30 mars 1814. Paris est assiégé par les armées de la sixième Coalition, le peintre Horace Vernet (1789-1863) est en première ligne.
A la fin de 1813, les Autrichiens, les Prussiens, les Russes et leurs alliés ont franchi le Rhin et marchent sur la France avec 1 million de combattants. Napoléon Ier, qui depuis tant d’années fait la guerre à l’extérieur de nos frontières, ne trahira pas sa réputation. Tournant, feintant, marchant, combattant, tantôt avançant tantôt reculant, il va malmener ses adversaires, bien qu’il ne dispose guère que de 150 000 soldats, il leur inflige de lourdes pertes et les fait douter.
Fin mars 1814, Napoléon menace la vitale ligne d’opération des Alliés qui les relie au Rhin et à leurs approvisionnements. Il sait qu’une armée se retrouvant ainsi à la merci de son adversaire n’a d’autres choix que de se retourner pour recouvrer ses lignes sabre à la main… Mais les souverains de la Coalition, flairant le piège, se réunissent et décident d’en finir en poussant leurs troupes sur Paris, à portée de main. Avec sa clairvoyance habituelle, l’Empereur a vite compris que son effet était manqué, il rebrousse chemin à toute allure et ne pense qu’à une chose : Paris doit tenir jusqu’au 1er avril, le temps pour lui de s’y trouver avec des renforts.
Cependant, le 29 mars, les Alliés sont devant la ville et prennent leurs dispositions pour l’attaque. Paris, ignorant que l’Empereur est en route, décide tout de même de se battre pour l’honneur et mobilise 30 000 hommes. Les ennemis sont cinq fois plus nombreux.
Le 30 mars, la bataille fait rage sur toute la rive droite, à la barrière de Clichy, le maréchal Moncey fait face aux Russes. Le peintre Horace Vernet s’y trouve aussi. Il s’illustrera au feu et recevra la Légion d’Honneur des mains de Napoléon pour sa bravoure en ce jour. Fils et petit-fils de peintre, il représentera la défense héroïque de la barrière de Clichy sur cette toile de 1820.
Ce tableau (1,30m par 98cm) aujourd'hui conservé au Louvre est le premier vraiment remarquable de cet artiste admiré de son vivant. Pourtant, l’œuvre commandée en 1820 par Odiot est refusée au salon de 1822 : la Restauration avait toutes les raisons de refuser un tableau rappelant la gloire militaire de l’Empire, peint par un artiste proche de Louis-Philippe.
Ce tableau est intéressant par sa composition. Son point de vue est atypique, nous ne voyons pas l’ennemi : nous sommes derrière la ligne de feu. Les lieux sont fidèlement reproduits, telle la colonnade de la maison d’octroi et la taverne du père Lathuille qui sera peinte par Manet en 1879 mais qui pour l'heure est le QG du maréchal Moncey. Au centre de la composition, le maréchal donne un ordre à Odiot, colonel de la garde nationale et commanditaire de l’œuvre.
Autour d’eux, un ballet dramatique de blessés rappelle les misères de la guerre et le courage du peuple français. Ce sont par exemple ces deux pupilles mourantes à droite, pitoyablement adossées et affreusement mutilées, évocation de la bravoure des jeunes Marie-Louise qui ont courageusement tenu tête à l’Europe depuis plusieurs mois. Cette femme qui tient son nourrisson est l’allégorie du peuple, qui a souffert l’invasion d’armées étrangères pour la première fois depuis la Révolution. A gauche, les vieux soldats aguerris de l’Empire, blessés… Et ce lancier, qui dans un mouvement quasi-hélicoïdale et dynamique tourne le dos à la fois au combat et au spectateur incarnant quelque part la complexité de l’état d’esprit de cette période, entre la fidélité à l’Empereur et l’envie d’en finir avec la guerre.
C’est le dévouement du peuple, pour son pays et son Empereur, que Vernet représente ici. Le peuple n’a pas flanché, les différentes barrières et notamment celle de Clichy ont solidement tenu. Mais Marmont, fait duc de Raguse par l’Empereur, offre dès le 30 mars aux Alliés la reddition de la ville alors que ceux-ci ont déjà perdu 18 000 hommes et que Napoléon est arrivé à Fontainebleau… Le 31 la ville est occupé et le 5 avril, alors que l’Empereur a rassemblé ses forces et pense pouvoir tenter quelque chose, Marmont trahit de nouveau son bienfaiteur en livrant ses troupes aux souverains alliés. Comprenant trop tard la manœuvre, celles-ci manquent de le fusiller sur place et inventent le mot « raguser » pour dire « trahir ». Napoléon aura ces mots : « je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée, et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. » Il abdiquera quelques jours plus tard à Fontainebleau.
Vernet était à la barrière de Clichy en 1814 avec son père Carle, fusil en main, ce qu’il peint en 1820, c’est le courage des officiers et l’abnégation du peuple, qui n’ont pas flanché malgré les difficultés, les blessures et la position difficile.
Paul Palayer
Photos de l'auteur.
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