Par Célia De Saint Riquier
En 2011, Martin Scorsese sortait Hugo Cabret, adaptation du roman L’Invention de Hugo Cabret de Brian Selznick. Il n’était pas étonnant que ce ponte – à qui l’on doit, outre tous ses films, Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, véritable déclaration d’amour au septième art hollywoodien – s’empare de cette fiction, en ce qu’elle permet de rendre hommage à l’un des pères du cinéma des premiers temps, Georges Méliès. « On, descend tous de Méliès ! » affirme-t-il. C’est en ce sens que s’organise le tout récent Musée Méliès de la Cinémathèque française, qui remplace l’ancien parcours chronologique retraçant les origines du septième art.
Rendant à la fois hommage au premier magicien du cinéma et au spectaculaire cinématographique, le musée propose un beau voyage entre la terre et l’espace, faisant presque de Georges Méliès le chef d’orchestre des étoiles.
L’intelligence de ce nouveau parcours est de proposer, dans toutes les salles, à la fois un dialogue entre la personnalité de Méliès et son époque, celle de l’émergence du cinéma, mais aussi de proposer un aller-retour entre ce passé et le présent du septième art, entre origines et héritage en somme. Contrairement à ce que son nom aurait pu laisser croire, le musée Méliès ne constitue donc pas simplement une monographie de l’œuvre du pionnier, mais plutôt une plongée dans son époque, dans son univers et l’univers qu’il initia.
Nous retraçons donc, en parallèle de sa vie, l’émergence du cinématographe des Lumière qui l’emporta sur ses concurrents jusque dans le nom de l’art qu’il devient. Pour permettre aux Lumière d’inventer leur machine, nous suivons de même la corrélation entre amélioration des recherches dans le spectaculaire, via les lanternes magiques et les fantasmagories de Robertson aux XVIIe et XVIIIe siècles, entre recherches dans le phénomène de l’illusion du mouvement, de l’ancêtre thaumatrope aux pantomimes lumineuses de Reynaud, et enfin, l’amélioration des principes de photographie instantanée, permettant l’obtention des « prises du réel ». La scénographie met l’accent sur l’appropriation des objets plus ou moins complexes par le public qui peut activer les différentes machines.
Le magicien n’est jamais bien loin, il est présent à la première séance de projection publique payante du cinématographe le 28 décembre 1895, et cherche ensuite à créer son propre cinématographe, via l’aide d’une connaissance en Angleterre. Il filme, comme les Lumière, des vues, des extraits de la vie quotidienne, qu’il projette comme intermèdes dans ses spectacles de prestidigitation du théâtre Robert-Houdin à Paris.
Mais Méliès, s’il produisit lui aussi des arrivées de trains dans des gares, n’est pas connu pour cette partie là de sa filmographie. Dès 1896, il propose son premier film mettant en place un trucage : Escamotage d’une dame chez Robert-Houdin. Dans la scénographie, il est possible de projeter soi-même le film, expérience émouvante pour tout amoureux du cinéaste. Après ce premier succès, s’en suivent ensuite de toujours plus grandes complexifications dans l’élaborations de ses films, ce qui lui vaut, à raison, le surnom d’ « inventeur des effets spéciaux ». Certes, il n’est pas le seul à cette époque à savoir employer les surimpressions et les arrêts caméras, mais dans les films de Méliès, les enchevêtrements de techniques tiennent largement du prodige. Et sa technicité, au-delà de lui permettre de réaliser des numéros de prestidigitation parfaits, transporte aussi le public dans un univers inspiré de sa culture personnelle. Elevé aux fééries du Châtelet – ces spectacles hérités des représentations à la cour de Louis XIV –, mais aussi aux romans de Jules Verne, Méliès plonge dans la fiction, dans le milieu rassurant des rêves, où les fées font pousser les haricots, et les hommes font disparaitre les Sélénites d’un coup de parapluie sur la tête.
Cette période faste de Méliès, est mise en rapport avec ses contemporains, au premier chef Pathé et Gaumont, qui copient largement les productions du magicien. Sortent de terre les premiers studios du cinéma, celui de Méliès à Montreuil occupant la place de premier studio de tournage construit en Europe. Méliès y tourne l’un des premiers films qui eut un retentissement international, Le Voyage dans la Lune, auquel est dédié une salle entière du musée. De l’amateurisme plaisant, émerge donc une industrie, où la compétition est rude. Très vite, et malgré de nombreuses tentatives d’adaptations de son art, Méliès se fait rattraper et dépasser par la concurrence.
La scénographie du musée montre alors la prise de relai, l’héritage de Méliès, dans l’avènement du genre de la science-fiction et des films féériques. L’hommage au magicien du cinéma se transforme en un hommage à la magie du cinéma lui-même. Le Voyage dans la Lune trouve son écho dans La Guerre des étoiles, jusqu’à Avatar, qui fut une véritable révolution en matière d’effets spéciaux.
A travers ce parcours ludique, poétique et émouvant, chaque visiteur pourra rencontrer le magicien qu’était Georges Méliès, personnage passionnant, d’une curiosité et d’une imagination sans limites, et qui initia sans s’en douter plus d’un siècle de création cinématographique du merveilleux. L’ouverture du nouveau Musée Méliès a aussi donné lieu à l’édition d’un ouvrage passionnant : Méliès, la magie du cinéma, qui permet d’aborder ses films sous un aspect patrimonial. Laurent Mannoni, le Directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française, y partage les récentes découvertes scientifiques sur les films du réalisateur, mais aussi les rapports entre Georges Méliès à la fin de sa vie, et le tout jeune Henri Langlois, qui participa à sa redécouverte et qui protégea, avec l’aide de Madeleine Malthête Méliès (la petite fille du réalisateur), l’œuvre du premier magicien du cinéma. La fin du livre est enfin laissée à des grands réalisateurs, qui rendent hommage de façon touchante à cette figure emblématique du cinéma des attractions :
« Méliès a posé les jalons magiques qui sont à la racine de tous les films, ce pouvoir qu'ont les ombres et les images d'employer l'illusion pour libérer les émotions qui résident au cœur du public. Cette magie serait-elle devenue la base fondamentale du cinéma si Méliès n'avait pas existé ? Je n'en suis pas sûr. » Francis Ford Coppola.
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