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Maîtres anciens et graveurs contemporains, les trois nouvelles expositions de la Fondation Custodia

Par Antoine Lavastre & Nicolas Bousser


Dans la préface du catalogue Le dessin italien dans les collections hollandaises (1962), Frits Lugt, grand historien de l’art hollandais et fondateur de la fondation Custodia, présentait l’acte de dessiner comme une « confession involontaire » par laquelle nous surprenons le peintre dans ses recherches et ses réflexions. Regarder un dessin non destiné à être œuvre, c’est en effet regarder l’esprit de l’artiste au travail. C’est le voir se tromper, se reprendre, changer d’avis et parfois, souvent même, trouver. En somme, voir un dessin c’est voir l’homme. Plus qu’un portrait, le dessin ne ment jamais. La fondation Custodia présente ainsi, depuis le 15 février et jusqu’au 10 mai, un ensemble choisi parmi sa très riche collection de dessins italiens. Cette exposition s’accompagne, comme toujours, d’une réponse contemporaine, ici à travers les figures des graveurs Anna Metz et Siemen Dijkstra.


Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino (Cento 1591 – 1666 Bologne), Étude du dos d’un homme assis, vers 1619
Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino (Cento 1591 – 1666 Bologne), Étude du dos d’un homme assis, vers 1619

Studi & Schizzi - Dessiner la figure en Italie 1450 – 1700, tel est le nom de cette exposition consacrée au dessin italien qui permet au public de découvrir plus de 80 feuilles issues du corpus de 550 dessins italiens que conserve la Fondation Custodia. Lippi, Del Sarto, Carrache ou encore Guerchin s’exposent ainsi sur les cimaises blanches de l'hôtel Lévis-Mirepoix. Cette exposition s’accompagne de ce que les chercheurs et amateurs de dessin espéraient depuis longtemps déjà : la mise en ligne d’une base de données regroupant pour le moment l’ensemble des dessins italiens de la fondation. Nous ne pouvons que saluer cette initiative qui permettra une meilleure connaissance des trésors qu’abrite l’immeuble de la rue de Lille.


Filippino Lippi (Prato v. 1457 – 1504 Florence), Trois études d’un jeune homme portant un manteau

Si toutes les feuilles présentées dans l’exposition ne se valent pas en qualité, il est toujours intéressant pour le public d’admirer des dessins rarement exposés pour des raisons de conservation. On retiendra tout de même un certain nombre de pièces qui a elles seules valent un regard attentif sur le corpus entier. En se confrontant en effet à l’ensemble, l’évolution de l’art italien apparaît évidente. La figure s’affirme, prend de l’importance, de la masse presque. Des figures frêles et élégantes de Lippi, encore héritières du gothique international, nous passons à la puissance baroque des corps du Guerchin.


Admirer ces dessins, c’est aussi voir les questionnements auxquels pendant plus de deux siècles les artistes vont tenter de répondre par la plume, la pointe ou le fusain. Comment organiser sa composition ? Comment rendre les ombres ? Comment créer des relations entre les personnages ? Comment marquer les volumes ? Toutes ces questions posées par le dessin sur la feuille amènent, selon les artistes, à des réponses différentes qui se retrouveront sur la toile ou le panneau peint et créeront ainsi ce qu’on appelle communément le style. En regardant la draperie de Lorenzo di Credi, nous pouvons ainsi sentir le regard vers Léonard, vers Verrocchio mais aussi quelque chose de propre dans le rendu creusé des plis par un travail d’ombre appuyé. Avec ce travail de jeunesse, c’est la manière du peintre qui commence elle aussi à se sentir.


L’exposition présente également des dessins plus aboutis. L’esprit de l’artiste se retrouve maintenant caché derrière l’apparat. Le style est déjà présent dans son entier. Il n’y a plus de reprise, plus d’essais. Tout est en place, comme dans une peinture signée. Préféré du public, ce type de dessin s’offre volontairement à l'œil. C’est ainsi que le parfait Portrait de la belle-fille de l’artiste, Maddalena par Ottavio Leoni est au premier coup d’œil admirable, presque déjà romantique.


Ottavio Leoni, Portrait de la belle-fille de l'artiste, 1617

Comme aime à le rappeler Ger Luijten, l’art sur papier ne s’inscrit pas nécessairement dans un lointain passé. Aujourd’hui encore, des artistes gravent, produisent eaux-fortes et lithographies. C’est pourquoi vous trouverez, en parallèle de cette présentation de dessins italiens, la rétrospective de deux graveurs néerlandais contemporains. Faire côtoyer la production contemporaine et les maîtres anciens, cela est d’usage à la Fondation Custodia. Au premier étage de l’hôtel Levis-Mirepoix, deux salles sont consacrées aux eaux-fortes d’Anna Metz, née à Rotterdam en 1939.

Anna Metz, Narration (II) : Marionnette chutant, vers 1984 (tirage 1990) Eau-forte et aquatinte. – 177 × 150 mm Collection de l’artiste

Si cette artiste commence à graver dès son jeune âge, ce n’est véritablement que dans les années 1990, passé l’âge de 50 ans, qu’elle trouve sa voie. Marquée par la maternité, elle compare sa pratique de la gravure à l’éducation des enfants : « Mieux on prépare le terrain, plus on aura de possibilités. Il n’y a aucune différence entre élever des enfants et réaliser une gravure. On part de ce qui se présente. Souvent, on a des surprises. Ca va peut-être à l’encontre de vos règles, mais c’était le but. Certaines règles sont faites pour être enfreintes. Pourtant, elles ont formé la base qui vous a permis de commencer. » De ses premières gravures dans les années 1960 aux eaux-fortes polychromes de paysages réalisées l’été dernier, sa carrière est explorée dans son ensemble. Une étendue d’eau, une clôture, un buisson, de vieux vêtements: autant de sujets presque anecdotiques mais qui constituent le cœur de l’œuvre en perpétuel mouvement d’Anna Metz, qui suffisent à donner naissance à une estampe.


Au sous-sol, les équipes de la Fondation dévoilent les dessins et gravures sur bois en couleurs de Siemen Dijkstra. Né en 1968, cet artiste vit et travaille dans le village de Dwingeloo aux Pays-Bas. Il s’attelle depuis plusieurs années à « capturer sur papier l’expérience spatiale d’un paysage ». Ses gravures en fisheye de landes et tourbières authentiques, regorgeant d’une végétation luxuriante, induisent une douce lumière et des couleurs harmonieuses: c’est un coup de cœur.

Bois de chênes et de bouleaux, 2008 - 32,3x68 cm

L’atmosphère calme et brumeuse berce la visite. Dijkstra vous fait voyager au cœur des paysages de la Drenthe, région dans laquelle il vit. Pour ses réalisations, il utilise un procédé de gravure dit « à bois perdu », qui donne son nom à l’exposition. Chaque aplat de couleur est taillé individuellement dans une matrice de bois unique, et imprimé successivement sur le papier. Ses plus grands tirages se composent parfois de 10 à 18 couches de couleurs. Outre les époustouflants paysages de l’artiste, l’exposition donne à voir quelques-uns de ses dessins d’animaux, « un hommage à la vie » explique-t-il.

De Bork, 2017 - Gravure sur bois en couleurs, 32 x 82 cm

La Fondation Custodia offre donc, à travers ses trois nouvelles expositions, une véritable plongée dans le monde du dessin, passion première de son fondateur Frits Lugt, et de la gravure. Les dessins italiens présentés, rarement exposés, sont témoins du goût d’une fondation et de l’évolution d’une école. Anna Metz et Siemen Dijkstra, graveurs de notre temps, offrent un contrepoint contemporain absolument qualitatif. Vous avez jusqu’au 10 mai pour vous rendre à l’Hôtel Levis-Mirepoix, rue de Lille, et ainsi flâner entre Italie et Pays-Bas.


 

Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie 1450-1700 Anna Metz. Eaux-fortes Siemen Dijkstra. À bois perdu


Expositions du 15 février au 10 mai 2020 à la fondation Custodia

Tous les jours sauf le lundi de 12h à 18h

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