L’art, la littérature, la musique sont des expériences sensorielles qui procurent à l’être malheureux son segment journalier de Beauté. La contemplation d’une œuvre d’art doit baigner l’esprit du spectateur d’une grâce indéfinissable. Prenons donc aujourd’hui le temps de regarder, d’apprécier le détail d’un tableau, de goûter le raffinement d’une étoffe, la finesse d’une broderie, le charme d’une cotonnade fleurie. En matière de joliesse vestimentaire, les portraits du XVIIIe siècle imposent une véritable leçon de goût. Entre confort et ostentation, saisis par les peintres dans la sphère privée, ces élégants incarnent l’art de se vestir à la française.
Naissance de l’intimité au XVIIIe siècle
Loin de la pompe curiale, les hôtels particuliers s’aménagent en une succession de petits espaces, des appartements privés qui offrent un écrin douillet au désir inédit d’intimité. De nouveaux lieux apparaissent à l’instar du boudoir, pièce typiquement féminine aménagée précieusement, et du cabinet, destiné à l’étude et aux affaires. Ces espaces se retrouvent généralement placés avant la chambre pour éviter que les visiteurs ne traversent cette dernière. On choisit désormais d’être seul ou en compagnie. Dans ces berceaux de l’oisiveté se joue le théâtre quotidien de la toilette, moment de la construction des apparences. Thème apprécié des artistes, le rituel de la toilette devient un instant de sociabilité, prétexte à la mise en scène de son goût et de son statut. Les peintures charmantes et délicates de Boucher décrivent les étapes de la parure, la pose du fard blanc et du rouge aux joues, l’ajout de quelques mouches en taffetas noir qui rehaussent la pâleur de la peau.
« Une jolie femme fait régulièrement chaque matin deux toilettes. La première est fort secrète, & jamais les amants n’y sont admis ; ils n’entrent qu’à l’heure indiquée […] La seconde toilette n’est qu’un jeu inventé par la coquetterie. […] Cette toilette n’est qu’un rôle qui favorise le développement de mille attraits cachés et non encore aperçus. Un peignoir qui se dérange, une jambe demi-nue qu’on laisse entrevoir, une mule légère qui échappe du pied mignon qu’elle renferme à peine, un déshabillé voluptueux où la taille paraît plus riche et plus élégante, donnent mille instants flatteurs à la vanité des femmes. »
Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, Chapitre CCCCXCVIII « Toilette », 1783
Le vestiaire du négligé
Dans l’univers feutré de l’hôtel particulier, la mode tend vers une plus grande aisance, un assouplissement vestimentaire contrastant avec la grande parure, de rigueur à la cour. Dans leur intimité, les femmes portent des vêtements dits « négligés » ou « déshabillés ». Dans son Art du tailleur de 1769, François-Alexandre Garsault décompose le déshabillé en un manteau-de-lit et un jupon. A l’image du peignoir, arboré au moment de la toilette, le manteau-de-lit se taille souvent dans des étoffes légères, une fine percale ou une mousseline diaphane. Les hommes rivalisent aussi d’élégance dans leurs amples robes de chambre. Inspirées de la forme du kimono japonais – certaines peuvent néanmoins avoir des manches rapportées – les robes de chambre sont le support idéal du goût pour l’exotisme. La vogue d’un Orient rêvé se manifeste dans les soies façonnées et brodées, les indiennes (cotonnades imprimées), les brandebourgs et autres passementeries, les motifs décoratifs d’une subtilité indicible. La tenue est complétée par un bonnet, tout aussi somptueux, qui couvre le crâne rasé, dépourvu de sa perruque en intérieur. Très vite, la robe de chambre ou le banyan deviennent l’emblème du savant et de l’homme de lettres. L’intellectuel aime à se faire portraiturer ainsi, en tant que penseur dans son cabinet, temple de sa réflexion.
Parmi les pépites des lettres françaises : Denis Diderot, Regrets sur ma vieille robe de chambre (ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune), 1772
« Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. […] Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. »
De l’intimité à la sphère publique
La mode et le vêtement font partie intégrante du siècle des Lumières. Plusieurs centaines d’articles, écrits par Louis de Jaucourt et Denis Diderot, concernent ce domaine dans l’Encyclopédie. Le combat que mènent les hygiénistes contre la rigidité extrême des vêtements commence à fructifier au fil du siècle et le naturel se répand dans les habits, les coiffures, le maquillage, la réduction du talon. Le naturaliste Buffon compare le corps à baleines porté par les femmes, pour faire belle taille et gorge haute, à un « pressoir à corps ». Ce nouveau confort apparent résonne dans les aspirations idéalistes des philosophes, condamnant la frivolité de la société et énonçant de nouveaux préceptes notamment en matière d’éducation. Parallèlement, l’étiquette perd peu à peu de son aura et la souplesse des toilettes rayonne désormais dans des tenues publiques informelles. Par sa coupe ample et évasée dans le bas, la robe volante (ou battante ou ballante) dérive des robes de négligé portées dans l’intimité et incarne ce « joli temps de la Régence où l’on fit tout excepté pénitence ».
Plus tard, au Salon de 1783, le scandale éclate lorsqu’Elisabeth Vigée-Lebrun présente un portrait de Marie-Antoinette dans une robe de mousseline dite « en chemise », « à la créole » ou « en gaulle ». La mode est alors aux robes galantes et légères, unies, parsemées de discrètes rayures ou des motifs raffinés d’une toile de Jouy. Le portrait est finalement remplacé par une version plus convenable décrivant la reine dans une robe à la française en satin de soie bleue, sur panier, qui retient de la robe volante ses plis plats dans le dos. Ce goût de simplicité et d’authenticité, teinté d’anglomanie, séduit en cette fin de siècle versée dans l’utopie d’une Arcadie antique.
« Il y a souvent plus d’art dans le déshabillé, que dans la grande parure. » Louis Antoine Caraccioli
Margaux Granier -Weber
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