Après une première manifestation consacrée à la sculpture Gothique en septembre dernier, la Galerie Sismann poursuit son cycle d’expositions en évoquant la Renaissance. De France en Italie, des dernières réminiscences gothiques à la pleine tradition italienne en passant par le chantier de Fontainebleau, c’est un complet et fascinant voyage consacré à la sculpture du XVIe siècle que propose la galerie parisienne. Focus sur quelques œuvres, dont certaines constituent d’importantes découvertes.

Fig.1 : Autour de Bernardo Buontalenti, Mascaron grotesque (détail.), fin du XVIe siècle, marbre. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Gothique tardif en Bourgogne, la Charité de Saint-Martin
Comme le rappellent Gabriela Sismann et Manon Lequio dans le catalogue accompagnant l’exposition, un gothique qualifié de tardif persiste en France au moins jusqu’aux années 1540. Malgré une pensée tenace et des raccourcis faciles, il est en effet évident que la cassure entre le Moyen Âge et la Renaissance n’est pas nette. De même, l’art roman n’a pas subitement disparu à l’apparition du gothique dans la première moitié du XIIe siècle. Ce phénomène de persistance de certaines conceptions s’incarne dans cette Charité de saint Martin, datée de la première moitié du XVIe siècle et provenant de Bourgogne.

Cet épisode de la légende hagiographique de saint Martin, moment où le futur évêque de Tours coupe un morceau de son manteau pour l’offrir à un nécessiteux, connut un grand succès au début du XVIe siècle. Réalisée en pierre de Tonnerre, l'œuvre est tout à fait singulière. Si la figure de saint Martin, au canon trapu et large couvre-chef duquel tombent pléthore de mèches bouclées, évoque d’autres sculptures bourguignonnes, elle trouve un écho assez fort dans un saint Roch conservé en l’église de Préty, petit bourg de Saône-et-Loire. En revanche, la figure du mendiant, au visage d’une grande expressivité et au torse musculeux dénudé, a de quoi surprendre. La confrontation du Beau et du Laid, prégnante dans la tradition médiévale, transparait ici dans cette remarquable réalisation.
Fig.2 : Anonyme, La Charité de Saint-Martin, pierre, premier quart du XVIe siècle, Bourgogne. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Fig. 3 : Anonyme, La Charité de Saint-Martin (détail.), pierre, premier quart du XVIe siècle, Bourgogne. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Fig.4 : Anonyme, Saint Roch, pierre, XVIe siècle. Préty (Saône-et-Loire), église paroissiale / ©NBousser
Un renouveau, des anges bourguignons
Bond chronologique mais non géographique : ces deux anges bourguignons de la seconde moitié du XVIe siècle sont intéressants à plus d’un titre. Provenant d’une collection privée dans l’Yonne, cette paire s’intégrait sans aucun doute dans un plus vaste ensemble, peut-être une Assomption installée dans une église. La différence de traitement entre les deux figures est notable. L'ange présenté de profil gauche se veut dynamique, en mouvement, tandis que celui présenté de profil droit prend une pause empreinte de calme. Le premier arbore une tunique légère soulevée par le vent et le second un luxueux vêtement aux manches ballonnées et étoffes précieuses évoquant la sculpture champenoise contemporaine. En somme, chacune de ces pièces témoignent spécifiquement de l’assimilation de codes propres tout en s’intégrant originellement à un même ensemble, dans un véritable carrefour d’influences.
Fig. 6&7 : Anonyme, Paire d'Anges, pierre, seconde moitié du XVIe siècle, Bourgogne. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Un corpus qui s’étoffe, une tête de Christ du Maître de Chaource

La Mise au tombeau de l’église Saint-Jean Baptiste de Chaource est l’un des grands jalons de la sculpture française du XVIe siècle et une réalisation champenoise majeure. Le Maître de Chaource, nom de convention donné à l’auteur de ce chef-d’œuvre, est l’un des artistes de premier plan de la scène troyenne dans la première moitié du XVIe siècle. Une mystérieuse tête de Christ, qui n’est pas sans évoquer la Déploration de l’église Saint-Jean-au-Marché de Troyes - toujours sujette à discussions - et la Pietà de Bayel, est l’une des découvertes importantes de cette exposition.
Fig. 8 : Maître de Chaource ou entourage, Tête de Christ, pierre, v.1530, Champagne. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
La physionomie particulière de ce Christ rend possible la comparaison avec les réalisations du corpus du célèbre maître champenois. Une question majeure reste à éclaircir : est-ce une œuvre du maître lui-même ou d’un sculpteur de son atelier/entourage ?
Fig. 9 : Maître de Chaource ou entourage, Tête de Christ, pierre, v.1530, Champagne. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Fig. 10 : Maître de Chaource, Déploration (détail.), pierre, v.1515-1530. Troyes, église Saint-Jean-au-Marché / ©GabrielaSismann
Fig. 11 : Maître de Chaource, Pietà (détail.), pierre, v.1510. Bayel, église Saint-Martin / ©Gabriela Sismann
Émaillerie limousine, Pierre Courteys ?
Si les Sismann sont spécialistes de sculpture, d'autres très belles surprises peuvent surgir dans le lot de leurs découvertes. Ainsi, cette plaque à décor d’émail peint de la seconde moitié du XVIe siècle est certainement, avec la tête rapprochée au Maître de Chaource, la pièce la plus remarquable de l’exposition. Sujet représenté, qualité et cercle d’exécution, il s’agit là d’une réalisation d'intérêt muséal.

Fig. 12 : Attribué à Pierre Courteys, L'Introduction de Psyché aux dieux de l'Olympe, Émail peint sur cuivre, seconde moitié du XVIe siècle, Limoges. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
Tiré du roman d’Apulée, l’Âne d’or, qui connaît au XVIe siècle un regain d’intérêt, l’épisode représenté ici est l’introduction de Psyché aux dieu de l’Olympe. Il faut dire que les plus illustres artistes s'intéressèrent à ce récit, à commencer par Raphaël. Entre 1516 et 1518, le peintre adapte l’Histoire de Psyché sur les murs de la loggia de la villa Chigi à Rome. Très vite, ses compositions sont gravées et diffusées dans toute l’Europe. Les plus célèbres restent les trente deux gravures réalisées par le Maître de Dé, élève de Marcantonio Raimondi, transposées en émail par Léonard Limosin. Mais pour trouver la source du motif de la plaque de la galerie Sismann, il faut se tourner vers un autre élève de Raimondi, Giovanni Jacoppo Caraglio. Célèbre pour sa Suite des Dieux dans les niches d’après Rosso Fiorentino, ce dernier grave en 1527 l'épisode de Psyché devant les Dieux, ici transposé de manière inédite en émail. La galerie propose d’attribuer la plaque à Pierre 1er Courteys, l’un des plus illustres graveurs limougeauds aux côtés de Léonard Limosin et Pierre Reymond…
Grotesque et Buontalenti

Passage en Italie avec ce masque grotesque réalisé à la fin du XVIe siècle. Rencontre des mondes aquatiques, végétaux et humains, ce type de réalisations connaît un très fort développement au XVIe siècle, intégrées dans les jardins maniéristes. Grottes artificielles, jeux d’eau, figures semi-humaines voire monstrueuses à l’image du colosse de l’Apennin conçu en 1579-1583 par Giambologna pour les jardins de la villa di Pratolino, y rythment l’espace. Ces figures fleurissent dès les années 1515. Parmi les grands artistes maniant avec talent le langage grotesque, Bernardo Buontalenti est une figure de proue. Protégé de Côme 1er de Médicis, il collabore au chantier des jardins de la Villa Pratolino et conçoit notamment les grottes des jardins de Boboli.
Fig. 13 : Autour de Bernardo Buontalenti, Mascaron grotesque (détail.), fin du XVIe siècle, marbre. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
L‘aspect mi-humain, mi-nénuphar de ce masque renvoi à plusieurs réalisations attribuées à Buontalenti, notamment à deux bouches de fontaines aujourd’hui conservées en mains privées.
Les cinq œuvres présentées ici ne constituent bien entendu qu’un maigre aperçu du voyage promis par la galerie Sismann avec ce nouveau volet consacré à la Renaissance. Des rives de l’Aube à celles de l’Arno, quittez un instant Paris dès la levée du confinement en poussant la porte de la Galerie, quai Voltaire.
Fig. 14&15 : Giovanni Battista da Corbetta (v.1500-1589), Ecce Homo, bois polychrome, v.1550, Italie du Nord. Galerie Sismann, Paris / ©NBousser
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