Nous souhaitons, avec ce court essai, signaler un tableau. Référencée au catalogue d'une vente publique en juin 2022 comme École italienne du XVIIe siècle, cette Mise au tombeau nous a en effet questionnés en salle. Elle était restée invendue lors d'un premier passage sous le feu des enchères en février et avait été portée à notre connaissance par Mme Cécile Scailliérez, que nous remercions pour ses conseils toujours avisés.
Fig : Suiveur de Grégoire Guérard ? Mise au tombeau. Bourgogne, XVIe siècle ? Huile sur toile. 83 x 67 cm. Collection particulière.
En premier lieu, il s’agit semble-t-il d’une composition réalisée dès l'origine sur toile, et qui a subi un rentoilage relativement récent. La toile originelle est toujours visible tandis que des traces d'agrandissements postérieurs sont décelables en partie supérieure. Le cadrage initial devait donc être plus serré.
Si le catalogue de la vente indique que le musée de Poitiers « conserve la Mise au tombeau d’Everard Quirijnsz van der Maes très proche de cette composition », ce qui dans les faits est exact, c’est que ces deux ensembles ont partagé un même modèle tout à fait illustre : une gravure d’Albrecht Dürer. En effet, elles sont redevables à un modèle gravé entre 1509 et 1510 par le maître allemand (folio 28 de la Petite Passion).
D’un point de vue stylistique, il faut scinder cette toile en deux. Les personnages situés en partie gauche semblent avoir été l’objet de repeints. En revanche, les figures enturbannées situées dans la partie droite du tableau et le faciès marqué du Christ évoquent de manière assez franche l’art de Grégoire Guérard. Nous pensons en effet à la Mise au tombeau du musée des Beaux—Arts de Dole ou encore à la Déploration conservée dans la Basilique de Saint-Quentin. C'est acquis, et cela a été longuement souligné par Frédéric Elsig dans sa monographie consacrée au maître hollandais ayant travaillé en Bourgogne et en Champagne entre 1515 et 1538 - et que nous avons eu l’occasion d’aborder à plusieurs reprises dans nos colonnes -, Grégoire Guérard s'est nourri tout au long de sa carrière des modèles de Dürer, notamment de sa Petite Passion. Le peintre a continué au fil des années à acquérir des gravures du maître d'outre-Rhin pour en abreuver son répertoire pictural. La palette acidulée et la carnation cuivrée du Christ appuient quant à elles un peu plus le rapprochement avec sa production.
Fig : Suiveur de Grégoire Guérard ? Mise au tombeau, XVIe siècle ? Huile sur toile. 83 x 67 cm. Collection particulière.
Fig : Grégoire Guérard, Mise au tombeau (détail.), vers 1530-31. Dole, musée des Beaux-Arts
Fig : Grégoire Guérard, Déploration du Christ (détail.), vers 1531-33. Saint-Quentin, basilique
Notons la présence d'une étiquette ancienne au dos de la toile - apposée à une époque où l'Œuvre de Grégoire Guérard n'avait pas encore été redécouverte - comportant la mention "Francesco da Milano, vers 1540. Expert : prof. Fiocco". Francesco da Milano, de son vrai nom Pagani, est un peintre actif dans les mêmes années que Guérard, semble-t-il entre 1502 et 1548 dans le secteur du Frioul en Italie, mais dont la carrière n'est que peu connue. Une dizaine d'œuvres est répertoriée comprenant plusieurs séries de peintures murales, notamment à San Fior et Colle Umberto. Un rapprochement stylistique semble néanmoins ici difficilement envisageable.
En définitive, si certaines figures ont été endommagées et repeintes, l'ensemble reste de qualité et surtout digne d'intérêt. L'art de Grégoire Guérard transparait mais la composition est assez dure. Une œuvre d'un suiveur proche du XVIe siècle ? Le format et le sujet peuvent également poser la question d'un triptyque démantelé. Autant de pistes stimulantes qu'il sera bon d'explorer.
Nous adressons nos remerciements à Mme Cécile Scailliérez.
Grégoire Guérard, quelques éléments bibliographiques :
- Elsig F. Grégoire Guérard, un peintre oublié de la Renaissance européenne. Milan, Silvana Editoriale, décembre 2017.
- Guillaume G. (dir.), La peinture en Bourgogne au XVIe siècle, catalogue de l'exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Dijon de juin à août 1990.
- Scailliérez C. (dir.), François 1er et l'Art des Pays-Bas. Catalogue de l'exposition présentée au musée du Louvre du 18 octobre 2017 au 15 janvier 2018. Somogy Editions.
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