Pour ce nouvel entretien Coupe-File Art, nous rencontrons Camille Jouneaux, créatrice du compte Instagram « La Minute Culture ». Avec près de 80 000 abonnés, elle est l’une des références dans le domaine de la vulgarisation de l'histoire de l’art. Alliant subtilement rigueur de l’information et humour, cette passionnée décrypte à travers ses stories thématiques la vie des artistes, les iconographies parfois complexes ou encore les genres artistiques délaissés par le grand public, tout en évoquant régulièrement les grands classiques de l’art.

Quel est votre parcours ? Avez-vous fait des études d’histoire de l’art ? Et comment vous est venue l'idée de créer un compte Instagram ?
Tout d’abord, non je n’ai pas fait d’études d’histoire de l’art mais j’ai un master en communication. J’ai travaillé pendant dix années chez We Are Social, une agence spécialisée dans les réseaux sociaux. Parallèlement à cela, je visitais nombre de musées sur mon temps libre et c’est quelque chose qui me plaisait beaucoup.
Arrive alors une remise en question après de nombreuses années passées dans la communication. Je cherche un sens à ma vie et je songe donc à me réorienter dans le monde de l’art. Pour montrer que j’étais capable de tenir un propos sur le sujet en vue de cette réorientation, j’ai créé un blog de critique d’expositions, qui n’est plus en ligne aujourd’hui. Je n’avais pas de diplôme donc il fallait que je prouve au monde professionnel que j’en étais capable. Ce blog m’a permis de forger mes premières armes. Peu après, l’agence pour laquelle je travaillais m’a missionnée pour travailler avec Google Arts & Culture. Ça a duré trois ans.

Puis, au bout d’un moment, je n’en pouvais plus de travailler dans le Social Media. J’avais un désir de créativité et d’écriture que mon travail ne me permettait pas d’assouvir comme je le souhaitais. J’avais donc ce besoin mais je ne savais pas du tout comment je pouvais le formaliser. En l'occurrence, cette formalisation est arrivée un peu par hasard. Je suis partie à Rome pendant une semaine pour des vacances et j’ai instagrammé ma visite à la galerie Doria Pamphilj, le tout accompagné de blagues, sur mon compte personnel. Mes amis ont beaucoup aimé et j’ai décidé de faire ça de temps en temps. C’est comme ça que les premières « minutes culture » sont apparues.
Forte de ces premiers contenus, j’ai postulé pour travailler en freelance avec ARTE. Cela m’a énormément plu et j’ai donc quitté mon CDI pour devenir indépendante. ARTE m’a ensuite recommandée à la RMN pour laquelle j’ai travaillé.
Comme j’avais un peu plus de temps, j’ai décidé de lancer vraiment la Minute Culture, avec un compte dédié. C’était aussi une façon d’occuper le territoire de la vulgarisation sur Instagram avant que quelqu’un d’autre ne le fasse.
Vous êtes-vous sentie légitime ?
Au début, j’avais un réel complexe quant à ma légitimité comme je n’avais pas fait d’études d’histoire de l’art. J’avais peur de la réaction des musées, des conservateurs… Aujourd’hui, je suis beaucoup plus confiante mais c’est encore un peu le cas. Je sais que quelques conservateurs me suivent, il ne faut donc pas que je fasse d’erreurs ! (rires).
Votre nombre d’abonnés a augmenté très rapidement, comment l’expliquez-vous ?
J’ai travaillé pendant dix ans dans la communication numérique donc je sais comment m’y prendre (rires). J’avais déjà un bon réseau que j’ai fait marcher pour me lancer. Je suis même allée jusqu’à envoyer un communiqué de presse (rires). Après 24h, j’avais déjà plus de 1000 abonnés. C’est alors que les partages sont arrivés, notamment avec Konbini. En trois jours, j’ai gagné plus de 10 000 abonnés. Cela m’a mis une sacrée pression d’un coup. J’ai directement rencontré une juriste pour savoir ce que je pouvais faire ou non par rapport au droit à l’image. Je travaille donc aujourd’hui seulement avec des images du domaine public. C’est pour cela que je ne ferai jamais, hors collaboration, de story sur Jackson Pollock par exemple.
Quelle était votre démarche et celle-ci a-t-elle-évolué depuis ?
Il y a toujours eu chez moi une volonté de transmission. Je veux en finir avec cette peur d’aller au musée que peuvent ressentir certaines personnes. Je veux en entrouvrir les portes et l’humour est le bon moyen. C’est quelque chose de purement personnel.
À partir de quel moment avez-vous réalisé qu’il était peut-être possible d’en vivre ?
Ce compte ne devait à l’origine pas être un moyen de subvenir à mes besoins. Je me reposais sur le freelance pour vivre. Aujourd’hui, si je ne prends en compte que les collaborations sur la Minute Culture, je n’en vis pas du tout. Cela me va très bien et je refuse même des collaborations quand celles-ci ne m’intéressent pas. Cela me permet aussi de ne pas être entièrement soumise aux possibles changements structurels d’Instagram.

Cependant, la Minute Culture est une très bonne vitrine. On m’a en effet proposé de nombreuses choses et jusqu’à aujourd’hui, j’ai travaillé avec Vanity Fair, la BNF, Paris Musées, Folio…. Je travaille aussi beaucoup en marque blanche. Pour obtenir ces contrats, je ne fais pas de prospection. C’est une chance, je l’admets aisément, car les gens m’appellent. Je pars du principe que si c’est le client qui demande, la collaboration se passera mieux.
Comment réalisez-vous une story ? Travaillez-vous seule ?
Dans la très grande majorité des cas, je travaille seule. En revanche, pour ma collaboration avec Folio sur des auteurs contemporains, j’ai recruté une iconographe. J’ai vraiment pris la mesure de la valeur de ce métier. Elle me trouve des images dont je ne soupçonnais pas l’existence.

Pour réaliser une story de 60/70 écrans, il me faut en moyenne deux jours. Je commence par chercher le sujet puis je fais des recherches dessus. Je passe ensuite par une phase d’écriture puis de recherche d’images. Enfin, je mélange le texte et les images et j’adapte l’un et l’autre. Pour ce qui est de mon programme, je fais selon mes envies. J’en suis aujourd’hui à près de 80 stories réalisées. Concernant les collaborations, je demande toujours à me déplacer dans le musée et à parler à un expert. Je n’ai pas fait d’études d’histoire de l’art donc il me faut des informations de première source. Cela me permet aussi d’avoir des petites anecdotes qu’on ne trouve pas dans les livres.
Vous avez récemment réalisé une série sur la guerre de Troie et fait vos premières « minutes poétiques » où vous partagez vos poèmes, pensez-vous poursuivre ces deux concepts ?
Le format série m’a bien plu, j’en referai donc sans doute. Pour ce qui est de la « minute poétique », je souhaite en faire plus mais c’est en fonction de mon inspiration. Je ne la maîtrise malheureusement pas donc c’est dur de faire quelque chose de régulier. J’adore ce format mais c’est assez compliqué… En ce moment, j’essaie de créer un climat propice à l’inspiration. Il y en aura donc sans doute de nouvelles prochainement, ou pas (rires).
Quels sont vos projets à venir ?
Je sors un livre le 7 octobre. Je n’y parle pas d’histoire de l’art mais d’un sujet qui m’a toujours enthousiasmée, j’ai hâte d’en dire plus ! Pour ce qui est de mes autres projets, de nouvelles collaborations sont à venir et je suis en train d’écrire un programme court de vulgarisation qui sortira a priori l’année prochaine. J’anime aussi des ateliers pour la Maïf, pour apprendre à des porteurs de projets à défendre leur cause avec des stories Instagram.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un souhaitant se lancer dans la médiation numérique ?
Il faut se lancer et prouver qu’on est capable de le faire. Si on est capable de faire la démonstration de son expertise, des gens viendront vous chercher.
Pour conclure cet entretien, la traditionnelle question Coupe-File. Quelle est votre œuvre préférée ? Pourquoi ?
Le saint Mathieu et l’ange du Caravage est mon œuvre du moment. Caravage est un artiste que j’adore. J’aime bien cette œuvre car derrière le religieux, il y a vraiment de l’humain. Le geste de l’ange est très émouvant. J’aime bien l’humanité qui se dégage de ce tableau. Je peux aussi citer de manière générale toutes les sculptures du Bernin.

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