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Un suiveur de Grégoire Guérard à Drouot ?

Par Nicolas Bousser


Nous souhaitons, avec ce court essai, signaler un tableau présenté ce 22 juin 2022 à Drouot. Référencée au catalogue de la vente « Grands décors » de la maison Millon comme École italienne du XVIIe siècle, cette Mise au tombeau nous a en effet questionnés en salle. Elle était restée invendue lors d'un premier passage sous le feu des enchères en février et avait été portée à notre connaissance par Mme Cécile Scailliérez.


Fig : Suiveur de Grégoire Guérard ? Mise au tombeau. Bourgogne, XVIe siècle ? Huile sur toile. 83 x 67 cm. Collection particulière. Photographie : Coupe-File Art.


En premier lieu, il s’agit semble-t-il d’une composition réalisée dès l'origine sur toile, et qui a subi un rentoilage relativement récent. La toile originelle est toujours visible tandis que des traces d'agrandissements postérieurs sont décelables. Ensuite, l’œuvre n’a, à notre sens, rien à voir ni avec l’Italie, ni avec le XVIIe siècle. Si le catalogue indique que le musée de Poitiers « conserve la Mise au tombeau d’Everard Quirijnsz van der Maes très proche de cette composition », ce qui dans les faits est vrai, c’est que ces deux ensembles ont partagé un même modèle tout à fait illustre : une gravure d’Albrecht Dürer. En effet, elles sont redevables au modèle gravé entre 1509 et 1510 par le maître allemand (folio 28 de la Petite Passion).

D’un point de vue stylistique, il faut scinder la toile présentée chez Millon en deux. Les personnages situés en partie gauche semblent avoir été l’objet de repeints. En revanche, les figures enturbanées situées dans la partie droite du tableau et le faciès marqué du Christ évoquent assez clairement l’art de Grégoire Guérard. Nous pensons en effet à la Mise au tombeau du musée des Beaux—Arts de Dole, à celle de l'église Notre-Dame de Bourg-en-Bresse ou encore à la Déploration conservée dans la Basilique de Saint-Quentin. C'est acquis, et cela a été longtemps souligné par Frédéric Elsig dans sa monographie consacrée au maître hollandais ayant travaillé en Bourgogne et en Champagne entre 1515 et 1538 - et que nous avons eu l’occasion d’aborder à plusieurs reprises dans ces colonnes -, Grégoire Guérard s'est nourri tout au long de sa carrière des modèles de Dürer, notamment de sa Petite Passion. Le peintre a continué au fil des années à acquérir des estampes du maître d'outre-Rhin pour en abreuver son répertoire pictural. La palette acidulée et la carnation cuivrée du Christ appuient quant à elle un peu plus le rapprochement avec sa production.


Fig : Suiveur de Grégoire Guérard ? Mise au tombeau, XVIe siècle ? Huile sur toile. 83 x 67 cm. Collection particulière. Photographie Coupe-File Art.

Fig : Grégoire Guérard, Mise au tombeau (détail.), vers 1530-31. Dole, musée des Beaux-Arts

Fig : Grégoire Guérard, Déploration du Christ (détail.), vers 1531-33. Saint-Quentin, basilique


Notons également la présence d'une étiquette ancienne au dos de la toile comportant la mention "Francesco da Milano, vers 1540. Expert : prof. Fiocco". Francesco da Milano, de son vrai nom Pagani, est un peintre actif dans les mêmes années que Guérard, semble-t-il entre 1502 et 1548 dans le secteur du Frioul en Italie, mais dont la carrière n'est que peu connue. Une dizaine d'œuvres est répertoriée comprenant plusieurs séries de peintures murales, notamment à San Fior et Colle Umberto. Au vu de nos observations précédentes, cette mention semble anecdotique, apposée au cours du XXe siècle. De plus, tout rapprochement stylistique est impossible.


En définitive, si certaines figures ont été endommagées et repeintes, l'ensemble reste de qualité et digne d'intérêt. L'art de Grégoire Guérard transparait mais la composition est néanmoins assez dure. Une œuvre d'un suiveur proche en Bourgogne ? Le format et le sujet peuvent également poser la question d'un triptyque démantelé. Nous allons poursuivre nos recherches afin d'enrichir ce propos.

 

Nous adressons nos remerciements à Mme Cécile Scailliérez.

 

Grégoire Guérard, quelques éléments bibliographiques :


- Elsig F. Grégoire Guérard, un peintre oublié de la Renaissance européenne. Milan, Silvana Editoriale, décembre 2017.

- Guillaume G. (dir.), La peinture en Bourgogne au XVIe siècle, catalogue de l'exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Dijon de juin à août 1990.

- Scailliérez C. (dir.), François 1er et l'Art des Pays-Bas. Catalogue de l'exposition présentée au musée du Louvre du 18 octobre 2017 au 15 janvier 2018. Somogy Editions.

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