« Les Toulousains ont toujours deux paroisses, la leur et Saint-Sernin »
Ce proverbe de curé illustre bien la place prépondérante qu'occupe la basilique Saint-Sernin dans le paysage régional. Depuis bientôt un millénaire ce chef d'oeuvre d'art roman surplombe la Ville Rose du haut de ses 67 mètres. Sa nef quant à elle s'étire sur 115 mètres de long pour pas moins de 32 de large. L'édifice se distingue donc notamment par ses dimensions, mais surtout à travers la richesse et la pluralité de ses propositions architecturales.
La basilique Saint-Sernin est en effet la plus grande église romane de France et l'une des plus imposantes d'Europe. Sa construction commence dans les années 1070-1080 à la suite d'une réforme du chapitre des chanoines en charge de la précédente basilique. L'acquisition de propriétés fournit donc des ressources en abondance au collège de clercs afin de financer la nouvelle basilique. Le lieu fait l'objet d'un pèlerinage très ancien, depuis la passion de Saint Saturnin en 250. Alors évêque de la ville, il est traîné par un taureau dans les rues de Toulouse pour avoir refusé de le sacrifier au culte romain et finit par mourir à l'emplacement de la basilique, où il aurait été enterré en martyr. En 1096, l'église et son autel sont consacrés par le pape Urbain II. A l'époque, seuls le chevet et les parties basses du transept sont achevés. Lorsque l'operarius, le maître de chantier, Raymond Gayrard meurt en 1118, les trois travées orientales de la nef sont construites et l'enveloppe du reste de la collégiale a fini d'être implantée. L'église telle que nous la connaissons aujourd'hui est achevée au XIIIe siècle. Elle est dotée de sa flèche dans les années 1300, maintes fois modifiée depuis.
Avant de rentrer dans une description de certaines caractéristiques de l'architecture du bâtiment, il est essentiel de rappeler certains points de vocabulaire. Bien qu'aucun modèle ne soit imposé par les autorités religieuses, les églises romanes sont le plus régulièrement construites sur le plan de la croix de la Passion. Or celle-ci épouse les formes du corps du Christ. A l'extrémité de l'édifice se trouve donc le chevet, issu du terme latin caput signifiant la tête. Il est relié à la partie centrale par le transept. La partie ouest dans laquelle est percée l'entrée principale se nomme la façade ou avant-nef, ici dotée d'un bloc de façade. Saint-Sernin est tournée vers l'Orient, son chevet se situe donc à l'Est.
La nef est constituée d'un vaisseau central à double élévation flanqué de quatre collatéraux. A l'étage on remarque des tribunes voûtées en demi-berceau dites de contrebutement. Contrairement à la légende urbaine, leur rôle est avant tout d'exercer une poussée vers l'intérieur de la nef et non de permettre aux puissants de suivre l'office sans se mêler au reste des fidèles. Le chevet de la basilique est particulièrement remarquable. De larges fenêtres surmontées d'un oculus permettent à la lumière de pénétrer la Maison de Dieu. Un déambulatoire large de 3.50 mètres donne accès à 5 chapelles peu profondes, hormis celle de l'axe. L'abside est particulièrement élevée, culminant à 21 mètres sous la clef du transept. Les arcs en plein cintre de l'hémicycle sont ainsi fortement surhaussés, facilitant la diffusion de la lumière au sein du sanctuaire. Cependant la hauteur de l'abside permet aussi de compenser les variations d'intervalle entre les supports du choeur et ceux de l'hémicycle et donc d'harmoniser les niveaux. La variété des proportions des arcades permet ainsi d'affirmer une distinction entre choeur et abside.
Je vous propose à présent de vous attarder sur un détail extérieur de la basilique, la porte des Comtes. Conçue vers 1080 afin d'accueillir la foule de pèlerins venus vénérer les reliques de Saint-Sernin, elle se distingue par l'importance du décor sculpté qui valorise l'entrée. Les écoinçons sont timbrés de plaques de métal disposées symétriquement et représentant Saint Saturnin encadré par deux lions ainsi que deux de ses compagnons. D'autre part des chapiteaux des ébrasements servent de support à un programme iconographique qui vise à opposer salut et damnation. Le programme se poursuit dans l'église avec des scènes d'anges luttant contre des dragons. Remarquons que la porte des Comtes est dépourvue de tympan et de linteau, et ne présente pas de grandioses compositions sculptées qui n'apparaissent qu'au cours du XIIIe siècle. Le choix de sculpter ces scènes sur les petits chapiteaux à deux faces des ébrasements témoigne du degré de maîtrise de leur art des tailleurs de pierre. La porte des Comtes constitue en définitive une proposition architecturale avant-gardiste pour l'époque avec son portail à voussures multiples.
Enfin, l'incorporation des matériaux traditionnels locaux à la basilique s'effectue grâce à l'utilisation de la brique pour le plein des murs, la pierre de taille étant réservée à l'encadrement des fenêtres, aux corniches et aux contreforts.
A la frontière entre respect des codes de l'art roman et innovations visionnaires, le style de Saint-Sernin inspirera les édifices religieux de toute la région. Depuis des siècles, la basilique se dresse au cœur du centre-ville toulousain comme pour défier le temps et l'espace.
Antoine Bouchet
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