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Entretien avec Nicolas Milovanovic, conservateur en chef au musée du Louvre


À l’occasion du lancement de la web-série « La peinture française du XVIIe siècle au musée du Louvre », nouvelle collaboration entre Coupe-File Art et Scribe Accroupi, Nicolas Milovanovic, conservateur en chef au département des peintures du musée du Louvre, s’est prêté au jeu de l’interview. Il revient sur son parcours, de professeur de mathématiques à professionnel de musée, sur son amour pour la peinture française du XVIIe siècle et en particulier pour Nicolas Poussin, ou encore sur ses projets.


© Coupe-File Art - Scribe Accroupi

Nicolas Bousser et Antoine Lavastre : Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?


Mon parcours est un peu étrange puisque j’ai débuté par les sciences. J’avais des parents ingénieurs qui ne voyaient comme seule voie possible et acceptable celle des sciences. J’ai donc fait une école d’ingénieur, Sup Spé, mais seulement la première année parce que je me suis rendu compte que je n’avais, vraiment, pas envie de faire cela. J’ai donc décidé de changer de voie et pour cela j’ai dû convaincre mes parents. Cela n’a pas été facile mais avec un peu d’effort, j’y suis parvenu. Cela m’a permis de comprendre que l’on peut changer complètement de domaine. Après des années dans les sciences, où j’ai même été professeur de mathématiques pour financer mes études, je suis rentré pleinement dans l’histoire de l’art. Tout de suite, j’ai senti que c’était ce qui me passionnait. J’ai fait de manière concomitante la faculté et l’École du Louvre qui sont assez complémentaires. J’hésitais entre une thèse, pour enseigner, et le monde des musées qui m’a toujours passionné. J’ai finalement passé le concours de conservateur. Je l’ai même repassé, car c’est rarissime de l’avoir du premier coup. La réussite du concours a été une immense joie. Je me rappellerai toujours du moment où j’ai vu mon nom sur la liste.

Mon parcours professionnel a alors débuté par un musée de région. Françoise Cachin, alors directrice des musées au ministère de la Culture, voulait absolument qu’on ne commence pas à Paris mais en région. Je suis donc allé à Poitiers, un petit musée mais une ville pleine de charme avec une équipe incroyable. Le plus important c’est qu'à Poitiers vous êtes obligé de tout faire, ce n’est pas spécialisé. Vous faites la communication, vous organisez les expositions, etc. Tous les aspects du métiers en fait. C’était un vrai moment d’apprentissage. Ensuite, un poste s’est libéré à Versailles et cela ne se refuse pas. C’était un rêve Versailles, un rêve réalisé. J’y ai passé neuf années et je pensais y rester car j’étais vraiment très bien mais quand le Louvre vous appelle c’est difficile de dire non (rires). C’était encore quelque chose qui me paraissait inaccessible mais quand la chance s’est présentée, il fallait y aller ! Maintenant, cela fait un peu plus de dix ans mais cela passe tellement vite, j’ai l’impression d’avoir débuté hier.


N.B. et A.L. : D’où vous est venue cette passion pour la peinture française du XVIIe siècle ?


Des visites à Versailles ! Un lieu qui m’a toujours fasciné avec les Grands Appartements. Tout part du grand décor. J’ai trouvé ça unique, inouï. Depuis, j’ai compris que c’était vraiment unique et inouï. J’avais vraiment la volonté d’arriver à comprendre le sens de ces décors, c’est comme une sorte de mystère qu’on cherche à éclaircir. J’ai donc engagé des études d’histoire de l’art dans cette voie, en travaillant sur les Grands Appartements avec Antoine Schnapper à Paris IV. Ce dernier est d’ailleurs un personnage absolument marquant, qui décide d’une vocation. Au cours d’un examen, c’est lui qui m’a encouragé à faire conservateur, et qui m’a dit que j’allais y arriver. Aujourd’hui j’y suis, d’où l’importance des professeurs. Je suis particulièrement sensible à cela maintenant que j’enseigne à l'École du Louvre.


N.B. et A.L. : Quelles sont vos missions au quotidien en tant que conservateur du patrimoine au musée du Louvre ?


Elles peuvent se résumer en trois points capitaux.

D’abord conserver : on est conservateur pour prendre en charge une collection. On gère une collection d’objets, on doit donc la conserver, c’est-à-dire faire en sorte qu’elle traverse le temps. C’est organiser la conservation préventive, les restaurations, établir les priorités. C’est vraiment le cœur du métier, celui qui fait qu’on tombe amoureux de ces œuvres. Celles-ci sont amenées à parler, à passer d’une génération à l’autre.

Ensuite étudier : on attend de vous que vous soyez spécialiste de votre collection. Il faut s’imprégner de ces objets, de leur contexte de création, de leurs créateurs.

Le dernier aspect enfin c’est transmettre : les musées sont là pour être visités, être compris, toucher de nouvelles personnes. C’est notre enjeu de trouver la bonne façon d’en parler, d’utiliser les médias, de faire également de l’enseignement. C’est vraiment un volet important.


N.B. et A.L. : Quels sont vos projets en cours ?


J’en ai plein ! Toujours plein de projets et de rêves ! Je suis encore dans l’exposition sur Poussin et l’Amour au musée des Beaux-Arts de Lyon. C’est un véritable rêve. Pour moi, pour qui Poussin est le plus grand, faire deux expositions qui lui sont consacrées dans une vie, c’est un rêve éveillé. J’en suis particulièrement fier. Le tout, en plus, dans un musée merveilleux, l’un des plus beaux de France, voire du monde. L’équipe y est exceptionnelle, très accueillante. La directrice, Sylvie Ramond, est vraiment à l’écoute. Elle nous a poussés à faire évoluer, améliorer ce projet, pour faire aimer cet artiste avec des points peu connus. Je pense notamment à sa peinture érotique. On présente toujours Poussin comme un peintre philosophe, toujours dans la réflexion, donc c’était un défi d’arriver à montrer que ce n’est pas que ça.

Poussin reste encore dans mes projets. Il faut que j’arrive à le faire aimer par davantage de personnes. C’est un génie absolu qui mérite encore davantage de reconnaissance. On peut penser à un troisième volet, une troisième exposition, mais je ne sais pas encore laquelle. Cela sera, je pense, encore et toujours avec mon comparse Mickaël Szanto, maître de conférence à Paris IV. L’association musée/université marche souvent très bien.

Ensuite, j’ai d’autres points d’intérêt. D’abord, les animaux, un de mes axes de recherche majeurs. J’ai travaillé sur les animaux à Versailles mais j’aimerais arriver à élargir. C’est un sujet qui parle aujourd’hui, qui est vraiment d’actualité, et qui pose des questions importantissimes. Il y a aussi l’Atticisme, un courant qui me fascine. Il n’y a d’ailleurs pas eu tellement d’expositions sur le sujet. On peut penser à celle d’Alain Mérot à Dijon et au Mans mais c’était il y a fort longtemps. Il serait donc temps de remettre la lumière sur ce courant fascinant. Enfin, le début du XVIIe siècle, une période sur laquelle le Louvre n’est pas très fourni. Il y a donc des progrès à faire avec une politique d’achats. C’est néanmoins lié au hasard des œuvres qui réapparaissent sur le marché. Et s’il y a achat, il y a souvent des restaurations et parfois des expositions qui en découlent.


N.B. et A.L. : Quels conseils donneriez-vous à un étudiant se dirigeant vers le métier de conservateur ?


Le tout premier conseil, et le plus important, c’est d’y croire. Il faut croire en soi. C’est essentiel. Je voudrais passer le message, avec conviction et expérience, que si vous y croyez vraiment, que vous êtes obstiné, vous y arriverez. C’est un défi immense mais il faut y croire. Comme autre conseil, il faut élargir au maximum ses centres d’intérêt. En effet, la manière dont le concours est fait incite à ne pas trop se spécialiser au début. On se spécialise par la suite avec la collection dont on a la charge. Il faut avoir une curiosité de tous les instants, aller voir les expositions, voyager dès que c’est possible. À l’étranger mais aussi en France, qui est un pays extraordinairement riche. Il faut aussi s’intéresser au marché de l’art, tout ce qui ressort à Drouot, chez Christie’s, à Sotheby’s. L’idée est vraiment d’être le plus ouvert possible pour absorber le principal de choses.


N.B. et A.L. : En guise de conclusion, la traditionnelle question Coupe-File Art : quelle est votre œuvre préférée ?


Le plus beau tableau du monde, oubliez la Joconde et pensez aux Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin (rires.). C’est un poème et un mystère en même temps, une réflexion et une œuvre d’art à la fois. Cela touche aux plus profonds questionnements : pourquoi sommes-nous là dans ce monde ? Quel est le but de cette vie ? Quelle attitude faut-il avoir face à la mort ? Poussin donne des réponses à cela qu’il faut ensuite trouver par soi-même en méditant devant cette œuvre. Poussin invite à prendre le temps. Il a livré là un message, qui ne sera, je pense, jamais décrypté, mais qui alimentera la réflexion pendant des siècles.

 

Retrouvez l'entretien filmé ici :




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