Par Margot Lecocq
Devenue l'icône du féminisme artistique australien du début du XXe siècle, Emily Hilda Rix Nicholas (Ballarat, 1884 – Delegate, 1961) était déjà très appréciée de ses contemporains qui estimaient qu’elle était l’une des seules femmes australiennes à avoir su s’illustrer en peinture sur la scène occidentale.
Ses succès aux Salons de 1910 et 1911, et l’achat de plusieurs de ses œuvres par l’État français pour le musée du Luxembourg dont l’esquisse pour Grand Marché, Tangier (1912) en font une artiste au talent reconnu. Dès le début de sa carrière, Hilda multiplie les expositions à succès (en décembre 1912 elle expose à Paris dans la galerie Chaine et Simonson aux côtés de Paul de Castro, puis en 1913, elle présente ses œuvres dans l’exposition annuelle de la Société des Peintres Orientalistes Français), séduisant la critique internationale tant par ses portraits à la forte psychologie que par ses dessins orientaux et ses paysages pittoresques. La vivacité de ses teintes colorées et la sincérité de ses peintures touchent particulièrement ceux qui les regardent. Si très peu de ses œuvres sont aujourd’hui conservées en France, c’est en Australie à l’occasion de l’exposition « Une australienne : Hilda Rix Nicholas in Paris, Tangier and Sydney » tenue à la Mosman Art Gallery en 2014 que la redécouverte de son œuvre s’est progressivement effectuée dans le monde anglo-saxon. L’art d’Hilda est profondément lié à son vécu et aux joies et drames qui ont traversé sa vie. De sa formation consciencieuse en Europe, en passant par l’insouciance de ses séjours à Tanger, la douloureuse perte de ses proches, son retour en Australie et son dernier voyage en France, elle tire une force profonde. Cette existence tantôt enchantée, tantôt tragique, l’amène à peindre ce qui l’entoure et ce qu’elle affectionne en une multitude de motifs qui disent son amour pour la vie. L’Orient, la couleur, les femmes, les paysages australiens et la mode lui permettent de rêver et de s'épanouir.
Fascinée par la peinture et le dessin depuis sa plus tendre enfance, Hilda bénéficie des conseils du peintre Frederick McCubbin à la National Gallery of Victoria Art School avant d’intégrer la Melbourne Society of Women Painters and Sculptors, fondée en 1902 par plusieurs artistes sensibles à l’esthétique impressionniste et aux arts décoratifs.
Encore en pleine institutionnalisation, l’enseignement artistique en Australie ne laisse qu’une place infime aux femmes et leurs expositions sont regroupées dans des pavillons spécifiquement dédiés, ce qui ne leur permet pas d’accéder à la même reconnaissance que leurs confrères masculins.
Désireuses d’apprendre de nouvelles techniques, de nombreuses artistes australiennes comme Thea Proctor (1879-1966) et Margaret Preston (1875-1963) partent se former et exposer à l’étranger.
Si sa participation au Austral Salon permet à Hilda de confronter son art au public, elle reste néanmoins fascinée par les enseignements artistiques européens. À la mort de son père, elle convainc sa mère Elizabeth et sa sœur Elsie de quitter l’Australie et de se rendre à Londres, où elle étudie à la New Art School avant de s’établir en France en octobre 1907. C’est dans le Paris de la Belle Époque et le quartier de Montparnasse que la famille s’installe. Hilda s’empresse de suivre une multitude de cours, notamment à l’Académie Delecluse et à l’Académie Colarossi. Les enseignements d’Auguste-Joseph Delecluse ne la satisfont pas complètement, déplorant une trop grande monotonie de la couleur chez son maître, bien qu’elle en apprécie le dessin et la possibilité de travailler d’après plusieurs modèles. Hilda lui préfère tout de même le coup de pinceau de Richard Emil Miller, un peintre américain passé par Giverny. En 1910, elle s’installe à Étaples et s’adonne à la peinture de plein air. Elle côtoie de nombreux artistes dont Jules Adler, qui l’accueille à plusieurs reprises dans son atelier et pour qui elle éprouve une profonde admiration. Mais c’est à Paris qu’Hilda découvre un mode de vie flamboyant et sophistiqué qui éveille chez elle une passion pour les vêtements, les étoffes et le déguisement.
Ce goût pour la mode s’exprime surtout dans les portraits de femmes qu’elle réalise dès son séjour parisien comme The Pink scarf (1913), où le portrait s'efface derrière la toilette de son modèle. Cette fascination se retrouve dans les motifs qu'elle peint lors des années suivantes : l’Orient, la couleur et les femmes. Ces derniers irriguent son art dont La robe chinoise (v. 1913) en est le synchrétisme et une peinture très personnelle qui représente sa soeur Elsie « s'amusant à se "déguiser" et à jouer le rôle d'une belle dame hautaine. En créant l'image d'un modèle européen vêtu d'un riche costume bleu et rouge de conception orientale et en le plaçant dans un cadre ornemental, Rix a exploité de manière ludique l'exotisme de l'Orient et ses différences culturelles. » (Gorman Clem, Intrépide : Australian Women Artists in Early Twentieth-Century France)
En 1912, Hilda effectue un premier voyage au Maroc avant de s’y rendre à nouveau en 1914 accompagnée d’Elsie. Lors de chacun de ses séjours, elle pose ses bagages au Grand Hôtel Villa de France à Tanger, où séjourne également Henri Matisse. Hilda expérimente en peignant le quotidien du souk, son endroit favori jugé propice à la création. Dans cette profusion d’échoppes, de couleurs, d’odeurs et de tissus, peindre des marocaines, leur mode de vie, leurs traditions et leurs vêtements devient rapidement son passe-temps de prédilection comme en témoigne sa toile Two women in the marketplace (v. 1912-1914).
Durant ses voyages à Tanger, Hilda est entourée de femmes : des épouses de diplomates, des marocaines, des artistes et sa sœur. Elle les peint à maintes reprises non pas par conviction, mais plutôt parce qu’elle les admire, les trouve belles et est fascinée par leurs vies. Si la vision d’une femme occidentale peignant au beau milieu du souk ne va pas de soi, être une peintre à Tanger dans les années 1910 revêt pourtant certains avantages. Sa présence intrigue mais ne dérange pas, éveillant tout au plus un sentiment de curiosité dont l’artiste se joue en revêtant des vêtements typiques qui renvoient à son amour pour le déguisement. Ce stratagème combiné à sa bienveillance lui permet de mettre en confiance de nombreuses femmes à qui elle demande de poser, bien qu’il lui arrive parfois de devoir abandonner son croquis car son modèle s’enfuit suite à la manifestation soudaine d’un sentiment de timidité.
Cette parenthèse merveilleuse entre Occident et Orient, entre Paris, Tanger et Étaples se ferme brusquement lorsqu’Elsie et Elizabeth décèdent simultanément du typhus en 1914. Profondément attristée, Hilda se réfugie dans sa peinture et dans sa récente union avec le major George Matson Nicholas. Mais, ce bonheur est éphémère puisqu’il est appelé au front où il perd la vie. Cette triste période dans la vie d’Hilda marque un tournant majeur dans son œuvre : dévastée par le chagrin, elle regagne l’Australie en 1918 et s’intéresse de plus en plus à son pays natal, à ses paysages singuliers qu’elle représente dans plusieurs peintures dont Through the gum trees, Toongabbie (v. 1920), tableau dans lequel elle fait savamment cohabiter dessin, touche libre et contrastes lumineux. Cette composition oppose la chaleur suffocante de l’été australien à un sous-bois ombragé d’eucalyptus tout en donnant une grande douceur à ce paysage.
Si Hilda ne cesse pas brutalement de peindre des femmes à son retour en Australie, sa peinture prend une dimension plus engagée et, pour la première fois dans sa carrière, il y a chez elle la volonté de montrer qu’une femme est tout à fait de taille pour rendre hommage à son pays. Elle se positionne comme étant « l’homme de la situation » pour réaliser cette tâche et le démontre dans une peinture restée célèbre dans sa carrière : The fair musterer (1935), où elle représente une « bushwoman » australienne gardant son troupeau dans un pâturage. Son engagement se prolonge dans le domaine de l’enseignement artistique puisqu'elle reçoit plusieurs élèves dans son studio de Sydney et leur transmet l’ensemble de ce qu’elle a appris lors de son périple en Europe. Mais Hilda porte toujours en elle les traumatismes de la Première Guerre mondiale et se met progressivement à peindre des sujets plus sombres parmi lesquels des conflits, des soldats et les horreurs du front. Ces œuvres, à l’esthétique très différente du reste de sa production, ont longtemps mis à l’écart ses peintures parisiennes et marocaines. Dans les années 1920, Hilda retourne en Europe et en France, où elle est faite membre de la Société Nationale des Beaux-Arts. Elle expose ses toiles et fait de l’Australie et de ses paysages une véritable Arcadie d’après-guerre qui suscite l’intérêt de la critique. La revue Comœdia publie en janvier 1925 un commentaire attestant que « Madame Hilda Rix Nicholas, à travers les eucalyptus et les saules dorés, fait surgir les vastes horizons et les types vigoureux de la lointaine Australie ». Ce succès européen, aujourd’hui oublié, l’amène à rencontrer son second époux avec lequel elle rentre en Australie en 1928. La naissance de leur fils et la désapprobation nouvelle pour sa production artistique de la part de ses compatriotes l’amènent à cesser d’exposer et de peindre à la fin de sa vie.
« Une australienne : Hilda Rix Nicholas in Paris, Tangier and Sydney » marquait donc une forme de reconsidération pour un pan majeur de sa carrière et de sa vie, et l’on ne peut qu’espérer qu'une nouvelle exposition de son œuvre se tiendra bientôt, permettant peut-être à cette Europe qu'elle a tant aimée d'enfin renouer avec son art.
Bibliographie :
● Gorman Clem, Intrépide : Australian Women Artists in Early Twentieth-Century France, Clayton, Monash University Publishing, 2020.
● Hoorn Jeanette, “Feminising orientalism: The art of Hilda Rix Nicholas”, Hecate, St. Lucia : Hecate Press, 2016.
● Hoorn Jeanette, “Painting Portraits in Private: Hilda Rix Nicholas and Henri Matisse in Morocco”, Routledge, 2016.
● Engledow Sarah, Paris to Monaro : Pleasures from the Studio of Hilda Rix Nicholas [exposition, National Portrait Gallery, Canberra, 31 Mai - 11 Août 2013], Canberra, National Portrait Gallery, 2015.
● Hoorn Jeanette, Hilda Rix Nicholas and Elsie Rix’s Moroccan Idyll : Art and Orientalism, Carlton, Miegunyah Press, 2014.
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