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Quand l'art nous contait Perrault

Par Margot Lecocq


Homme d’État du siècle de Louis XIV en sa qualité de Contrôleur général de la Surintendance des Bâtiments du Roi de 1665 à 1683, Charles Perrault (Paris, 1628 – Paris, 1703) est chargé par son protecteur Jean-Baptiste Colbert, alors Contrôleur général des finances, de veiller à la magnificence du discours absolutiste dans les grands projets artistiques, architecturaux, urbanistiques et intellectuels de son temps. Personnalité aux multiples facettes, Perrault est surtout profondément épris d’écriture et œuvre toute sa vie pour la reconnaissance de la littérature contemporaine, dont la réputation est souvent mise à mal par la suprématie des textes antiques. En 1671, Perrault devient membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres avant de la quitter à contrecœur sous l’impulsion de Louvois en 1683, quelques temps seulement avant la mort de Colbert. S’en suit une période de troubles durant laquelle il subit disgrâce et rejet de la part de ses pairs académiciens tels que Jean Racine et Nicolas Boileau. Il devient ainsi l’une des figures pivots de la « Querelle des Anciens et des Modernes » et s’efforce de démontrer que la littérature du siècle de Louis XIV surpasse en tous points les écrits des auteurs de l’Antiquité. La publication en 1687 de son poème Le Siècle de Louis le Grand suscite la controverse et relance les débats académiques : « Nous verrions clairement que sans témérité, / On peut n’adorer pas toute l’Antiquité, / Et qu’enfin dans nos jours, sans trop de confiance, / On lui peut disputer le prix de la science ».


En parallèle, Perrault se tourne vers un genre littéraire plus singulier et en 1697, paraissent les Histoires ou Contes du temps passé, avec des moralités, portant le sous-titre des Contes de ma mère L’Oye, toute première édition des célébrissimes Contes de Perrault comportant des illustrations gravées. L’auteur avait déjà conçu une première version de ces textes pour Élisabeth-Charlotte d’Orléans en 1695 – nièce de Louis XIV -, ornée d’illustrations à la gouache, mais la parution de 1697 marque véritablement la naissance de l’ouvrage. L’origine de ces récits est à chercher du côté de la tradition populaire, dans le genre de la légende transmise à l'oral. Au même titre que les fables, les contes se veulent courts et revêtent toujours une valeur moralisante supposée instruire ceux qui les écoutent. Une trentaine d’années après la parution des Fables de Jean de La Fontaine en 1668, dont une première version entre 1665 et 1666 portait le titre de Contes et nouvelles en vers, Perrault publie trois histoires en vers – Grisélidis, Les Souhaits ridicules, Peau d’âne – et huit en prose - La Belle au Bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe-bleue, Le Maître Chat (actuel conte du Chat Botté), Cendrillon, Le Petit Poucet, Les Fées et Riquet à la houppe-.

Si depuis la fin du XXe siècle les adaptations animées du réalisateur et dessinateur américain Walt Disney ont transformé ces contes pour en faire l’apanage du seul jeune public, ils étaient initialement destinés à des adultes érudits, capables de tirer les leçons de chacune des histoires proposées. La légèreté mise en avant par les studios Disney constitue un véritable virage par rapport aux textes de Perrault qui se voulaient à l’origine bien plus sombres. Si la paternité des contes a longtemps été discutée, tantôt attribuée à Perrault, tantôt à l’un de ses fils, ces récits ont néanmoins su séduire les siècles passés par leur caractère universel, menant de nombreux artistes à les illustrer et à les représenter.


Les illustrations de Gustave Doré (1861) :


Le XIXe siècle, marqué par la quête des identités nationalese, voit émerger un regain d’intérêt pour les mythes et contes issus du folklore national. Les influences du Romantisme littéraire se font sentir dans les arts, notamment en peinture à travers les « fairy paintings » qui se développent dans l’Angleterre victorienne des années 1850-1860. En France, c’est dans ce contexte concomitant à l’essor du livre illustré et au rôle de l’art de l’estampe dans le monde de l’édition que s’inscrit le volume des contes orné par Gustave Doré (Strasbourg, 1832 – Paris, 1883).






Adolphe François Pannemaker, d'après Gustave Doré, Le Maître Chat dit Le Chat Botté (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

L’ouvrage des Contes de Perrault, dessins par Gustave Doré, préface par P.-J. Stahl est publié à la fin de l’année 1861 par Pierre-Jules Hetzel, et comprend les huit contes originaux en prose ainsi que l’histoire de Peau d’âne, accompagnés de quarante gravures sur bois de bout en pleine page, réalisées d’après les modèles de Doré. Ce dernier, en accord avec Hetzel, choisit de faire appel à onze graveurs pour transcrire ses illustrations, parmi lesquels François Pannemaker, Héliodore et Anthelme Pisan. Ils présentent au Salon de 1861 une partie de la série sous forme d’épreuves tirées à la main sur papier de Chine. Ces estampes d’une grande qualité esthétique, étaient destinées à l’usage personnel de Doré et de ses graveurs, dans une optique de collectionnisme.

L’ordre des contes varie quelque peu vis-à-vis de l’édition de 1697 pour aboutir au résultat suivant : Le Petit Chaperon rouge, Le Petit Poucet, La Belle au bois dormant, Cendrillon, Le Maître Chat, Riquet à la houppe, Peau d’âne, Les Fées, suivis de La Barbe-Bleue.

Adolphe François Pannemaker, d'après Gustave Doré, Le Petit chaperon rouge (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

Anonyme, d'après Gustave Doré, La Belle au bois dormant (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

Doré conçoit plusieurs illustrations pour chacun des neuf contes qu’il répartit harmonieusement dans le livre. Chaque début de récit est par la force des choses accompagné d’une image en regard sur la page adjacente. Par chance, la Bibliothèque nationale de France et le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg conservent des photographies des dessins sur bois de Doré réalisées par Nadar et Michelez. Présentées dans la galerie Louis Martinet à Paris par l’illustrateur lui-même, et ce, peu de temps avant la publication de l’ouvrage par Hetzel, ces clichés ont une importance documentaire exceptionnelle puisqu’ils sont les seules traces de l’apparence première des esquisses de Doré, dont la traduction en gravure a en toute vraisemblance donné lieu à des modifications.


François Pierdon, d'après Gustave Doré, Le Petit Poucet (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

Le résultat témoigne de l’élargissement du public auquel se destinent ces récits, les images permettant d’accéder plus aisément à l’histoire contée. Cependant, Doré ne renie pas l’essence même des écrits de Perrault et, dans une veine héritée du Romantisme noir, il n’hésite pas à en proposer une vision dramatique, fantasmagorique voire oppressante. Les gravures se veulent complexes, jouent sur les ombres et les lumières, sur le rapport entre les échelles de taille entre paysages et personnages, et s’emparent des domaines du monstrueux et du dérangeant. Dans Le Petit Poucet, les images amplifient les sentiments de solitude et d’angoisse qui confèrent toute sa tension au conte. La forêt semble sans fin, sombre et effrayante, comme prête à engloutir les enfants égarés. L’ensemble des compositions se veut toutefois très détaillé, attestant de la volonté de Doré et de ses graveurs d’attribuer à ces images une grande beauté plastique, tout en renforçant l’effet visuel d’accumulation souhaité. L’épreuve représentant la jeune épouse de Barbe-Bleue recevant le trousseau de clefs donne à voir des vêtements, étoffes et bijoux variés, dans une esthétique adaptée au genre de l’illustration. Cette surcharge décorative doublée de la singularité des physionomies, notamment dans le rendu du regard de Barbe-Bleue, permettent aux images d’insister sur le drame qui est en train de se jouer au sein même du récit.

Anonyme, d'après Gustave Doré, La Barbe Bleue (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

Louis Brevière, d'après Gustave Doré, Cendrillon (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

En opposition à cette mise en scène de la cruauté et du tragique, Doré réalise toutefois plusieurs illustrations plus apaisées. Si le caractère mystérieux et inquiétant persiste encore dans les contes de La Belle au bois dormant et de Cendrillon, ces derniers sont plutôt marqués par la douceur des deux jeunes femmes. Cependant, Doré ne se limite pas à la représentation de figures fortes et isolées mais au contraire, il conçoit tout un univers décoratif afin d’inclure ses personnages dans une narration. La minutie dans le rendu des détails est saisissante et le regardeur ne peut s’empêcher de se laisser aller à une forme de rêverie inconsciente, comme s'il parcourait les textes de Perrault pour la seconde fois.





Louis Dumont, d'après Gustave Doré, La Belle au bois dormant (détail), 1862, gravure sur bois de bout, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la Photographie © BNF

La qualité esthétique des gravures d'après Doré suffit à justifier l’engouement autour de l’édition de Hetzel. Le succès est en effet immédiat, et l'ouvrage contribue très vite à la constitution d'un imaginaire collectif autour des contes de Perrault. Cette iconographie singulière est si efficace qu’elle est encore aujourd'hui un moyen privilégié pour découvrir l'oeuvre de Gustave Doré ! 


Le Salon des contes de fées de Jean Veber (1914-1926) :


Anonyme, Stand réunissant les productions des manufactures de Beauvais et des Gobelins présentant l'ensemble des "Contes de fées" à l'Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, 1925, Paris, Mobilier National © Mobilier National

Bien au-delà du domaine de l’illustration qui s’impose à l’occasion de chaque réédition de l’ouvrage, les contes de Perrault continuent de fasciner et d’intriguer jusqu’à devenir une source d’inspiration importante dans les arts décoratifs. Au début du XXe siècle, Jean Veber (Paris, 1864 – Paris, 1928), élève d’Alexandre Cabanel et de Robert Delaunay, multiplie les expositions d'oeuvres à sujet féérique au Salon, et choisit le thème des contes pour exécuter le décor du boudoir de Rosemonde Gérard, épouse d’Edmond Rostand, à la villa « Arnaga » de Cambo (Pays Basque). Il y réalise une composition peinte en frise dont la réputation suscite très vite la curiosité de Léon Bérard, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts et de Gustave Geffroy, alors administrateur de la Manufacture des Gobelins.




Jean Veber, Le Prince charmant et la Belle au bois dormant, vers 1905, huile sur toile, Cambo, Villa Arnaga, boudoir de Madame Rostand © C2RMF & Gérard de Puniet de Parry

À partir de 1912, Veber reçoit la commande de la part de Gustave Geffroy, d’un salon composé d’une tenture et d’assises variées sur le sujet des écrits de Perrault. Le budget alloué à ce projet ambitieux ne permet cependant pas de le mener à bien dans son intégralité – il prévoyait à l’origine un total de cinq tapisseries et de treize meubles, parmi lesquels un lit de repos, plusieurs bergères, chaises et fauteuils. Le projet initial représentait également les contes de Peau-d’Âne et du Chat Botté dans des tissages de tailles multiples. Le salon dit des « Contes de fées » regroupe finalement un ensemble de trois tapisseries, quatre fauteuils, quatre chaises, un canapé et un écran de cheminée, aujourd’hui tous conservés dans les collections du Mobilier national.





Suite à la médiatisation dans la presse du boudoir de Madame Rostand au début des années 1910, les Gobelins passent aussitôt commande à Veber des deux premiers cartons peints pour les tapisseries de La Belle au bois dormant et du Petit Poucet. En 1914, l’artiste reçoit la commande des cartons pour les assises et dossiers du mobilier par la manufacture de Beauvais, spécialisée dans les tapisseries de sièges. Après l’interruption du projet durant la guerre, Veber, dès 1919, se remet au travail et fournit le carton pour le canapé illustrant le conte de La Barbe-Bleue. Mais c’est à partir des années 1920 que le projet s’accélère en collaboration avec l’ébéniste et décorateur Paul Follot. L’ensemble du mobilier du salon est livré au terme de l’année 1922, soit peu de temps après l’achèvement du tissage des tapisseries du Petit Poucet et de La Belle au bois dormant entre 1919 et 1920. La tapisserie de Cendrillon, dont Veber fournit le carton en 1919, ainsi que l’écran sur le thème de La Belle et la Bête, ne sont pas tissés avant 1923 et 1926.


L’esthétique des maquettes peintes par Veber, servant à soumettre ses idées à la manufacture des Gobelins – préalablement à l’exécution des cartons peints, n’est pas sans rappeler celle des peintures qui ornent les murs de la villa Arnaga : les figures sont disposées dans une composition en frise et colorée.


Veber près d’un demi-siècle après, prend le contrepoint de Doré en proposant une vision idéalisée, romantique et quasi enfantine des histoires de Perrault. L’atmosphère y est légère et amusante tandis que le caractère terrible des récits originels est évincé : même les personnages les plus angoissants semblent relever d’une forme de grotesque. Cette représentation s’explique en partie par la diffusion massive des contes auprès des enfants, mais aussi par la nature de la commande passée à Veber. En effet, la conception d’un salon présuppose la création d’une ambiance agréable et rassurante, propice au délassement. Veber ne peut alors envisager de mettre en images ces récits à la manière d’un Doré. À la sortie de la Première Guerre mondiale, ce thème littéraire permet de renouer avec une certaine insouciance et de proposer un décor surprenant d’une grande richesse : le mobilier en bois de noyer doré et aux formes courbes s’accorde somptueusement avec les tapisseries de Beauvais.

Loin de s’ancrer dans une monotonie de composition, Veber conçoit l’ensemble des tapisseries murales de différentes manières afin d’inclure davantage de mouvement et de dynamisme, le tout dans une harmonie totale. Il fait le choix de représenter les contes de La Belle au bois dormant et de Cendrillon à un moment spécifique du récit. La première tapisserie montre le prince charmant accourant au chevet de sa bien-aimée, au beau milieu d’une végétation luxuriante où tous les personnages sont assoupis. La seconde tapisserie donne à voir une Cendrillon fuyante, dont le carrosse lancé à pleine vitesse ne permet pas au prince de la retenir. Mais le parti pris est différent dans la tapisserie du Petit Poucet puisque plusieurs instants clefs du conte y sont dépeints. En un coup d’oeil, il est possible d’accéder à l’ensemble de l’histoire, qui est harmonieusement condenscée.

D'après Jean Veber, Le Petit Poucet, 1914-1920 (tissage en haute lisse), laine et soie, 551 x 265 cm, Paris, Mobilier National, GOB 675 © Mobilier National & Isabelle Bideau

Le salon des « Contes de fées » de Veber est l’exemple parfait de l’universalité des histoires de Perrault. Si le recours au sujet des contes et à la technique de l’estampe n’étonne guère dans le domaine de l’illustration comme chez Doré, il est en revanche beaucoup plus singulier de rencontrer cette thématique dans le décor mural ou le mobilier. Cette originalité séduit immédiatement et Veber se voit honoré d’une seconde commande de la part de la manufacture de Beauvais, portant sur le thème des « Animaux dans la forêt », pour lequel il réalise les modèles de quatre chaises, trois fauteuils et un écran. L’ensemble, livré en 1925, s’inscrit dans la lignée du salon des « Contes de fées », et témoigne tant de son imagination que de son talent.





« Les contes de Perrault illustrés par l’art brut » :


« Les contes de fées c’est comme ça. Un matin on se réveille. On dit : « Ce n’était qu’un conte de fées… » On sourit de soi. Mais au fond on ne sourit guère. On sait bien que les contes de fées, c’est la seule vérité de la vie. »

- Antoine de Saint-Éxupéry



Bill Traylor, Petite fille en rouge, 1939-1942, peinture d'affiche et graphite sur carton, 34,3 x 28 cm, collection particulière © Éditions Diane de Selliers

L’ouvrage des Contes de Perrault illustrés par l’art brut, paru en 2020 sous la direction de Céline Delavaux, s’ouvre sur les mots emplis de sagesse de l’auteur du célèbre Petit Prince. C’est avec une profonde sensibilité qu’il affirme trouver dans les contes le sens profond de la vie. Il est vrai que la plume de Perrault évoque les grandes leçons de l’existence en y associant des personnages au destin extraordinaire. Tantôt en proie au vice, tantôt courageux et téméraires, les êtres qui peuplent les mondes imaginaires des contes ne cessent de surprendre les lecteurs tant leurs vies résonnent avec les nôtres. Tel est le but de cet ouvrage ambitieux qui propose d’associer à chacun des récits plusieurs œuvres d’artistes contemporains tourmentés, dont les peintures et dessins sont communément qualifiés d’art brut. Voici la définition qu’en donne Diane de Selliers dans son avant-propos : « L’art brut est né. Il se définit par la non-définition : il n’est ni un mouvement artistique, ni une école, ni un style et il recouvre un ensemble mouvant de productions inclassables, singulières, déroutantes. Il ne répond pas à des critères formels ou matériels, mais plutôt à ses conditions particulières de création. […] Un point commun : un irrépressible besoin de s’exprimer par l’image, nourri de références et d’interprétations personnelles. »


Aloïse Coryza, Papesse des étudiants, 1924-1941, crayon de couleur et papier collé sur carton, 39 x 24,5 cm, Collection Steck © Collection Steck

Ce livre ne présente pas de nouvelles illustrations des contes de Perrault, mais tisse des relations avec des œuvres leur faisant écho. Le caractère profondément sensible et particulier de leur contexte de production confère à l’ouvrage une dimension très touchante, chaque artiste exprimant une part de son mal-être et de ses doutes, mais aussi de ses rêves et aspirations. Une beauté violente et cruelle définit ainsi l’ensemble de la "Collection de l’Art Brut" cédée à la ville de Lausanne par Jean Dubuffet en 1971. Les associations proposées dans l’ouvrage sont assez significatives et les choix se justifient par une volonté d’appréhender différemment les histoires de Perrault, tout en témoignant de leur actualité. Les textes originaux sont conservés dans leur forme la plus pure et trônent aux côtés d’œuvres d’artistes ayant connu la guerre, la folie, l’emprisonnement et les hôpitaux psychiatriques, et expriment leurs émotions par leur art. Ce vécu difficile n’est pas sans rappeler la cruauté de celui d’un Petit Poucet abandonné ou la barbarie d’un Barbe Bleue envers sa jeune épouse. Dans leur « brutalité », les œuvres sélectionnées dialoguent admirablement avec les Contes de Perrault et attestent une fois de plus de leur universalité. Les morales dispensées dès 1697 touchent toutes les époques, tous les âges et toutes les couches de la société. Les Contes de Perrault illustrés par l’art brut tentent de mettre en avant cette intemporalité, tout en proposant une vision artistique très éloignée des habituelles mises en images de ces histoires. Si certaines associations apparaissent évidentes au premier coup d’œil, d’autres invitent à une réflexion plus complexe, parfois surprenante, et qui évoque des considérations plus générales sur l’art et la littérature. Les dessins présentés se situent à la frontière entre vision mystique, formes enfantines et royaume de l’onirique comme en témoigne cette Papesse des étudiants de Aloïse Corbaz, proposée en regard du conte de Cendrillon, au moment où cette dernière se rend au bal vêtu de ses plus belles étoffes. Artiste diagnostiquée schizophrène, Corbaz esquisse la silhouette d’une femme dont la nudité n’est que légèrement dissimulée, mais dont une aura indescriptible se dégage donnant à voir, une Cendrillon moderne, puissante et sûre d’elle.


Eugène Gabritschevsky, Sans titre, [s. d.], gouache sur papier, 21 x 30 cm, ABCD, Collection Bruno Decharme © Éditions Diane de Selliers

Qu’il s’agisse des illustrations d’un Gustave Doré, des décors d’un Jean Veber ou des œuvres présentées en miroir dans cet ouvrage, la fascination exercée par les contes de Perrault sur le monde de l’art est indéniable. Le temps ne semble avoir aucun impact sur eux, mais loin de rester figés à l’image de leur chère Belle au bois dormant, ils se réinventent constamment dans les arts figurés. Il nous incombe alors de transmettre ces récits et leurs représentations, mais aussi de les adapter à notre propre histoire, à la manière d’un conte nouveau, dont les premiers mots couchés sur le papier seraient : « Il était une fois… », comme un hommage muet et pourtant si parlant, à l’œuvre éternelle de Perrault.

 

Bibliographie :


Sur Gustave Doré et les contes de Perrault :

- Fumaroli Marc, Chatelain Jean-Marc, Perrault, Contes illustrés par Doré, Paris, BNF Éditions, 2016.

- Defrance Anne (dir.), « L’illustration des contes », Fééries, n°11 [en ligne], 2014.

- Martin Christophe, « L’illustration du conte de fées (1697-1789) », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n°57 [en ligne], 2005, pp. 113-132.

- Perrault Charles, Les contes de Perrault, dessins par Gustave Doré, préface par P.-J. Stahl, Paris, J. Hetzel, 1862, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département de la Réserve des livres rares, [version numérique disponible sur Gallica].


Sur Jean Veber et les contes de Perrault :

- Lazaj Jehanne & Ythier Bruno (dir.), Tapisseries 1925 : Aubusson, Beauvais, Les Gobelins à l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris, Toulouse, Éditons Privat, 2012.

- Vittet Jean, « Jean Veber », in Mobilier National, La Manufacture des Gobelins dans la première moitié du XXe siècle : de Gustave Geffroy à Guillaume Janneau, 1908-1944, cat. exp., Paris, Centre national des arts plastiques, 1999, pp. 36-38

- L. Fert, « Le Boudoir de Mme Edmond Rostand à Arnaga décoré par M. Jean Veber », Le Gaulois du dimanche, n°107, 5-6 février 1910, pp. 16-17.

- G. Mourey, « Le Boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo. Décoration de M. Jean Veber », Les Arts, n°99, mars 1910, pp. 18-21.

- R. Bouyer, « Jean Veber », Art et Décoration, 1900-1901, pp. 161-169


Sur l’art brut et les contes de Perrault :

- Delavaux Céline (dir.), Les contes de Perrault illustrés par l’art brut, Paris, Éditions Diane de Selliers, 2020.


Mes remerciements chaleureux s'adressent à Madame Marie-Hélène Bersani-Dali, Inspectrice des collections au Mobilier National, pour son aide et ses conseils concernant les recherches sur le Salon des "Contes de fées" de Jean Veber.

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