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D'Anish Kapoor à Guido Reni, The Benighted à la Galerie Canesso


Le mariage entre art contemporain et art ancien est une chose complexe. Pour réussir son effet, il faut parvenir à trouver un équilibre là où souvent l’un des deux genres n’est exposé que comme faire-valoir de l’autre ; l’art contemporain servant à mettre en avant la maîtrise technique des maîtres du passé et l’art ancien démontrant la supériorité conceptuelle des artistes de notre temps. À la galerie Canesso, il n’est pas question de cela. En réunissant des œuvres d’Anish Kapoor et des maîtres du baroque italien, l’exposition cherche à sublimer ensemble et non au détriment de l’autre. De cet équilibre émane alors une puissance dont les œuvres sortent magnifiées.



Réunir le travail d’Anish Kapoor avec des tableaux italiens du XVIIe siècle ne semble pas évident au premier regard. L’art abstrait, très rugueux, presque râpeux de l’artiste indien parait s’opposer au brio technique et à la finesse des compositions des maîtres du Seicento. Néanmoins, des liens existent et ce sont eux qui font le succès de l’exposition.

D’abord du rouge


Les œuvres de Kapoor en dégoulinent littéralement tant chez lui cette couleur est liée au sang. Dans Skin, la toile parait comme une plaie ouverte dans laquelle le regard du spectateur s’immerge jusqu’aux profondeurs de la chair déchirée. En regard, le saint Jérôme de Guido Reni – chef-d’œuvre de justesse émotionnelle – répond par son drapé rougeoyant et surtout par l’action qu’il représente, celle d’un homme se meurtrissant le torse à coups de pierre, déchirant ainsi lui aussi sa chair. Du caillou qu’il tient, quelques gouttes de sang coulent.

Anish Kapoor, Skin, 2022, Huile sur toile, 213 x 274 cm © Anish Kapoor All rights reserved SIAE, 2023 Courtesy of the artist and GALLERIA CONTINUA

La technique ensuite


Antonio Cifrondi (Clusone, 1656- Brescia, 1730), Le suicide de Lucrèce, Huile sur toile, 86 x 69 cm, Vers 1698-1700 © Galerie Canesso, Paris

Ces gouttes se transforment, quelques mètres plus loin, en rivière, le long du cou de la Lucrèce peinte par un maître aujourd’hui largement méconnu : Antonio Cifrondi (Clusone, 1656-Brescia, 1730). La technique dans l’œuvre tourne au tour de force du Fa Presto. Le pinceau court sur la toile par de longs coups dessinant le drapé, le corps, et l’œil (un coup unique de peinture brune marque l’iris). Les toiles de Kapoor ne sont alors plus si loin dans leur matérialité puisque là aussi le pinceau semble prisonnier d’un élan infernal, d’un rythme de plus en plus rapide. Dans The Benighted III (2022), il forme ainsi par ses traces des tourbillons semblables à la danse des flammes ou à du magma en fusion dont les reflets sortent avec fracas en dehors du cadre fourni par le fond noir.


Puis les reflets


Anish Kapoor est d'ailleurs, avant d’être un peintre, un artiste du reflet. Il travaille avec des sculptures miroirs dont le spectateur est l’activateur. Il faut ainsi se déplacer. Aller à droite, aller à gauche, se fixer au centre pour faire apparaître dans Laser Red to Garnet son propre reflet ou celui des maîtres du passé.


Anish Kapoor, Laser Red to Garnet, 2018 Sculpture en acier inoxydable et laque 111 x 111 x 13 cm Photo : Dave Morgan © Anish Kapoor All rights reserved SIAE, 2023 Courtesy of the artist and GALLERIA CONTINUA

De la gauche arrive la Salomé d’Il Rustichino portant dans la pénombre la tête de saint Jean Baptiste. Accompagnée d’une porteuse de torche, elle passe dans le reflet comme cherchant à se dérober à notre regard. Il faut alors se retourner face à la toile, d’une immense élégance, pour la fixer et comprendre en quoi, malgré l’iconographie évidente d’une femme et de sa servante portant une tête décapitée, il ne s’agit pas d’une Judith portant le chef d’Holopherne. En effet, posés au sol, près des fers du prisonnier, gisent une croix et un phylactère, les attributs du Baptiste.


En se déportant à la droite du miroir, une lumière dorée l’envahit en partie. C’est un fond d’or, celui de la Crucifixion peinte par le Précurseur du Maestro de Torralba vers 1420. Le rouge réapparaît encore dans cette œuvre, coulant de la plaie ouverte sur le flanc du Christ, mais il n’est pas visible dans le reflet d’un miroir lui-même écarlate. L’image formée dans Laser Red to Garnet est encore une fois incomplète et c’est par l’échange de regard constant entre le tableau et le miroir qu'il est possible de saisir tout le sens mystique des deux œuvres. D’ailleurs Anish Kapoor ne renierait en rien cette activation en écho tant pour lui la Crucifixion s’inscrit elle-même dans une circularité spirituelle :


« Le sang et la terre constituent la matière originelle des rites – lourde de danger, de menace, de mort. Le dieu du ciel ne meurt pas. Comment le pourrait-il puisqu’il n’a pas de sang. On pourrait peut-être oser ajouter le lait à cette matière cérémonielle mais il est par ailleurs éminemment féminin et terrestre. Ce n’est pas un détail si la blessure du Christ se trouve à la poitrine. Le Christ doit exposer son sein, et y recevoir cette blessure ; il se fait femme et dit : ne me touchez pas sinon l’illusion de ma présence en tant que femme, en tant que celle qui donne son sang, sera brisée. Cela n’a rien d’un détail. Je pense que ces choses ont une circularité spirituelle qui leur confère une certaine magie. »


Anish Kapoor – Conversation avec Marcello Dantas, 2019.


Et enfin un écho


Pour résumer au mieux l’effet de l’exposition, il nous faut terminer par une expérience vécue. Placé face au tableau de Guido Reni, le saint Jérôme, apparaît dans notre vision périphérique une œuvre graphique de Kapoor figurant un carré noir dont émane du rouge, comme une fumée. Plongeant de nouveau dans l’œuvre baroque, la même sensation apparaît : du fond noir de la toile rayonne aussi du rouge diffus comme s’il apparaissait à notre esprit plus qu’à nos yeux. Les œuvres se répondent, l’une permettant de mieux saisir l’essence de l’autre et c’est en cela que le dialogue entre art ancien et art contemporain trouve son équilibre.



 

The Benighted D’Anish Kapoor à Guido Reni

La Galerie Canesso en collaboration avec Galleria Continua

Du 18 octobre au 20 décembre 2023

Exposition à la Galerie Canesso

26, rue Laffitte 75009 Paris

Du lundi au vendredi : 11h - 18h30

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