Le 30 janvier 1649, après des années de guerre civile, Charles 1er, le roi d’Angleterre, est décapité devant la Banqueting House, le chef-d’œuvre d’architecture d’Inigo Jones. Cette exécution aurait pu marquer la fin du règne des Stuart sur le trône d'Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse, mais il n’en fut rien. En effet, après l’échec du Commonwealth d’Angleterre instauré par Olivier Cromwell, les enfants exilés de Charles 1er firent leur retour et Charles II s’installa sur le trône en 1660. Cette Restauration ramena une paix propice au développement des arts et notamment de la peinture. Les commandes, particulièrement de portraits, affluaient de nouveau et un homme, aujourd’hui quelque peu oublié, su en profiter. Il se nomme Peter Lely.
Peter Lely, comme son nom ne l’indique pas, est originaire des Provinces-Unies. Il naquit en effet sous le nom de Pieter van der Faes, de parents originaires de La Haye pour son père et d’Utrecht pour sa mère, le 14 septembre 1618.
La jeunesse de celui qui se fera très tôt appelé Peter Lely (en hommage au surnom de la maison où était né son père, In de Lelye, car y poussaient de très grands lilas) est assez mal connue. Nous savons cependant qu’il commença son apprentissage auprès d’un certain Frans Pietersz. De Grebber dans les années 1630 à Haarlem.
Haarlem était alors une ville financièrement en plein apogée. Les riches protestants flamands avaient, en effet, fait de la cité leur lieu d’exil privilégié. Cette prospérité nouvelle entraîna un important développement culturel dont est témoin un marché de l’art parmi les plus actifs d’Europe. De nombreuses œuvres passaient donc par Haarlem et ce de manière très régulière. Du point de vue de la production locale, la ville n’était pas en reste avec de très grands artistes parmi lesquels nous pouvons citer Frans Hals, Pieter de Grebber (fils de Frans) ou encore Jan Miense Molenaer.
Cette densité de peintres de grand talent fut peut-être ce qui poussa Peter Lely a quitter les Provinces-Unies au début des années 1640 pour se rendre en Angleterre. La date exacte de ce déménagement est toujours sujette à discussions car les sources anciennes divergent. En 1695, l’historien Richard Graham écrivit que Lely arriva en Angleterre en 1641 en tant que peintre de paysages avant de de se tourner vers le portrait face à la demande importante. Bainbrigg Buckeridge, un autre historien contemporain de Graham, confirme cela dans son Essai sur l’école anglaise de peinture publié en 1706. Cependant, Arnold Houbraken, écrivant entre 1717 et 1719, affirme que Lely arriva en Angleterre dans la suite du prince William d’Orange, qui épousa la princesse Marie d’Angleterre à Londres en 1643. S'il se trompe sur la date du mariage, qui fut célébré en 1641, la date de 1643 est, elle, bien inscrite sur le premier paysage d’Angleterre de Lely. Dans tous les cas, le peintre semble arriver en Angleterre au tout début des années 1640. Il sait ainsi qu’une place est à prendre, celle de peintre du roi, laissée vacante depuis la mort d’Antoon van Dyck en 1641.
En Angleterre, Lely peignit assez rapidement des portraits, commençant ainsi à se faire un nom. Sa première grande commande date de 1647 lorsque le Comte de Northumberland, soutien de Charles 1er, lui demanda un portrait des trois enfants de ce dernier (le tableau est aujourd’hui conservé à Petworth). Cette fabrique d’une renommée passa également par la pratique du métier de marchand d’art. En effet, Peter Lely profita de la crise provoquée par la guerre civile et par l’exécution de Charles 1er pour acquérir des œuvres. Parmi celles-ci nous pouvons notamment citer une œuvre de Van Dyck, Amour et Psyché.
Durant le Commonwealth d’Angleterre, Peter Lely ne choisit pas de camp et joue sur tous les tableaux. Après avoir peint les enfants de Charles 1er, il n’hésita pas lorsqu’on lui demande de portraiturer Olivier Cromwell (le tableau est conservé à Birmingham).
Au retour d’exil des enfants de Charles 1er, pour montrer ses bonnes grâces, Lely rendit les œuvres de la collection du roi qu’il avait pu acheter comme l’Amour et Psyché de van Dyck. En récompense, il fut nommé en 1661 Premier Peintre du Roi, poste qu'il occupa jusqu’à sa mort en 1680.
Grâce à ce titre nouvellement acquis, Lely devint l’un des artistes les plus en vue d'Angleterre. Pour répondre à une demande excessive pour un homme seul, Lely développa alors un important atelier avec des assistants qui copiaient ses plus belles œuvres à des fins mercantiles et l’aidaient dans la réalisation de ses portraits. Afin de peindre rapidement, Lely se basait aussi sur des types qu’il réinterprétait à l’infini en fonction des modèles. Cela lui vaudra des critiques, même de ses contemporains. Le poète John Dryden dira de lui qu’il "a dessiné de très belles peintures, mais beaucoup se ressemblent" ou encore "Tous les modèles de Lely semblent frères et sœurs".
Néanmoins, face aux commandes prestigieuses, Lely à l’obligation de se dépasser. Ce fut notamment le cas lorsque Jacques, frère de Charles II, et son épouse Anne Hyde lui demandèrent en 1661 ou 1662 de réaliser leur portrait. La mission n’était pas aisée car le couple était dans une situation délicate. En effet, Anne Hyde est une roturière, fille du principal conseiller du roi. Le couple s'étant secrètement marié en 165, quand cela fut annoncé à la Restauration, une grande controverse éclata. Malgré les nombreuses réticences, y compris celles d'Edward Hyde, père de la marié, Jacques et Anne se marièrent officiellement le 3 septembre 1660 à Londres. Il s’agit donc, avec cette œuvre, pour le couple d’appuyer leur union et leur légitimité par la peinture. C’est pourquoi ils firent appel au peintre du roi, Peter Lely. Ce dernier à l’avantage de peindre à la manière de van Dyck. Il est donc le peintre idéal car cela permet de placer le couple stylistiquement dans l’héritage du goût Stuart du grand portrait baroque. Le couple commanda ainsi ce double portrait afin de le diffuser et d’affirmer au yeux de tous leur union.
Pour concevoir l'œuvre, Lely ne s’est pas fondé sur une pause directe de ses deux modèles mais a fusionné deux peintures indépendantes produites en pendant pour le père de la mariée et aujourd’hui conservées à Edimbourg.
Peter Lely peignit alors dans un format rectangulaire étiré en largeur ce double portrait. Les personnages représentés à mi-corps, assis, se dégagent sur un fond très légèrement ouvert sur un paysage de forêt, clos par une colonne et son socle ainsi que par des drapés. Jacques est vêtu d’une ample chemise blanche nouée au niveau du col. Celle-ci est en partie couverte par une armure dont on discerne le reflet sur l’épaule gauche. Il porte, par-dessus, un manteau brun, caractéristique de la mode des années 1660 en Angleterre. Ce manteau est enrichi par des rubans bleus au niveau des manches. Le costume est complété par une large écharpe rouge qui traverse en diagonale le buste et par un pantalon bouffant. Il tient de la main gauche un bâton de commandement. Jacques est donc représenté en soldat, faisant ainsi référence à ces récentes actions militaires réalisées lors de son exil sur le continent.
Anne est, elle, représentée de trois-quarts, le regard tourné vers le spectateur, et porte une large robe en satin bleu par-dessus une chemise blanche à larges manches. Ses épaules et son tour de poitrine sont ornées d’une très beau châle en soie transparente. Elle porte de larges boucles d’oreilles et une coiffure parfaitement à la mode, comme celle de son mari d’ailleurs, constituée d’une succession de larges boucles parallèles.
Pour ce double portrait Lely reprend donc une formule affirmée avant lui par van Dyck, celle du double portrait intime montrant les deux personnages coupés au niveau des genoux. Nous retrouvons par exemple cela dans le Double portrait de Thomas Howard, duc d’Arundel avec son épouse (vers 1639/40, Vienne, Kunsthistorisches Museum) ou dans le Double portrait de Charles Louis, Électeur palatin, et son frère le Prince Robert (1637, Paris, Musée du Louvre). De van Dyck, Lely reprend également la mise en scène vénitienne avec l’ouverture sur le paysage et la structuration architecturale avec deux colonnes. Une immense à l’arrière qui permet de stabiliser la composition mais également de donner de la gradeur aux modèles et une seconde, plus petite, à l’avant, que pointe du doigt Jacques. Celle-ci, qui permet également d’amener de la stabilité à la composition par des lignes horizontales, peut être lue d’un point de vue symbolique, étant désignée par le modèle. La colonne semble ici être un symbole de la stabilité, stabilité amoureuse d’abord et stabilité politique ensuite à mettre en lien avec le contexte de la Restauration. Cela est d’autant plus accentué par le nœud sur la colonne, symbole même d'une union. Pour continuer dans la symbolique, Anne Hyde tient dans ses bras le casque de son mari, marque de son soutien.
De van Dyck, Lely reprend ensuite le traitement des drapés qui amènent du dynamisme à la composition par leurs lignes courbes. Ce travail des drapés qui entourent la composition à la manière d’une scène de théâtre permet d’accentuer la mise en scène. Enfin l’influence vandyckienne se ressent également dans le traitement des personnages avec notamment une vie qui se dégage des visages, un dynamisme des poses et enfin un traitement des effets dans les matières des costumes. Lely place à la manière de Van Dyck des touches de blanc aux plis des vêtements pour en faire ressortir le volume ou en rendre le satiné pour la robe.
Néanmoins, Lely n’imita pas simplement le style de van Dyck, il possède également sa propre manière. Celle-ci passe par deux éléments, la couleur et le paysage. Tout d’abord la palette de Lely est beaucoup plus chatoyante que celle de van Dyck avec des couleurs beaucoup plus saturées. On ressent ici sa formation à Haarlem. Il n’hésite pas d’ailleurs à jouer avec ses couleurs pour organiser la composition. Il met par exemple en avant la jeune femme en la baignant avec sa robe bleue sur un drapé orange. Il utilise ainsi de façon empirique les couleurs complémentaires pour créer un contraste fort qui participe à donner de la profondeur à la composition. Sa palette large lui permet également de jouer sur les nuances, notamment d’orange, afin d’intégrer le duc au sein de l’architecture lui associant ainsi ses vertus de force et de stabilité.
Le traitement du paysage est aussi caractéristique de la manière de Lely. Celui-ci permet d’aérer la composition en créant de la profondeur. On ressent ici encore une fois qu’avant d’avoir vu l'art de van Dyck, il a vu la peinture hollandaise. Il peint un paysage forestier abondant où on peine à discerner les formes dans la multitude de feuilles. Il donne presque un côté dramatique à ce paysage par l’usage de couleurs contrastées, le vert, le rouge, l’orange. Il y a presque un aspect préromantique à ce paysage comme on en trouve trace à la même époque dans les œuvres de Jacob van Ruisdael.
Lely peignit donc un double portrait basé sur l’art de van Dyck, se plaçant lui et ses modèles dans le grand goût Stuart. Par ce critère stylistique d’abord, il participa à légitimer l’union. Cette légitimation du couple, mobile sans doute premier du tableau, passa ensuite par la représentation des deux personnages. Jacques est représenté en chef de guerre et Anne est magnifiquement vêtue selon les derniers goûts, à la manière de la plus haute aristocratie, dont elle fait partie maintenant. Enfin, la mise en scène par le jeu de la symbolique avec notamment la colonne à l’avant et le fait qu’Anne tienne le casque de son mari participe à montrer un couple puissant et uni. Lely utilisa donc ainsi tout ce qu’une peinture peut offrir pour atteindre le but voulu par les commanditaires.
Néanmoins, s'il y a un bémol à apporter à ce tableau, c’est l’interaction entre les deux personnages. Le fait qu’il s’agisse de deux poses indépendantes unies au sein d’une même composition est trop prégnante. L’œuvre donne ainsi l’impression que le duc d’York regarde plus au loin que son épouse et que cette dernière semble porter le casque de son mari (seul lien entre les deux personnages) sur et non dans ses mains. Il n’y a aucune interaction physique entre les deux époux, ils sont là l’un posé à côté de l’autre. Cette absence d’interaction est un problème récurrent de la production de Lely. Il n’a malheureusement pas une science de la composition aussi puissante que celle de van Dyck.
Cependant son style marqué par une palette très colorée va faire école. À la manière d’un Manfredi par rapport à Caravage, certains disent que c’est Lely, plus que van Dyck, par son immense production qui a défini le portrait anglais. Il a en effet participé à en rendre les codes systématiques. C’est d’ailleurs cette systématisation qui lui fut reprochée de son vivant comme nous l’avons vu. Néanmoins il faudra attendre près d’un siècle et le travail de Hogarth ou Reynolds pour que le modèle qu’il a mis en place soit renouvelé.
En conclusion, il semble intéressant de comparer l’œuvre avec un autre tableau montrant les mêmes modèles, toujours par Lely mais peint quelques années plus tard. Jacques et Anne sont ici entourés de leurs enfants mais leur pose n’a pas évolué depuis toute ces années. Cela est ainsi symptomatique de l’art de Lely, un grand talent, une palette magnifique mais desservi par une production trop structurée qui fige les compositions.
Antoine Lavastre
Comments