On se souvient de la silhouette exquise d’Audrey Hepburn en 1961 dans Diamants sur canapé – du fourreau noir et de ses rangs de perles –, de l’égérie Haute Couture d’après-guerre Bettina Graziani, ou encore, des toilettes iconiques de Jackie Kennedy… Ses amitiés avec les grandes ambassadrices internationales de la mode sont restées célèbres, et son nom, Givenchy, demeure un symbole de l’élégance française. Mais il est un aspect plus méconnu du couturier, remis d’actualité à travers la dernière grande vente événement Christie’s : « Hubert de Givenchy Collectionneur ». Après Jacques Doucet (1853-1929) et Paul Poiret (1879-1944), ce troisième volet de la série « Couturier et collectionneur » revient sur l’histoire et le goût de ce grand esthète, versé dans la décoration d’intérieur, l’art du XVIIIe siècle et les jardins.
Le nom Taffin de Givenchy puise ses origines en France et en Italie, descendant d’une ancienne maison vénitienne, les Taffini, et de l’Artois, village de Givenchy-le-Noble. Hubert Taffin de Givenchy naît à Beauvais le 20 février 1927. Son père, Lucien de Givenchy, pionnier de l’aviation civile et créateur de l’Union des pilotes civils de France, meurt prématurément alors que son plus jeune fils n’a pas encore trois ans. C’est ainsi entouré de femmes, aux toilettes toujours impeccables, que grandit le futur couturier, élevé par sa mère et sa grand-mère. C’est aussi de ce côté maternel qu’il convient de se pencher pour déceler quelques prédispositions héréditaires du jeune homme pour les arts. Outre l’amant de l’actrice Juliette Drouet, avant que celle-ci ne devienne la compagne de Victor Hugo, son trisaïeul fut un décorateur d’opéra renommé sous Napoléon III. Pierre-Adolphe Badin, arrière-grand-père, fut peintre et administrateur des manufactures des Gobelins et de Beauvais. Également peintre, élève d’Alexandre Cabanel et de Paul Baudry à l’école des Beaux-Arts de Paris, ami de Camille Corot et de Jean-Paul Laurens, son grand-père Jules Badin fut à son tour administrateur des deux manufactures susnommées. Sa fonction lui fit obtenir de nombreux présents, des trésors lointains qui, complétés par des acquisitions personnelles, formèrent une collection d’art éclectique à partir de laquelle le peintre portraiturait ses progénitures, parées de costumes folkloriques d’époques et de provenances variées. Alors qu’il était enfant, Hubert de Givenchy se plaisait à observer ces costumes aux mille histoires, soigneusement conservés par sa grand-mère Marguerite. Cette dernière était elle-même fille du grand peintre, décorateur de théâtre et architecte d’intérieur Jules Diéterle, ayant notamment concouru à la construction du château de Monte-Cristo pour Alexandre Dumas.
Si les seuls mérites de l’être humain ne se forgent que par ses propres agissements et non par son lignage – la mère d’Hubert de Givenchy ayant d’ailleurs toujours refusé de porter son titre de marquise et renoncé à la particule –, il est tout de même fort probable que le couturier ait hérité de ses ancêtres son inclination pour les beaux-arts et son sens aigu du détail. Elève peu brillant, intéressé seulement par l’Histoire, l’architecture et le dessin, il était, comme ses aïeux, toujours armé d’un carnet qu’il couvrait d’esquisses de silhouettes. Fasciné par les illustrations de Fernando Bosc, les tissus et les costumes anciens collectionnés par son grand-père, admiratif devant l’allure de sa mère, esprit curieux doté d’un bon goût légendaire… tout prédestine le jeune garçon au travail de créateur de mode. En 1937, alors qu’il n’a que dix ans, la visite du pavillon de l’élégance à l’Exposition internationale des arts et techniques ainsi que la première collection parisienne de Cristobal Balenciaga sont une révélation. La rigueur des lignes et la force des volumes du couturier espagnol font naître chez ce petit passionné d’architecture une véritable vocation. Ainsi se présente-t-il, au début de l’année 1945, au charismatique Jacques Fath dans l’hôtel particulier XIXe du 39 avenue Pierre-Ier-de-Serbie où le couturier était installé et se fait engager tout en suivant quelques temps des cours de dessin à l’école des Beaux-Arts. Après un bref passage chez Robert Piguet en 1946 puis chez Lucien Lelong l’année suivant, sur les pas de Pierre Balmain et de Christian Dior, Givenchy crée pour la boutique place Vendôme d’Elsa Schiaparelli des accessoires, des bijoux et des vêtements.
Dès 1951, le pécule économisé lui permet de créer sa propre maison de couture, non loin du parc Monceau, et de présenter sa toute première collection début février 1952. Soutenue par le mannequin-vedette et attachée de presse Bettina Graziani, cette première présentation, jeune et un brin désinvolte, est particulièrement remarquée pour ses « séparables » – blouses légères en shirting pouvant être dépareillées –, notamment pour la blouse à volants Bettina, immortalisée par l’illustration de Gruau. Déjà le nom de Givenchy est célèbre et se répand à travers le monde avec l’ouverture de nombreuses boutiques. L’année 1953 est marquée par deux rencontres fondamentales pour sa vie personnelle et sa carrière. La première est Audrey Hepburn, cliente puis amie du couturier qui l’habille à la ville comme à l’écran pendant quarante ans. Elégante et élancée dans Sabrina, Ariane, Charade, ou encore dans le fameux film de Stanley Donen sorti en 1957, Funny Face (Drôle de frimousse), l’actrice devint son égérie et leur destin se lia à jamais, chacun étant un peu responsable de la renommée de l’autre. La seconde rencontre, avec Cristobal Balenciaga, est une consécration. Aux côtés de ce père spirituel, le style de Givenchy évolue vers un vêtement plus architecturé.
“Madame, vous êtes très belle, vous ressemblez à un Watteau !”
Ce compliment fut adressé à Jackie Kennedy par Charles de Gaulle lors du dîner d’Etat organisé dans la galerie des Glaces du château de Versailles le 1er juin 1961. Le président de la République fut charmé par la toilette de la première dame des Etats-Unis : une robe en soie ivoire au corsage brodé de délicates fleurs dans le goût des gilets d’homme du règne de Louis XVI.
En effet, Hubert de Givenchy ne fut pas seulement une figure emblématique de la haute couture, mais aussi un ambassadeur du grand style français, passionné par le XVIIIe siècle. Au cours de sa vie, le créateur réunit une collection exceptionnelle de mobilier, d’objets et d’œuvres d’art. Décorateur à ses heures, il aime mettre en scène ces acquisitions dans ses différentes demeures avec un sens du raffinement égal à celui qu’imposait son métier. En 1977, son talent de décorateur est remarqué lorsqu’il se voit confier l’aménagement de plusieurs suites de l’hôtel Hilton à Bruxelles. Dans ses intérieurs, les œuvres XVIIIe côtoient dans un équilibre parfait la modernité des de Staël, Braque, Matisse, Picasso, Rothko, Delaunay, Arp ou encore Diego Giacometti. Le couturier est particulièrement séduit par la créativité poétique de ce dernier à qui il passe de nombreuses commandes pour sa propriété du Jonchet, éléments de mobilier (lampes, tabourets, tables…) ainsi qu’une sculpture du célèbre frère aîné de l’artiste suisse, Alberto.
Christie’s Paris, dont Givenchy fut le président du conseil de surveillance de 1997 à 2001, a choisi le 70e anniversaire de la maison de couture (2 février 1952) pour rendre hommage au créateur et collectionneur dans une vente réunissant plus de 1200 lots. Du 14 au 17 juin 2022 à Paris et du 8 au 23 juin en ligne, la collection d’art qui peuplait ses deux dernières résidences – sa demeure parisienne du VIIe arrondissement, l'Hôtel d'Orrouer, et le château du Jonchet (Eure-et-Loire) – a été présentée par la maison de la rue Matignon dans une scénographie hommage exceptionnelle. Parmi les tableaux et mobilier du XVIIe jusqu’au XXe siècle dispersés lors de la vente, un Paysage à l'obélisque et à la colonnade d’Hubert Robert (vers 1779), une superbe paire de girandoles monumentales en bronze et bronze doré fin époque Louis XVI attribuée à Pierre-Philippe Thomire, ou encore un dessin de Picasso, Faune à la lance, de 1947. Le Passage de l'oiseau-migrateur de Miró a été adjugé au prix de 6 845 750 euros, tandis que la Femme qui marche d’Alberto Giacometti s’est envolée à 27 169 500 euros.
Le succès de la vente témoigne de l’admiration dont Hubert de Givenchy jouit encore, plus de quatre ans après sa mort, le 10 mars 2018. Au talent certain du métier de couturier, exercé jusqu’en 1995 avec la présentation de sa dernière collection haute couture pour l'automne-hiver de 1995-1996 et de prêt-à-porter en octobre 1995, se mêla la recherche de beauté comme quête de chaque instant et affaire de toute une vie.
Margaux Granier-Weber
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