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Un panneau de Grégoire Guérard aux enchères


C’est sur une estimation de 60 000 - 80 000 € que la maison Rossini s’apprête à vendre, le 26 novembre prochain, un panneau rapproché avec une quasi-certitude de Grégoire Guérard. Ce peintre d'origine hollandaise, peut-être cousin d’Erasme, fut principalement actif en Champagne et en Bourgogne entre 1512 et 1538. La vente de l’une de ses rares œuvres connues en mains privées promet d’être exceptionnelle et risque de susciter l’intérêt de quelques institutions muséales.

Fig. Grégoire Guérard, Sainte Catherine et saint Christophe au revers, vers 1520.


Né au début des années 1480, Grégoire Guérard se serait formé comme peintre verrier dans les années 1490, "auprès de" ou dans l’entourage d’Arnoult de Nimègue, maître-verrier flamand notamment actif à Tournai. L'un de ses premiers tableaux connus est daté de 1512 : un Portement de croix partagé entre le musée des Beaux-Arts d'Alger, le musée Goya de Castres et le château d'Écouen. En 1515 il est de passage à Autun, période à laquelle il exécute le Triptyque de l’Eucharistie (ci-dessous) aujourd’hui conservé au musée Rolin, puis effectue un voyage en Italie. Il passe sans doute par Rome, Florence, Milan et Turin. À son retour en France en 1518, il s’installe à Tournus où il dirige un atelier influent jusqu’en 1530, puis retourne à Troyes.

Fig. Grégoire Guérard, Triptyque de l'Eucharistie, 1515. Autun, musée Rolin


Redécouvert grâce au travail d’un groupe de chercheurs mené par Frédéric Elsig depuis le début des années 2000, Grégoire Guérard est définitivement entré au panthéon des grands peintres grâce à l’exposition « François 1er et l’art des Pays-Bas », réalisée sous le commissariat de Cécile Scailliérez au musée du Louvre en 2017.


Fig. Grégoire Guérard dans l'exposition "François 1er et l'art des Pays Bas", musée du Louvre - 2017 / À droite, les deux panneaux de St-Léger-sur-Dheune et à gauche, la Vierge à l'Enfant du musée des Beaux-Arts de Dijon


Le panneau en question est connu et étudié. Il fut réalisé au cours de la décennie 1520 dans un contexte bourguignon et intègre le catalogue raisonné des œuvres de Grégoire Guérard dressé par Frédéric Elsig.


Il s’agit du volet droit d’un triptyque. Sur la face interne figure une sainte Catherine très sculpturale, au visage dur, représentée à mi-corps sur fond de paysage, tenant un livre. En bas à gauche de la composition figure le blason de la puissante famille bourguignonne des Vienne, ici associé à celui d'une autre influente famille, les Dinteville. Ce blason se retrouve sur des tapisseries héraldiques conservées au château de Commarin, commandées pour célébrer le mariage en 1500 de Girard de Vienne avec Bénigne de Dinteville, ainsi que sur des panneaux du Maître de Commarin provenant de la Sainte-Chapelle de Dijon (également conservés à Commarin). La face externe du panneau induit quant à elle un saint Christophe portant l’Enfant Jésus en grisaille, reprenant un modèle déjà utilisé par Guérard mais dans une composition inversée. Le modèle en question est sans aucun doute inspiré d’une célèbre gravure de Dürer.


Fig. Grégoire Guérard, Sainte Catherine, vers 1520.


Fig. Grégoire Guérard, Saint Christophe, vers 1520.

Fig. Albrecht Dürer, Saint Christophe, 1511


Nombre d’affinités sont notables entre les réalisations rapprochées de Grégoire Guérard et ce panneau. La figure de sainte Catherine évoque les saintes Barbe et Catherine conservées à Budapest (ci-dessous) et la Vierge de Plombières-lès-Dijon, trois panneaux attribués à l’artiste.


Fig. Grégoire Guérard, La Vierge, l'Enfant, saint Jean-Baptiste et deux anges, vers 1520. Plombières-lès-Dijon, église Saint-Baudèle


Les mains de la sainte présentent les mêmes volumes puissants et simplifiés de celles des saintes de Budapest ou des personnages du Triptyque de l’Eucharistie conservé au musée Rolin d’Autun, rappelant également l’influence de Grégoire Guérard sur les peintres de son temps. Ce traitement particulier n’est en effet pas sans rappeler les personnages des deux panneaux du triptyque Milletot conservés dans l’église Saint-Genest de Flavigny-sur-Ozerain, attribués au Maître de Commarin que nous évoquions quelques lignes en amont, peintre actif à Dijon au début du XVIe siècle. (voir notre article à ce sujet).


Fig. Grégoire Guérard, Sainte Catherine, 1520. Budapest, Szépmüvészeti Muzeum

Fig. Grégoire Guérard, Sainte Barbe, 1520. Budapest, Szépmüvészeti Muzeum


À cela s'ajoutent, entre autres, les nimbes des saintes et le motif de la roue de sainte Catherine traités d'une exacte même manière. Concernant le paysage en arrière-plan, si le château perché sur un promontoire rocheux est proche de celui visible sur le panneau de la sainte Barbe de Budapest, le traitement général reste très proche du tableau de Plombières-lès-Dijon, comme le montre la comparaison ci-dessous. Ces paysages peuvent être le résultat du travail d'un même collaborateur d'atelier de Guérard.


Fig. Grégoire Guérard, La Vierge, l'Enfant, saint Jean-Baptiste et deux anges (détail.), vers 1520. Plombières-lès-Dijon, église Saint-Baudèle

Fig. Grégoire Guérard, Sainte Catherine, vers 1520.


Peintre prolifique à la tête d’un atelier prospère, Grégoire Guérard eut un fort impact sur ses contemporains. Le panneau qui sera proposé aux enchères le 26 novembre prochain rejoint un corpus d’œuvres attribuées à l’artiste qui continue de s’étoffer. Il semble envisageable de le rapprocher du panneau conservé dans l'église de Plombières-lès-Dijon. Peut-être appartenaient-ils à une même réalisation ? C'est en tout cas une hypothèse émise par Frédéric Elsig.

 

Mise à jour du 26 novembre 2020 : Comme nous l'espérions, le panneau a finalement été préempté par le musée des Beaux-Arts de Dijon. Il pourra ainsi aisément être rapproché de celui de Plombières-lès-Dijon.

 

Références bibliographiques


- Elsig F. Grégoire Guérard, un peintre oublié de la Renaissance européenne. Milan, Silvana Editoriale, décembre 2017.

- Gilles M. Trois nouveaux panneaux de Grégoire Guérard. IN Peindre à Dijon au XVIe siècle. F.Elsig (dir.), Actes du colloque donné en 2016 à Genève. Milan, Silvana Editoriale.

- Guillaume M. (dir.), La peinture en Bourgogne au XVIe siècle, catalogue de l'exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Dijon de juin à août 1990.

- Scailliérez C. (dir.), François 1er et l'Art des Pays-Bas. Catalogue de l'exposition présentée au musée du Louvre du 18 octobre 2017 au 15 janvier 2018. Somogy Editions.


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