Violette blanche, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12)
"Je raffole de la botanique : cela ne fait qu’empirer tous les jours, je n’ai plus que du foin dans la tête, je vais devenir plante moi-même un de ces matins, et je prends déjà racine à Môtiers."
C'est en des termes aussi imagés, chargés d'humour et de poésie que Jean-Jacques Rousseau dépeint en 1775, à plus de soixante ans, la passion qui a animé les quatorze dernières années de sa vie : la botanique.
Philosophe et écrivain, l'œuvre du genevois sur le règne végétal forme un corpus conséquent : Les Lettres élémentaires sur la botanique à Madame Delessert (1771 à 1774), un Dictionnaire des termes d'usage en botanique qu'il laisse inachevé à sa mort en 1778, une abondante correspondance, des traités épistolaires qu'il adresse à de jeunes élèves, ainsi que plusieurs collections d'herbiers qu'il a constituées, achetées, vendues et dispersées de son vivant.
Portrait de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), écrivain et philosophe, Maurice-Quentin de La Tour, huile sur toile, après 1753, CC0 © Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
En exil, Jean-Jacques Rousseau découvre la botanique au moment où il se détourne de ses activités d'auteur en philosophie politique et morale. En 1762, il se réfugie à Môtiers après la condamnation à Paris du traité pédagogique Émile ou de l’Éducation et de son Contrat social. Pendant deux ans, il est accueilli par son amie Julie Anne Marie de Broy. Désireux de s'adonner à un loisir qui correspond à ses goûts – et auquel le paysagisme de sa littérature le prédisposait sans doute – il prend pour maître le médecin Jean-Antoine d'Ivernois. Ce dernier l'initie à cette science naturelle, et c'est dans les bois et les prés de la Principauté de Neuchâtel qu'il s'adonne à la collecte de plantes en vue de constituer l'outil dont tout naturaliste du XVIIIe siècle doit se doter pour sa formation : un herbier.
Renoncule à tresses d'or, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
De 1762 à 1778, Rousseau est donc un homme occupé à herboriser, observer, sécher, et préparer les plantes qu'il collecte lors de ses divers séjours en France, en Suisse et en Angleterre. Au XVIIIe siècle, la botanique bénéficie d'un intérêt renouvelé parmi les sciences naturelles. L'étude du végétal souscrit à l'ambition que les Lumières formulent alors pour un ensemble de disciplines en pleine construction épistémologique : par la connaissance et la diffusion des savoirs, servir le développement des individus tout en fédérant les hommes dans le progrès.
Alors que la botanique est encore considérée comme un loisir pour dames, et tandis que des naturalistes tels que Karl von Linné, Adanson, Jussieu, Buffon et Haller font avancer la discipline à pas de géant, la botanique est présentée par Rousseau comme la science de toutes les vertus, de tous les émerveillements intellectuels et sensoriels. En parcourant les prés, les forêts et les montagnes, le naturaliste tel que rêve le philosophe observe la Nature, identifie les végétaux qu'il rencontre, classifie, nomme, compare, tente d'en élucider le dessein sous-jacent et d'en dégager les lois. Cet Homme rousseauiste – qui n'est plus seulement un scientifique – mesure alors son existence au mètre de la Création.
Dans la philosophie naturaliste de Jean-Jacques Rousseau, la botanique est donc abordée de manière intime, originale et poétique. Dans Septième Promenade des Rêveries du promeneur solitaire, l'écrivain se dépeint en train d'herboriser sur les chemins, et présente le retrait de la société comme un moyen privilégié pour l'homme d'atteindre, au contact du végétal, un refuge et un état de prime pureté. Cette vision n'est pas exempte d'un certain sentimentalisme, car elle tend à faire du botaniste – qu'il herborise dans le Jura, en Île-de-France ou dans la campagne anglaise – un nouvel Adam chargé par le Créateur de nommer les êtres et les choses au sein de son Jardin. C'est donc aussi au sein de sa collection botanique que Rousseau élabore souterrainement le romantisme européen, en y infusant des considérations poétiques, son portrait psychologique et son célèbre « sentiment de la Nature ».
Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire, Première Promenade, Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, Ms. R 78, p.1
Une sociabilité savante
Karl von Linné - National Library, Austria, date inconnue © Eureopéana
Au début du XIXe siècle, les Lettres élémentaires sur la botanique à Mademoiselle Delessert sont un succès éditorial largement diffusé en Europe. Ses autres traités sur la discipline sont enrichis de gravures et ancrent populairement l'iconographie du «Philosophe herborisant». Bien que Rousseau aimât se présenter - comme le fantasme la Septième promenade - collectant seul des plantes dans la nature, le philosophe s'est aussi entouré d'un réseau très actif de savants et d'amateurs passionnés.
Jean-Jacques Rousseau herborisant à Ermenonville en juin 1778, estampe, Jean-Michel Moreau (graveur), Mayer (auteur du modèle), vers 1778, Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris
Jean-Jacques Rousseau herborisant à Chambéry, carte postale, impression typographique, éditeur inconnu, © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris
Sur le terrain, il a herborisé et échangé avec des scientifiques et des amateurs renommés tels que le médecin et naturaliste Abraham Gagnebin, André Thouin, Antoine-Laurent de Jussieu, l'écrivain Bernardin de Saint Pierre, ou encore son protecteur d'Ermenonville, le marquis René-Louis de Girardin. En quatorze ans, Rousseau se forme en entretenant une sociabilité de salons, de cabinets de curiosité, mais aussi au contact de la nature avec des compagnons de route. En 1768, on sait qu'il herborise dans la région de Lyon en compagnie d'amateurs éclairés, qu'il rejoint pour des formations de plusieurs jours. Ces communautés de passionnés, en s'échangeant conseils, recommandations, planches d'herbiers, graines et ouvrages, ont activement participé à la vulgarisation des savoirs botaniques à travers l'Europe des Lumières. Par exemple, Rousseau se lie d'amitié et correspond avec Antoine Gouan, botaniste à Montpellier, qui lui envoie des plantes méditerranéennes. Ces spécimens viennent enrichir l'herbier personnel du philosophe en 1769.
En 1770, après années d’absence, Rousseau retourne à Paris où il visite le Jardin du Roi et s'entretient avec le botaniste Bernard de Jussieu. L'écrivain, en humble passionné, se refuse à lui-même le statut de scientifique. Amateur méthodique, il est tout de même recommandé par un de ses amis auprès de Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon, académicien et Intendant du Jardin du Roi, pour la rédaction d'un traité sur les mousses.
"Fucus ou mousse marine. C'est une sorte de varec [algue]. J'ai mis ici cet échantillon pour donner une idée des plantes qui viennent dans la mer, car il est maintenant bien reconnu que le corail, les éponges, les madrepores, ne sont pas des plantes mais des productions animales, en l'ouvrage des polypes."
Transcription issue du Petit Herbier de Jean-Jacques Rousseau à Madame Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12, [10] 4r).
Fucus ou mousse marine, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Rousseau entretient également des correspondances avec des scientifiques éminents tels que Marc Antoine Louis Claret de la Tourette, Chrétien-Guillaume de Malesherbes, Pierre Liotard, ou encore Karl von Linné. Ces échanges sont l'occasion pour lui de consolider sa maîtrise dans l'identification des plantes.
À ses amis et protecteurs tels que Charles-Joseph Panckouke, Malesherbes, Madeleine-Catherine Delessert ou encore Julie Broy de la Tour, il adresse des herbiers portatifs dans lesquels il diffuse les dernières théories dont, en pédagogue et vulgarisateur investi, il souhaite se faire le relais. Le cas le plus remarquable est sans doute son adhésion à la nouvelle taxonomie des végétaux proposée par le suédois Karl von Linné. Elle est d'ailleurs recommandée au philosophe en octobre 1764, après plusieurs journées passées à herboriser en compagnie d'un cercle d'amateurs.
Adhésion à la nomenclature linnéenne
Karl von Linné en costume lapon, d'après Hendrik Hollander (1737), 1853, huile sur toile, Estate Hartekamp © Université d'Amsterdam.
Au XVIIIe, le nommage des spécimens n'a pas de pratique unifiée. Les plantes sont désignées par des appellations grecques ou latines, souvent longues et obscures pour le néophyte, et variant d'un auteur à l'autre. Dès 1760, les travaux de Karl von Linné proposent une nouvelle classification des végétaux, dite « classification naturelle ». Ce système repose sur une nomenclature binomiale, qui nomme un spécimen par son genre et son espèce.
Ces théories mirent de nombreuses années à s'intégrer dans la pratique des sciences naturelles. De nos jours, la classification linnéenne reste cependant une base importante pour la nomenclature botanique et zoologique : elle permet, aux côtés de méthodes de classifications plus modernes, de classer les spécimens en fonction de leurs caractéristiques morphologiques, physiologiques et génétiques, dans des groupes hiérarchisés au sein d'un ordre taxonomique.
Jean-Jacques Rousseau est donc un adepte de la première heure de la classification naturelle des végétaux de Karl von Linné. Il admire ce système simplifié qui propose d'uniformiser plusieurs taxinomies alors en vigueur en Europe pour classer le vivant. Il le diffuse d'ailleurs à travers les correspondances qu'il tient à certains élèves choisis. Cette entreprise de refonte du langage scientifique achève de séduire en Rousseau le vulgarisateur passionné, qui voit une convergence entre ses propres prescriptions en termes d'éducation et de diffusion des savoirs formulées dans l'Emile (1762) et le Discours sur les sciences et les Arts (1749) et la révolution linnéenne du langage scientifique (botanique et zoologie). À ce titre, le XVIIIe siècle place l'éducation au cœur de ses enjeux de société : sur ce terrain de la pédagogie à réinventer, l'herbier – qui constitue le répertoire essentiel du botaniste novice - est au cœur de ces changements de paradigmes.
Qu'est-ce qu'un herbier ?
Camomille puante - Maroute, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
L'herbier est une collection de plantes ou d'échantillons séchés, désignés et classés entre des feuillets. Il peut être portatif afin de faciliter l'étude de la botanique sur le terrain, ou bien se présenter sous la forme de collections d'albums illustrés de gravures remplaçant les spécimens rendus imputrescibles. Ces manuscrits sont des objets de la culture scientifique, mais aussi des documents historiques, qui peuvent avoir été composés dans un souci esthétique.
"Œuvres complètes de Jean Jacques Rousseau. Nouvelle édition, classée par ordre de matières, etc. (Voyage à Ermenonville par feu M. Le Tourneur, pour servir de préface.), édité par L. S. Mercier, G. Brizard, and F. H. S. de L'Aulnaye.] F.P". © The British Library, United Kingdom.
L'herbier implique une collecte dans la nature, dite au XVIIIe siècle « herborisation ». La qualité première du naturaliste est son sens de l'observation, qui lui permet d'identifier les végétaux par divers moyens : loupe, microscope, ou tout autre examen du toucher, de l'odorat et du goût. Pour être scientifiquement utile, un herbier doit respecter certains critères : regrouper des spécimens correctement prélevés et séchés afin d'en permettre la conservation, comporter une étiquette établie par le récolteur avec le nom de genre, le nom d'espèce, le lieu et la date de récolte et l'écologie dans laquelle la plante a été prélevée.
Pour l'histoire des collections, l'herbier est un objet à part qu'il convient de considérer dans un prisme d'intentions qui émanent du collecteur, des destinataires de cet objet qui a pu connaître diverses interventions, de la société qui l'a produit, qu'elle soit savante ou civile. Il est :
Une base de donnée personnelle qui se construit au fur et à mesure de ses observations
Une somme, un répertoire qui permet de comparer des espèces géographiquement séparées
Une support pédagogique, afin de diffuser les connaissances à des tiers
Une collection, qui acquiert ce statut de part l'activité du collecteur
Rousseau aborde cet objet incontournable à la manière d'un journal, y insère des considérations biographiques et les considère comme les reportages topographique des paysages qu'il a traversé. Il aborde l'herbier avec plaisir, en poète, et souhaite que ses planches provoquent à la fois un sentiment de beauté du végétal et de vérité scientifique.
Le Colchique. Cette plante ne fleurit qu'à la fin de l'Automne. Sa belle fleur gris de lin qui sort immédiatement de terre sans tige ni feuille fait un effet charmant dans les près qui en sont quelquefois tout garnis. La fane et les fruits ne paroissent que l'année suivante, en sorte que l'on a jamais la fleur et la feuille à la fois.
Transcription issue du Petit Herbier de Jean-Jacques Rousseau à Madame Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12, [6] 2r)
Véronique en écus - Veronica scutellata, Herbier de Jean-Jacques Rousseau, Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (MsR, Na 28, VI, 108, 1). Ph. Conservatoire et Jardin botaniques de Genève.
Si le genevois a constitué de nombreux herbiers, sa collection s'est enrichie de planches achetées, reçues en cadeau, échangées, vendues. Cet aspect constitue une des grandes difficultés quand on souhaite aborder la collection botanique de Rousseau, qui a sans cesse été divisée, recomposée par l'écrivain de son vivant, et a complexifié son histoire et sa traçabilité. Plusieurs institutions françaises et suisses ont donc hérité d'échantillons de la collection de Rousseau : le Musée Carnavalet et le Museum National d'Histoire naturelle à Paris, le Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency, le Jardin Botanique de Lyon, le Musée Jacquemart-André de Chaalis, la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, la Bibliothèque Universitaire de Neuchâtel et la Bibliothèque centrale de Zurich.
" Petit herbier pour Mademoiselle Julie Broy-de-la-Tour "
Il [Jean-Jacques Rousseau] s'attachait plus à faire de jolis herbiers qu'à classer et caractériser les genres et les espèces. Il employait un temps et des soins incroyables à dessécher et aplatir les rameaux, à étendre et déployer de petits feuillages, à conserver aux fleurs leurs couleurs naturelles : de sorte que, collant avec soin ces fragments sur des papiers qu'il ornait de petits cadres, à toute la vérité de la nature, il joignait l'éclat de la miniature et le charme de l'imitation.
Jean-Jacques Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, Dialogues, OC, t.1, p.643.
Jean-Jacques Rousseau a composé de nombreuses planches d'herbiers au fil des herborisations qu'il effectua à l'ouest de l'Europe au cours de ses années d'exil. Si ses herbiers ne sont pas, des dires des botanistes qui se sont penchés sur son travail depuis le XIXe siècle, un exemple de rigueur scientifique, il a porté la préparation, le séchage et la présentation de ses spécimens vers une logique esthétique et non exclusivement conservatoire. Un de ses plus beaux herbiers a été confectionné pour Mademoiselle Madeleine Delessert : achevé en 1774, accompagné d'un traité de botanique épistolaire destiné à lui enseigner les rudiments utiles à son éducation sur le règne végétal, ce dernier est conservé au Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency.
Herbier de Jean-Jacques Rousseau à Madeleine Delessert, 1770-1774, Musée Jean-Jacques Rousseau de Montmorency, © Héquet
Dans cet article, le lecteur pourra observer des planches composées avec le même soin, envoyées en cadeau depuis Paris en 1772, à Madame Julie de Broy la Tour, dont la mère était une amie et protectrice de Jean-Jacques Rousseau. Cette collection de plantes se compose de cent-une planches conservées à la Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12). Cet herbier présente les caractéristiques des planches signées ou attribuées au philosophe.
À la manière d'un miniaturiste, révélant sans doute quelques restes de sa formation d'apprenti graveur rapidement délaissée, Jean-Jacques Rousseau met délicatement en scène des spécimens séchés avec soin dans un papier vergé. Il systématise un cadre de présentation à l'encre rouge et les attaches en papier doré. Les compositions sont étudiées : tantôt savamment asymétriques, rigoureusement centrées ou en miroir, elles veillent toujours à favoriser l'épanouissement de la plante et tend à lui donner une impression de mouvement. Le collecteur veille également à l'équilibre des masses entre la fleur, la tige et la racine, comme pour ne pas ennuyer le regard et rythmer la lecture du manuscrit. Les spécimens sont pour la plupart accompagnés de leur nomenclature binomiale telle qu'établie par Karl von Linné, comme la Prêle des Marais (Equisetum Palustre). Trente plantes ne sont pas accompagnées de leur nom en latin, et le lecteur doit, pour les identifier, se référer à la liste détaillée des dénominations en latin et en français commun établie par Rousseau au début de l'album.
Prêle des marais - Equisetum palustre, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Châtaignier, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
"Le Behen blanc, appelé par le Justicier Clerc Les manchettes du Bon Dieu", Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Tithymale des vignes, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Sur l'ensemble des planches, il est rare de disposer d'informations plus complètes sur la traçabilité et l'écologie des végétaux prélevés, comme la date et le lieu de collecte. Seules trente-six planches sur les cent-une qui composent cette collection ont été commentées par l'auteur. À cet effet, il y délivre quelques explications brèves et donne des informations géographiques se rapportant à des régions connues de Julie Broy de la Tour. Les informations délivrées sont cependant assez irrégulières. D'aucuns ont pu disqualifier la démarche scientifique de Rousseau, l'intérêt des herbiers anciens, pour les botanistes et les biologistes, étant d'obtenir des données sur l'évolution des populations végétales.
"La Méringe. Ne vient guère dans les Alpes. Je l'ai trouvée abondante à Môtiers sur les murs de l'enclos du Maire de Verrières."
Transcription issue du Petit Herbier de Jean-Jacques Rousseau à Madame Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12, [6] 2r)
Six ans après avoir reçu son herbier, Julie Broy de la Tour épouse un bailli de Nyon membre du conseil de la République de Berne. À sa mort, l'herbier est transmis à sa fille Julie, qui avait épousé un consul des Pays-Bas. Le couple offre l'herbier ainsi que sept lettres de la main de Rousseau à la Bibliothèque Municipale de Zurich. Le dépôt est ensuite transféré à la bibliothèque centrale de la ville en 1916.
La Sanicle, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Houblon mâle, Petit herbier de Jean-Jacques Rousseau à Mlle. Julie Broy-de-la-Tour, 1772, Zentralbibliothek de Zurich (VAR 12).
Lorsqu'il meurt à Ermenonville le 2 juillet 1778, Jean-Jacques Rousseau laisse à son hôte, le marquis René-Louis de Girardin, ses herbiers, ses livres, ses effets personnels, ainsi que plusieurs manuscrits parmi lesquels celui des Rêveries du promeneur solitaire.
À ce jour, son herbier personnel est évalué à près de trois mille spécimens. Si le philosophe s'est surtout attaché à identifier des plantes communes ou d'ornement d'Europe de l'Ouest , Rousseau a considérablement enrichi son herbier par des achats auprès d'autres récolteurs tels que Fusée-Aublet, qui fut un important descripteur de la flore tropicale de Guyane.
Les herbiers de Jean Jacques Rousseau forment une collection à la trajectoire unique, et dont l’intérêt est multiple : elle documente les pratiques d'herborisation de l'époque, les débats qui animaient les sciences naturelles au Siècle des Lumières, et la réflexion pédagogique et philosophique d'un amateur consciencieux. Ces herbiers sont d'autant plus précieux qu'ils sont contemporains la rédaction des Confessions, (1765-1769), des Dialogues, (1772-1776) et des Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778) : ils en sont la face paysagère, le reportage topographique de ses années d’introspection qui ont tant influencé la naissance du romantisme européen.
Bibliographie
- Dir. Claire Jacquier, Timothée Léchot, Rousseau Botaniste : Je vais devenir plante moi-même, Editions du Belvédère, 2012.
- Jean-Jacques Rousseau, Collection complète des œuvres, Genève, 1780-1789, 17 vol., in-4°, édition en ligne: www.rousseauonline.ch.
- Takuya Kobayashi, « L’Encyclopédie et Rousseau : dimension botanique », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 39 | 2005, 81-103
- Jean Starobinski, « Les amitiés végétales » in Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l'obstacle , Paris, Gallimard, 1971
- Alexandra Renggli, L'herbier zurichois de Jean-Jacques Rousseau in Rousseau botaniste, pp. 170-173
- Cheyron Henri. « L'amour de la Botanique ». Les Annotations de Jean-Jacques Rousseau sur la Botanique de Régnault. In: Littératures 4, automne 1981. pp. 53-95
Web
- Site du projet « Héritage botanique des Lumières »
- Portail POP Ministère de la Culture
- Portail des collections du Musée d'Histoire naturelle de Paris
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