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[1/2] Winsor McCay, le crayon et la bobine


La seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont le théâtre de l'émergence fulgurante de la bande dessinée et des débuts du cinéma. Aux États-Unis, Winsor McCay réussit l'exploit de s'illustrer dans les deux domaines, en marquant à chaque fois l'histoire du médium. Dessinateur virtuose et pionnier de l'image animée, ce travailleur acharné a dévoué sa vie à l'art de la ligne.


Né dans le Michigan entre 1866 et 1871 au sein d'une famille modeste, Winsor McCay manifeste très tôt une véritable obsession pour le dessin. Sans cesse en train de crayonner, il est capable de reproduire de mémoire des objets et scènes complexes. Alors que son père le pousse à s'inscrire au Cleary Business College, Winsor McCay préfère se rendre dans des fêtes foraines afin d'y vendre ses dessins. Il déménage à Chicago puis à Cincinnati, où il fait ses premiers pas dans l'univers de la presse au Cincinnati Commercial Tribute. Plus tard, il réalise sa première série, A Tale of the Jungle Imps by Felix Fiddle, alors qu'il travaille pour The Cincinnati Enquirer, avant d'être repéré en 1903 par James Gordon Bennett Jr., qui l'invite à rejoindre le New York Herald. Le dessinateur, âgé d'une trentaine d'années, part s'installer à New York.


Winsor McCay (1866/1871 - 1934), Illustration éditoriale sur la guerre américano-phillipine, 1899


Le comic strip est alors en pleine explosion aux États-Unis. Né dans les années 1890 de la concurrence féroce que se livraient les différents journaux quotidiens, illustrée par la rivalité entre Joseph Pulitzer et William Randolph Hearst, ces courtes bandes dessinées se présentent comme une évolution du dessin humoristique. Afin de fidéliser un plus vaste public, les journaux mettent davantage en avant l'image et le sensationnel, aidés par l'invention de la technique d'impression Ben-Day, qui permet de reproduire des photographies et d'ajouter de la texture aux dessins de presse. Les planches dominicales font leur apparition, visant en particulier les enfants en se consacrant à des récits légers et colorés. Elles mettent en scène des personnages récurrents et attachants, comme le populaire Yellow Kid de Richard Felton Outcault.


Winsor McCay connaît un certain succès en 1904 avec Little Sammy Sneeze, une série humoristique qui suit toujours le même schéma : l'éternuement du petit Sammy provoque une catastrophe. Cette éventualité se précise au fil des cases, la bouche de Sammy s'ouvrant de plus en plus, annonçant le chaos à venir. Cette façon de décrire les différentes étapes de l'éternuement ne va pas sans rappeler le film Fred Ott's Sneeze, réalisé en 1894 par William K.L. Dickinson, et annonce déjà un goût pour le mouvement et la transformation qui conduirait plus tard Winsor McCay à l'animation. L'auteur place souvent son personnage dans un décor très rangé et statique, pour mieux le détruire au moment opportun dans un désordre ludique. Cela est d'autant plus frappant que le trait de Winsor McCay est très réaliste, ce qui tranche avec le style de ses confrères plus souvent inspirés par la caricature.


Dream of the Rarebit Fiend (Cauchemars de l'amateur de fondue au Chester) est un comic strip réalisé par Winsor McCay à partir de 1904 dans le Evening Telegram, publié par le Herald à l'époque. Il y relate les cauchemars digestifs d'une foule de personnages et commence à développer l'un de ses thèmes de prédilection : le rêve. L'esthétique du cauchemar est traitée avec inventivité, chaque nouvelle page étant l'occasion pour l'auteur d'explorer une nouvelle situation absurde. Dans l'exemple ci-contre, un homme voit ses chaussures grandir sans cesse alors qu'il essaie de les débarrasser de la neige qui les recouvre. L'allongement de ses pieds est comparable à l'étirement progressif des cases de la bande dessinée, qui s'achève comme à chaque fois par le réveil du rêveur ou de la rêveuse. Ce comic strip, signé Silas pour des raisons contractuelles, se poursuit jusqu'en 1925 et voit l'apparition d'un autre personnage phare de Winsor McCay, inspiré de son fils Robert : Little Nemo. Toujours avec son dessin précis, l'auteur dépeint pour le New York Herald puis le New York American les aventures de ce garçon dans un univers fantastique : Slumberland (le pays du sommeil).



Little Nemo in Slumberland, publié entre 1905 et 1914, est sans doute la bande dessinée la plus célèbre de Winsor McCay. Invité par le roi Morphée au royaume de Slumberland pour y rencontrer sa fille la Princesse, Nemo s'efforce de se rendre au royaume des rêves, mais ses tentatives sont contrariées par une multitude d'obstacles qui précipitent son réveil. Dans les premiers mois de la publication, les histoires ne se suivent pas et relatent semaine après semaine les échecs de Little Nemo à atteindre le royaume des rêves. Cependant, dès lors qu'il parvient à pénétrer dans Slumberland, ses histoires se mettent à se succéder d'une semaine à l'autre, ce qui permet à l'auteur de développer davantage son univers onirique. Parfois, le rêve et la réalité se mêlent, comme dans la planche ci-contre où les gouttes d'eau que la mère de Nemo projette sur celui-ci pour le réveiller se changent en pluie dans le royaume des rêves. Le monde de Slumberland est inspiré en partie par l'Art nouveau et l'Exposition universelle de 1893 à Chicago, laquelle a beaucoup marqué Winsor McCay.



Au cours des premiers mois de la publication, les cases étaient toutes accompagnées d'un petit texte résumant l'action qui s'y déroulait. Par la suite, l'auteur se passe de ces indications écrites qui alourdissaient la lecture. Quant au découpage, il s'adapte à la narration, ce qui pousse le dessinateur à renouveler sans cesse sa forme à une époque où la plupart des auteurs de bande dessinée s'en tiennent à une succession de cases de tailles identiques. La planche elle-même devient une entité esthétique à part entière : les cases s'allongent, se rétractent ou s'arrondissent, avec des jeux sur les échelles, les couleurs et les formes. Ci-contre, la structure en escalier souligne dans un premier temps l'étirement des personnages, avant d'en accentuer les déformations par un écrasement de plus en plus claustrophobique. La page est rythmée par un ensemble de lignes verticales et colorées, ce qui participe à la fluidité de la lecture. Winsor McCay joue allègrement avec les codes naissants de la bande dessinée, n'hésitant pas à briser le quatrième mur comme dans l'exemple ci-dessous, où le titre de la série est abattu et dévoré par les personnages.





Les bandes dessinées de Winsor McCay et en particulier Little Nemo in Slumberland ont eu une grande influence de par leur inventivité graphique. La récente sortie sur Netflix du film Slumberland, réalisé par Francis Lawrence, prouve que l'auteur étatsunien n'a pas cessé d'inspirer les créateurs du monde entier. Son goût pour les scènes de transformation le conduit naturellement à s'intéresser au dessin animé. Cet autre pan de la production de Winsor McCay fera l'objet du second article de cette série.


 

- PEETERS Benoît, Winsor McCay, de la bande dessinée au dessin animé, huitième conférence du cycle La révolution des images (1830-1914), donnée au Musée des arts et métiers le 10 mai 2017.


Bibliographie :


- CANEMAKER John, Winsor McCay, His Life and Art, 2018, CRC Press

- COTTE Olivier, 100 ans de cinéma d'animation, 2015, Dunod


Sitographie :


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