Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la ville de Strasbourg, jusqu’alors fortement marquée par les rigueurs de la Réforme, rentre dans une période d’intense renouveau culturel. La capitale alsacienne s’ouvre aux héritages des Renaissances germaniques et italiennes et en donne une interprétation assez originale, faisant de la ville un creuset de création. L’exposition « Strasbourg 1560-1600. Le renouveau des arts » offre du 2 février au 19 mai l’opportunité de venir explorer au musée de l’Œuvre Notre-Dame les différentes facettes de ce moment d'émulation entre arts, lettres et sciences. Revenons sur quelques éléments clés de cette très belle exposition qui met en lumière la singularité et la richesse de l’histoire locale, tout en l’intégrant intelligemment au récit plus global de l’histoire de l’art européen de l'époque.
Cela fait déjà de nombreuses années que le Musée de l’Œuvre se positionne dans le paysage culturel strasbourgeois avec ce type d’expositions sur l’histoire de l’art strasbourgeoise. C'est grâce au commissariat de Cécile Dupeux, sa conservatrice en chef, que "Le renouveau des arts" vient apporter un troisième temps à une série de longue date, consacrée d’abord à « Strasbourg 1400. Un foyer d’art dans l’Europe gothique » (2008), puis à « Strasbourg 1200-1230. La révolution gothique » (2015).
Bien que de nombreux témoignages de cette période d’émulation aient aujourd’hui disparu, l’exposition entend donner un aperçu de la place alors occupée par les arts à Strasbourg. Elle s’attarde notamment sur le rôle joué par l’imprimé, dont la place croissante permet une familiarisation progressive avec la grammaire antique.
Deux graveurs au rayonnement important sont particulièrement mis en avant : Tobias Stimmer (1539-1584), et Wendel Dietterlin (1551-1599). L'exposition fut notamment l'occasion de proposer une réédition des planches de Dietterlin.
L’exposition est-elle un prétexte à la restauration ou vient-elle la célébrer et la médiatiser ? Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un exemple fort réussi de mise en valeur du patrimoine, et ce sur plusieurs plans.
Premièrement, la scénographie et le propos se fondent avec le bâti du musée. Dès l’entrée le ton est donné : on accède au début de l’exposition par un escalier à vis majestueux, mis en valeur pour l’occasion par un écrin vitré. Un cartel invite ensuite à regarder par la fenêtre et un autre commente l’encadrement de porte par lequel nous passons à la salle suivante.
L’exposition est également le prétexte pour le musée de communiquer sur les recherches et restaurations récentes qu’elle a mené. C’est particulièrement frappant ici puisque presque la moitié des espaces sont consacrés à des ensembles restaurés pour l’occasion.
Concernant le bâti, l’exemple le plus parlant est certainement la salle des administrateurs, dont les boiseries ont fait l’objet d’importantes restaurations, révélant ainsi des bois dans un état de conservation exceptionnel. Pour ce qui est des œuvres mobiles, mentionnons l’ensemble remarquable se rapportant à l’horloge astronomique de la cathédrale Notre-Dame, voisine de la maison de l’Œuvre. Grisailles et sculptures se voient attribuer deux salles entières.
Autre point non négligeable, l’exposition offre un regard intéressant sur l’histoire mouvementée d’un de ses plus beaux espaces : la salle des loges. Séparé physiquement d’un étage du reste de l’exposition, ce détour en fin de visite invite le public à diriger son regard vers les murs et le plafond et le sensibilise aux aléas de l’Histoire, à sa stratification et aux enjeux complexes de la restauration.
La muséographie s’autorise un accrochage épuré, laissant la place au regard pour s’attarder confortablement sur les nombreuses œuvres de grande qualité, largement issues des collections des musées strasbourgeois. Grâce au mode de gestion en régie directe, les prêt au sein de ce réseau est chose aisée.
Certains s’étonneront de ne pas trouver au fil des salles les traditionnels cartels pour les enfants et autres moyens de médiation permettant à un public le plus vaste possible de profiter de l’exposition. Mais, sans non plus faire une croix sur ces exigences, ici d’autres possibilités ont été retenues. De manière générale ressort une volonté d’épurer les salles en réservant les médiations au public ciblé. Les enfants peuvent se saisir en début de parcours d’un carnet de visite, de même pour les visiteurs germanophones ou anglophones qui ont à leur disposition des livrets de salles. En outre, mentionnons la très riche programmation culturelle et éducative proposée en lien avec l’exposition. De la conférence en présence des restaurateurs à l’atelier famille sur l’horloge astronomique en réalité virtuelle (le Musée de l’Œuvre est particulièrement friand de nouvelles technologies), il est évident que si les salles sont dépouillées, il ne s’agit néanmoins en aucun cas de mettre au ban médiation et accessibilité.
Le début de l’année 2024 aura été l’occasion de voir fleurir de nombreuses expositions en lien avec la Renaissance. Charles VII au musée Cluny, Van Eyck au Louvre ou encore l'invention de la Renaissance à la BNF sont évidemment des exemples de choix. Mais loin de n’être que parisien, ce phénomène bénéficie de la contribution de nombreux musées français extra-franciliens qui se sont mis, le temps d’une exposition, à l’heure de la Renaissance. Avec « Strasbourg 1560-1600, la Renaissance des arts », Strasbourg apporte sa pierre à l’édifice et livre une exposition aussi exigeante que passionnante.
« Strasbourg 1560-1600, la Renaissance des arts »
Musée de l'Œuvre Notre-Dame, Strasbourg
Jusqu'au 19 mai
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