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Greco - La rétrospective : feu d’artifice pictural au Grand Palais

« Il y a des abus de blanc et de noir, des oppositions violentes, des teintes singulières, strapassées, des draperies cassées et chiffonnées à plaisir : mais dans tout cela règne une énergie dépravée, une puissance maladive qui trahissent le grand peintre et le fou de génie » Théophile Gautier, Voyage en Espagne, 1843

Au sein d’une scénographie sobre s’étalent d’audacieux chefs-d'œuvre aux couleurs éclatantes. Ils sont tous, ou presque, de la main de l’un des artistes les plus originaux de l’histoire de l’Art : Le Greco (1541-1614). Mystérieux et envoûtant, certains, comme Théophile Gautier, ont voulu en faire un fou, d'autres, comme Barrès, un artiste souffrant d'une déformation de la rétine ayant influencé sa peinture unique.

Sous la direction de Guillaume Kientz, conservateur au Kimbell Art Museum (Texas), le Grand-Palais déploie cet automne, en association avec le musée du Louvre, la première rétrospective en France consacrée à ce peintre venu de Crète, offrant au regard quelques 75 œuvres.

L'agonie du Christ au jardin des Oliviers, vers1600 / Collection privée / Photo: N.Bousser

Domenico Theotokopoulos voit le jour en 1541 en l'actuelle Heraklion. Ancré dans la tradition byzantine, il se forme d'abord comme peintre d'icônes, ce que nous rappelle le saint Luc peignant la Vierge en ouverture de l'exposition, prêt du musée Benaki d'Athènes.


Saint Luc peignant la Vierge, 1560-1566, Musée Benaki, Athènes

Rêvant d'Italie, le jeune Domenico, bientôt surnommé El Greco, part s'installer dans la cité des Doges en 1567. Inéluctablement, son style évolue au contact à la fois des oeuvres de Titien, dont il fréquente peut-être l'atelier, et de Tintoret ou encore Bassano. Malgré la production de quelques œuvres d'importance, il ne parvient pas à s'imposer et part à Rome. Il s'attache alors à une production de petit format, de tableautins de dévotion. Cependant, les "corrections" qu'il se plaît à apporter à l'art du grand Michel-Ange ne plaisent guère : il est expulsé du Palais Farnèse où il était hébergé. Malgré une réputation de portraitiste solide, l'Italie lui reste véritablement fermée. Il maîtrise en réalité imparfaitement l'art de la fresque et surtout la langue italienne.

L'Assomption de la Vierge, 1577-1579 / Photo: N.Bousser

C'est en Espagne qu'il trouve son plein épanouissement. Il y reçoit, en août 1577, la commande de l'ensemble iconographique (peinture, sculpture et architecture) du retable du grand autel de Santo-Domingo-el-Antiguo à Tolède. Cette première commande d'envergure marque un tournant dans la carrière de l'artiste.

L'Assomption de la Vierge (1577-1579), conservée à l'Art Institute de Chicago et restaurée pour l'occasion, occupait la travée centrale de l'autel majeur. Placée au carrefour des diverses sections de l'exposition comme un rappel, c'est avec cette monumentale composition qu'il ose affirmer véritablement son style et sa palette. Il se sépare ici peu à peu de son inspiration vénitienne mais reste très empreint des travaux de Michel-Ange, ce qui transparaît notamment dans la figure agenouillée dans l'angle inférieur gauche, souvent rapprochée de la figure de saint Barthélémy dans le Jugement Dernier de la Chapelle Sixtine.


Niño de Guevara, vers 1600 / Photo: N.Bousser

Tolède, ce centre culturel et artistique rayonnant, imprègne peu à peu l’œuvre du maître. Il y trouve une riche clientèle lettrée et une source d’inspiration intarissable, se dote d’un atelier. Pour reprendre les mots de Guillaume Kientz, la vieille cité impériale au fier isolement constitue véritablement "la citadelle" du Greco. Ce dernier peut y développer sa touche libre.


Le Greco poursuit, entre autres, son exploration de l'art du portrait qui avait fait un temps sa réputation. Le Portrait du cardinal Niño de Guevara, beau prêt du Metropolitan Museum de New York, est certainement le plus exceptionnel. Assis sur un imposant fauteuil orné de velours pourpre, le prélat à la soutane lie-de-vin regarde légèrement sur sa gauche. L'équilibre des tonalités, les plis tortueux et le cadrage serré lui confèrent un aspect presque "pantocratique".


Outre les prêts internationaux, il faut souligner la présence dans cette rétrospective de quatre œuvres issues des collections nationales françaises. Les trois toiles de l'artiste conservées du Louvre, Saint Louis et son page (1585-1590 ), le Christ en croix adoré par deux donateurs (1595) et le portrait d'Antonio de Covarrubias y Levia (vers 1600), ainsi que la Mater Dolorosa du musée des Beaux-Arts de Strasbourg ont donc fait le voyage.

La Vierge Marie, vers 1590 / Photo: N.Bousser

Cette Vierge datée vers 1590, constitue sans doute l’une des plus émouvantes toiles du maître. On retrouve cette palette fraîche et lumineuse couplée à un apaisement presque mystique qui rayonne et nous captive. Donnée au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg en 1893 par un collectionneur anglais, Sir Charles Robinson, cette réalisation fut sujette à beaucoup d'interrogations, relatives au modèle qui prête ici son visage. La compagne du peintre, dont on retrouve les traits dans la plupart de ses personnages de saintes, fut longtemps évoquée.


Après sa mort en 1614, Greco est peu à peu oublié avant d’être redécouvert à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle par, entre autres, les impressionnistes et les avant-gardes. Il fait alors l'admiration d'artistes comme Picasso ou plus tard Pollock.


Cette rétrospective lève donc le voile sur un artiste longtemps fantasmé. Guillaume Kientz offre au regard du public français, peu accoutumé aux œuvres du maître si peu présentes dans les collections nationales, les plus grands jalons de la carrière de ce peintre, sculpteur mais aussi architecte. Au travers d'une scénographie simple, s'effaçant efficacement au profit des toiles, l'exposition du Grand-Palais nous dévoile ainsi peu à peu la galaxie Greco.

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