un membre à part entière de la famille, jouant, riant, travaillant, partageant des moments de tendresse avec leurs parents. La salle démontre bien cet aspect majeur du portrait de cet Âge d’or, en consacrant tout un mur aux représentations d’enfants, devenus dignes d’être des sujets d’études tout en nuances, au delà d’une représentation froide et figée comme on en trouverait au même moment par chez nous.

La même originalité se retrouve dans les scènes de genre inspirées de la vie quotidienne danoise, et principalement celle de Copenhague, pour lesquelles les peintres se prennent d’affection, et qui permettent là encore une immersion poétique dans une époque révolue : la vie est montrée sans surenchère, parfois avec une pointe d’humour, mais telle qu'elle est simplement.




Près de 35 ans après la dernière exposition consacrée à la peinture danoise à Paris, c’est donc une exposition lyrique et maîtrisée que nous propose le Petit Palais. Avec un propos juste et complet, elle nous permet non seulement de découvrir des œuvres uniques et sublimes, mais également de comprendre jusqu’à la pensée des artistes, en nous entrainant à travers leurs réflexions, leurs observations et leurs voyages. Véritable plongeon dans la société et les paysages scandinaves, « l'Âge d’or de la peinture danoise » émerveillera sans aucun doute le visiteur, et ce jusqu’à la dernière salle, empreinte de nostalgie, marquant la fin, avec l’éclatement de la guerre des Duchés en 1864, de cette époque artistiquement remarquable.


Raphaëlle Agimont


 

"L' Âge d'or de la peinture danoise (1801-1864)" au Petit Palais, jusqu'au 3 janvier 2021

Du mardi au dimanche de 10h à 18h

Nocturnes les vendredis jusqu'à 21h

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