Malgré la grande distance qui nous sépare de l'Empire du Milieu, il est difficile d'avoir échappé à ces images de guerriers de terre cuite figés à jamais dans d'énormes fosses. Découvert fortuitement en 1974 pendant le creusement d'un puits par des habitants du village de Xyiang, cet impressionnant ensemble de plus de 6000 statues constitue le Mausolée du premier Empereur que la Chine ait connue : Qin Shi Huangdi.
La première Chine impériale
Au IIIe siècle avant notre ère, la Chine fait face à une période de forte instabilité politique. En effet, la dynastie royale des Zhou orientaux, qui régnait sur le territoire depuis 771 avant Jésus-Christ, se voit destituée par la prise d'indépendance de petits royaumes sans cesse en guerre pour l'hégémonie. L'un d'eux est le royaume de Qin qui, progressivement, conquiert et soumet tous les autres. Cette période instable de conflits continus est définitivement stoppée par l'avènement du premier empereur, issu de ce royaume, qui prend le nom de Qin Shi Huangdi, en 247 avant Jésus-Christ. De sa nouvelle capitale Xianyang, il fait souffler un vent nouveau sur la Chine, notamment avec l'instauration du légisme, courant de pensée prônant un certain absolutisme. Le souverain est tout puissant, et tout lui est dû ; ainsi lui attribue-t-on un règne cruel, durant lequel aucune opposition n'est tolérée. Grand conquérant tenant son empire d'une main de fer, sa gouvernance est également marquée par une série d'innovations majeures, comme l'unification du système monétaire, de la langue, de l'écriture ou encore des mesures. C'est aussi à lui que l'on doit la construction de la grande muraille.
C'est pourtant une simple superstition qui va mener à sa perte : obsédé par l'immortalité, il est dit qu'il meurt en ingérant des "perles rouges" au sulfure de mercure, le 10 septembre 210 avant Jésus-Christ, alors qu'il pensait que chacune d'entre elle allait lui allonger son espérance de vie. La dynastie Qin ne survivra pas à sa disparition.
Un mausolée pour l'âme de l'empereur
Qin Shi Huangdi fut enterré au sein d'un complexe monumental, non-loin de la ville de Litong, dans la province du Ningxia. L'existence de ce site a toujours été connue, mais la découverte de 1974 révéla un ensemble encore plus fameux que ce que l'on croyait auparavant. En effet, en plus du tumulus funéraire de l'empereur encore jamais fouillé, les archéologues ont recensé plus de 600 fosses, dont seulement 8 sont aujourd'hui étudiées (en effet, ces fouilles sont extrêmement onéreuses, et l'ouverture des fosses met en danger la conservation des objets).
Ainsi, rien que dans la première, la plus grande, c'est plus de 6000 soldats et chevaux pétrifiés qui prennent place, comme une véritable armée impériale prête à défendre son souverain. Celle-ci est complétée par six autres, qui comprennent fantassins, cavaliers, montures, des armures de calcaire et même des probables fonctionnaires ; chaque fosse constitue un groupe très précis, dans une véritable organisation militaire. La septième est particulièrement intéressante ; on y a regroupé des personnages semblant ramer et des animaux aquatiques, et l'on pense que là se serait trouvé à l'origine une salle d'eau. Seule la fosse numéro 4 fut retrouvée vide, sans doute inachevée.
Cet ensemble est très représentatif de la conception de la mort chinoise de cette période ; pour eux, une partie de l'âme, appelée âme lourde, restait dans la tombe, tandis que la légère partait au ciel. Il fallait dès lors assurer son confort dans l'au-delà, ainsi que sa sécurité, garantie par ces soldats.
Fait incroyable, toutes ces statues, pesant chacune entre 150 et 200kg, sont individualisées ; aucune n'est identique à une autre ! De plus, elles présentent encore des traces de polychromies, ces couleurs permettant entre-autre de reconnaitre leur statut dans l'armée. Sans être des portraits, ce sont de véritables personnes qui constituent ce microcosme mortuaire. Les ouvriers avaient un carnet de modèles regroupant par exemple différents éléments de visage, qu'ils pouvaient mélanger à leur guise pour en faire des exemplaires uniques. En tout, il fallut plus de trente ans pour leur fabrication, basée sur les techniques du colombin et du moulage.
Ces statues ne furent pas les seules choses retrouvées dans ces fosses ; on a aussi des objets en bronze prestigieux, comme des chars, qui venaient renforcer les rangs de l'armée impériale.
Dans la sixième reposaient des ossements de chevaux réels, qui furent apparemment brûlés. De plus, l'historien Sima Qian, postérieur d'une centaine d'année, raconte que les ouvriers ayant assisté à l'enterrement de l'empereur furent emmurés vivants dans le mausolée, afin de ne jamais en divulguer les secrets. Cela est assez exceptionnel, car le sacrifice humain et animal lors de l'inhumation d'un haut personnage était devenu rare depuis la fin des Zhou.
Le mausolée de Qin Shi Huangdi est donc à la hauteur de son règne : grandiose, spectaculaire malgré sa réputation de dirigeant cruel, le tout empreint de superstition et des croyances chinoises. Déjà extrêmement riche, le complexe est encore loin d'avoir livré tous ses secrets ; peut-être les progrès futurs de l'archéologie nous permettront-ils de faire encore d'autres découvertes plus extraordinaires les unes que les autres.
Raphaëlle Agimont
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