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La gravure à l'Hôtel d'Agar de Cavaillon : une collection encore méconnue

Christian, Guilhem, Olivier Morand et Véronique Valton, depuis une vingtaine d’années, dédient une grande partie de leur vie à la constitution d’une collection pléthorique, diverse et polymorphe d’objets d’art. Si leur travail commence aujourd’hui à se faire connaître par le biais de leurs expositions au sein de l’Hôtel d’Agar, situé à Cavaillon, il n’en reste pas moins qu’il reste encore des trésors à découvrir dans la collection Morand. Passionnés par l’image, par son discours, son pouvoir, sa diffusion, Christian Morand et sa famille possèdent une collection de plus de 1600 gravures. Cette dernière est encore peu connue, aucune publication ni aucun recollement n’ont été faits à ce jour. Cependant, certaines gravures sont connues, notamment parce qu’elles faisaient parties de collections plus anciennes, comme celles par exemple de Sylvain Gagnière, Jules de Malbos, ou encore Hyppolyte Müller.


Au commencement était la passion de l’image. A l’origine de cette collection, Christian Morand. Alors qu’il était encore un étudiant de vingt-deux ans, il adorait chiner des petits livres illustrés et des gravures anciennes entre Nîmes et Montpellier. Son parcours, jalonné par des études de médecine, d’ethnologie et d’archéologie, n’a fait que nourrir sa passion pour l’image. Depuis toujours, il s’est intéressé au discours que ces dernières ont véhiculé à travers les siècles. Ainsi, si la gravure et la peinture sont les témoignages les plus évidents de cette diffusion, les Morand ont aussi développé une passion pour le textile, le mobilier ou la céramique. Au départ, c’était d’ailleurs l’art contemporain qui intéressait monsieur Morand. Il aimait particulièrement Claude Viallat ou Vincent Bioulès. Il était le premier résident du Nemausus, bâtiment dessiné par Jean Nouvel à l’atmosphère minimaliste. Cependant, son goût pour la diversité, les échanges artistiques et humains, mais également sa passion pour l’ethnologie, l’archéologie, l’iconographie, l’iconologie, l’image tout simplement, l’ont toujours animé. Ainsi, rapidement il s’est mis à récolter de plus en plus d’objets, avec l’aide de sa femme et de ses enfants, auxquels il a transmis ses embrasements et ses sensibilités. La gravure s’est alors imposée comme un excellent support de médiation de cette ardeur ressentie pour l’image. En effet, la gravure leur est apparue comme l’image parlante, celle qui raconte, qui décrypte, qui illustre, qui est accessible aussi (financièrement). La gravure, c’est l’histoire de l’Europe à l’échelle de la diffusion, de l’échange et de l’érudition. La passion de la famille Morand pour la République des Lettres trouvait alors un écho certain dans la pratique de la gravure, très utilisée par ses membres.


L’Hôtel d’Agar, bâti sur des ruines grecques et romaines, est un témoin précieux et continu de l’histoire de la ville de Cavaillon. La demeure a dévoilé de nombreux trésors archéologiques et artistiques, notamment une tour gothique et ses gargouilles, un plafond peint de 1537 peint à l’occasion de la venue du roi François Ier , ou encore un cycle de quatre cheminées en stuc unique dans la région.

Par ailleurs, le jardin attenant est exceptionnel en ce qu’il est l’un des seuls jardins français à avoir conservé sa fonction pendant plus de deux millénaires. Par ailleurs, des fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour un aqueduc romain et deux temples romains. Le premier, datant du IIIe siècle ap. J.- C. est un temple dédié au dieu Mithra. Le second, datant du Ier siècle av. J.-C., n’a pas encore dévoilé son culte. Le site archéologique est toujours en cours d’étude. Un trésor a également été mis au jour en 2010. Constitué de 303 deniers d’argents, il est le plus important trésor découvert dans le Vaucluse. Alors que François Ier, Catherine de Médicis, le Marquis de Sade, Louis XVI, René Char et bien d’autres se sont promenés dans ce jardin, c’est aujourd’hui des artistes contemporains qui exposent leurs œuvres au côté d’une collection statuaire ancienne et hétéroclite remarquable. En effet, le jardin donne à voir notamment des éléments monumentaux du Pont Neuf de Paris, la rosace du XVème siècle de la cathédrale de Carcassonne, la Diane chasseresse de l’atelier d’Antoine de Coysevox, des monstres marins d’Androuet du Cerceau qui ornaient le château des Tuileries, les portraits des chiens de Cosme II de Médicis provenant des jardins de Boboli, ainsi qu’une importante série de colonnes et chapiteaux romans.

Petite partie du "trésor" de l'Hôtel d'Agar

Les Morand se disent eux-mêmes être tout sauf des collectionneurs. Ils préfèrent le mot de collecteur, de découvreur, d’inventeur. Ce sont des « metteurs en relations ». Ce qui intéresse la famille Morand, c’est l’analogie, l’amusement. Les collectionneurs sont mortifères, selon eux, dans leur rapport à la spécialisation. Ainsi, leur travail consiste souvent en une organisation thématique, un mode d’étude qui semble parfaitement convenir à leur intérêt pour les présentations vivantes et originales. Ainsi, en toute logique, leur « collection » est le fait de hasards, de rencontres fortuites, de découvertes. Aucun domaine ne leur échappe, les formes d’expression sont multiples, toutes les époques sont représentées, ainsi que tous les continents. Aux 2000 ans d’histoires de la demeure répondent des objets, des sculptures, des peintures de tout âge. Elle constitue une matérialisation du « Musée Imaginaire » d’André Malraux. Les céramiques romaines de Deruta, les créations contemporaines de Sèvres, Bob Wilson et Andrea Solario, les tissus néolithiques et les robes de Christian Lacroix, les crèches napolitaines et l’Homme de Bessines de Fabrice Hyper, les divinités mères phocéennes et la tête d’or de Louise Bourgeois, sont autant d’œuvres et d’auteurs qui cohabitent. En réalité, selon eux, l’intérêt historique d’une pièce, sa rareté ne sont pas les seuls critères à prendre en compte pour définir l’importance d’une œuvre. L’iconographie d’un œuvre, son invitation au dialogue, parfois de manière évidente ou subtile, cachée ou ésotérique, constitue la source de cette envie d’assembler des œuvres aux origines et aux aspirations originelles très variées. Par ailleurs, ils ont acheté à de nombreuses reprises des collections entières, comme celles de Sylvain Gagnière ou Jules bastide de Malbos, la famille de ce dernier se débarrassant alors de sa bibliothèque aux puces. Cette pratique d’achat de collections déjà constituées, si elle n’est pas rare, met en lumière la volonté de la famille de redonner une importance aux érudits locaux. En effet, les Morand souhaitent attirer l’attention du public sur les missions importantes qu’occupaient autrefois les érudits et les collectionneurs dans les villes et villages. Ils étaient les passeurs de mémoire et de savoir, qui aujourd’hui semblent ne plus exister. Ainsi, rassembler une collection très polymorphe, allant du bois gravé médiéval à Othoniel ou Myriam Méchita, en passant par Louise Bourgeois et Picasso, c’est une manière de conserver les mémoires et les pratiques artistiques, et de diffuser cette dernière dans les esprits contemporains, pour qu’elle ne soit jamais oubliée. Pour aller plus loin dans la compréhension de cette collection, nous avons interrogé directement Olivier Morand à l’occasion d’une interview téléphonique le vendredi 15 décembre 2020.

Pourriez-vous nous raconter en quelque mot l’histoire d’amour entre vous et ce lieu si particulier qu’est l’Hôtel d’Agar ?

Nous sommes arrivés dans cette maison il y a 23 ans. Au départ nous ne savions absolument rien du lieu. Rien de son histoire et de ses racines. La maison était très délabrée. Les nombreuses erreurs des XIXe et XXe siècles avaient défigurées et ravagées la maison. On nous l’a vendu comme une villa XIXe corrigé dans le gout Formica. Mais la présence d’une tour gothique du XVe siècle, la situation de la maison au cœur du forum romain de la ville, ainsi que du noyau médiéval et de son proche quartier, la cathédrale, etc...Il y avait toute une série d’indices qui annonçaient des découvertes.

Nous avons donc commencé par faire sauter tous les faux plafonds et les fausses cloisons des XIXe et XXe siècles. C’est alors que les plafonds peints des XVIe et XVIIe, les cheminées en stuc 1600, les fresques baroques, les sols du XIVe siècle etc... sont tous apparus petit à petit. Puis nous avons commencé́ à fouiller la cour intérieure. Nous avons découvert les sous-sols médiévaux qui avaient été murés avec une belle glacière du XIVe siècle qui était remplie de plus d’une centaine de céramiques des XIV-XV et XVIe siècles (9 plats de Deruta dont trois signés, un ensemble de saint Quentin la poterie, de la verte et brune etc...). Ensuite nous avons fouillé le jardin. Un temple romain, un mithraeum du IIIe siècle est apparu, avec la dalle sacrificielle pour le taureau. Sous le temple, un autre bâtiment à deux mètre cinquante de profondeur : les thermes augustéennes avec une vingtaine de mètre de long de peintures romaines en parfait état de conservation, des colonnes de marbre, des reliefs, etc... et le trésor de Cavaillon : 304 deniers d’argent. Probablement un trésor de « numismate » de la fin du IIe siècle ap. J.C. selon les archéologues départementaux. Les fouilles continuent aujourd’hui. Nous sommes en train de découvrir dans les caves médiévales un bâtiment hellénistique (IIIe siècle av. JC) avec de magnifiques appareils cyclopéens. Les thermes augustéennes ont été construite dessus. Une belle assiette étrusque est apparue cette semaine. Nous avons aussi immédiatement fait un travail de recherches dans les archives pour comprendre l’histoire de cette maison. Elle a accueilli François Ier pendant 6 jours, le marquis de Sade, Marie de Médicis, Catherine de Médicis, René́ Char, Louis XVI, etc... elle fut la demeure des Agar du XIIe au milieu du XVIIe siècle. C’était la famille des gouverneurs et viguiers de la ville de Cavaillon. Mais aussi des parlementaires à Aix en Provence. Une famille d’érudits, d’antiquaires, de collectionneurs. Paul Antoine d’Agar, correspondant de Peiresc, avait un important cabinet d’antique au début du XVIIe. La maison a aussi été la résidence de l’Académie de Cavaillon, une des premières en France. Puis elle sera la demeure de César de Bus (qui vient tout juste d’être sanctifié par le Vatican) et sa famille les Collin de Bus. Ils se marieront avec la famille de Sade (Vicomte Véran de Sade, cousin proche du marquis de Sade). Le marquis de Sade a dormi à l’Hôtel d’Agar à chacun de ses passages à Cavaillon pour rendre visite à ses deux tantes qui étaient dans le grand couvent de la ville. Ce sera aussi la maison de la famille de René Char au XXe siècle. Le poète a attendu son prix Nobel de littérature dans les jardins de la maison. Prix qu’il n’aura jamais. Il y a mille et une autre histoire à raconter sur cette maison. D’ailleurs nous venons d’acquérir un deuxième Hôtel particulier, le deuxième Hôtel d’Agar de Cavaillon. Leur seconde propriété́ du XIVe jusqu’en 1791. Les travaux sont toujours en cours dans les deux maison. Nous avons découvert au début de l’année une cachette révolutionnaire, un passage secret. Visiblement il n’avait jamais été utilisé́ depuis le 11 Janvier 1791. Il y avait encore des drapeaux

royalistes, des lettres manuscrites, des effigies du roi au mur, etc. Quand nous avons ouvert la trappe du passage secret, nous étions dans une véritable capsule temporelle. Ces deux maisons, nous révèlent chaque semaine de nouvelles découvertes, de nouvelles histoires, de nouvelles interrogations... C’est une des raisons de notre amour pour ce lieu. Nous avons toujours à cœur d’écouter les murs, d’essayer de comprendre ce que la maison aimerait. C’est elle qui nous guide. Nous n’imposons rien à la maison. Nous avons collecté́ ensuite petit à petit depuis 22 ans. Le point de départ, le cœur du rhizome, c’est la maison et les deux Caravage de Peiresc.

Comment définiriez-vous votre travail et quelle voix aimeriez-vous porter au sein du milieu culturel français ?

Nous sommes avant tout des passeurs. Nous sommes là pour partager un savoir et notre patrimoine, le révéler, le protéger, le comprendre, le questionner, le faire vivre,.. .Nous aimons particulièrement l’idée de l’accumulation, du dialogue entre les époques et les cultures. La scénographie stratigraphique, accumulative, sert aussi à porter ce discours. Comme Peiresc, nous ne sommes pas d’accord avec l’expression de « cabinet de curiosités ». Elle est incomplète et péjorative. D’ailleurs, le cabinet de curiosités n’a plus vraiment de sens aujourd’hui, avec sa réappropriation par les milieux de la mode, de la décoration, etc... L’Hôtel d’Agar est une maison. Un lieu où les chercheurs, les artistes, les conservateurs, les érudits, les curieux, les passionnés etc... sont tous les bienvenus pour que l’on travaille ensemble. Nous sommes en plein travaux cet hiver. Nous préparons la création d’un centre de recherche scientifique, d’une résidence d’artistes, d’un dépôt archéologique, de salles d’archives, d’une bibliothèque de travail, d’un salon de thé et d’une boutique.

Si vous deviez parler du corpus de vos œuvres, comment le définiriez- vous ? Et pour ce qui est de vos gravures en particulier ?

Il fonctionne comme un rhizome. Il est kaléidoscopique. Selon les centres d’intérêt, les coups de cœur, les recherches en cours, les commissariats d’exposition... une découverte en entraine une autre, comme un jeu de domino. La collecte (et non pas la collection, là aussi un terme péjoratif) s’étend de la préhistoire à la création d’aujourd’hui. Nous sommes très attachés au dialogue avec les artistes, que nous invitons à chaque exposition dans la maison (au moins deux par an, l’été et l’hiver), pour créer une œuvre soit in situ, soit en dialogue avec les œuvres et le lieu. Les gravures sont dans la même logique. Nous allons de l’époque médiévale à la création d’aujourd’hui.


Que représente pour vous l’art de la gravure ?

Une révolution dans la diffusion des images en Occident, et au-delà̀. Nous essayons de montrer à travers des œuvres médiévales, ou bien encore d’œuvres de Dürer, de Picasso, de Louise Bourgeois, Claude Mellan ou Bob Wilson, que l’art de la gravure n’a eu de cesse de se réinventer à travers les siècles.

Où conservez-vous vos gravures ? Sont-elles exposées au public ? Sont- elles prêtées ?

Les gravures sont conservées à l’Hôtel d’Agar. Nous avons plusieurs salles dédiées aux archives. Des centaines de gravures sont déjà̀ encadrées. D’autres sont classées et protégées. Elles attendent que nous les sortions pour une scénographie ou pour une exposition. Nous sommes en train de créer deux salles qui rendront hommage au collectionnisme provençal du XIVe siècle à aujourd’hui. Un mur entier est réservé́ aux portraits gravés des membres de la République des Lettres, ils sont au touche à touche. Un véritable Tétris du XVIIe siècle. Nous prêtons régulièrement pour les instituions. Nous avons prêtés des gravures pour le musée Fabre de Montpellier, pour l’IMA (Institut du Monde Arabe) de Paris, etc... d’autres prêts de gravures sont prévus pour 2021 avec une fondation de Bruxelles et deux musées en France.

Avez-vous des projets de recollement de ces collections ?

Il est en cours, mais il y a de nouvelles acquisitions tous les jours, ce qui ne facilite pas la tâche. Nous essayons de nous concentrer sur les chefs d’œuvre dans un premier temps (une quarantaine de peintures caravagesques, les fonds archéologiques, les archives, etc...). Des bénévoles de l’association des amis de l’Hôtel d’Agar (reconnue d’intérêt général), nous donne souvent un coup de main pour la rédaction de l’inventaire des collections.

Vous êtes passionnés par l’art et la vie du Caravage, par l’univers de la République des Lettres, par le XVIIème siècle, quel(s) lien(s) ces centres d’intérêts entretiennent-ils avec la gravure ?

Le siècle de la République des Lettres est une période fascinante pour l’incroyable rapidité́ de diffusion des images. Dans ce contexte post tridentin, les codes et le langage de l’image sont millimétrés. Le moindre détail possède une signification. Certains de ces codes sont si éloignées de nous qu’il faut du temps et beaucoup de lecture et de travail pour commencer à les traduire. Il faut arriver à se mettre dans l’esprit d’un érudit universaliste ou d’un artiste de l’époque. Un temps où les images sont partout, où la production picturale est quasi industrielle.

Daniel Arasse a raison quand il annonce que « 90% » de la production du début XVIIe a disparue. Il s’agit de regarder une époque à travers le trou d’une serrure. En ce sens, la gravure est un excellent outil de travail, pour avoir un regard d’ensemble sur cette production. Dans un petit carnet, un artiste comme Caravage ou Finson pouvait avoir sous les yeux les gravures d’après les créations d’Holbein, de Goltzius, d’Agostino Carracci, de Tintoretto, etc... Tout cela libère totalement l’imaginaire.


Suite de gravures sur les décapitations, XVIème s.

Nous avons choisi ici de mettre en lumière 3 axes de la collection de gravure des Morand. Ces derniers ne sont pas les seules composantes de la vaste et diverses accumulation d’œuvres gravées de l’Hôtel d’Agar, mais ils sont sans doute les plus représentatifs à la fois des missions que se fixent de la famille, mais aussi de leurs intérêts et de la collection en elle-même.

La république des Lettres.

La passion pour le Grand Siècle qui anime la famille Morand est en premier lieu la conséquence d’une passion pour la République des Lettres. Fondée autour du XIVème siècle, notamment grâce à Pétrarque, ce réseau d’érudits européens perdurent jusqu’à l’arrestation de Nicolas Fouquet, mis en prison sous l’ordre du roi Louis XIV. L’ancien surintendant des Finances était alors l’un des derniers grands représentants de ce courant humaniste éclairé et européen, qui mettait en relation les pensées, les arts et hommes. La République des Lettres, c’est le cœur de l’histoire européenne, c’est la diffusion de l’image, le principe de l’échange ; c’est-à-dire toutes les thématiques qui intéressent tout particulièrement la famille Morand dans l’optique de la constitution d’un musée à la Malraux.


  • N°1: Claude Mellan, La carte de la Lune dans son plein

  • N°2 : D’après Simon Vouet, gravée par Claude Mellan, Intellect, Mémoire et Volonté,

  • N°3 : Claude Mellan, Portrait de Nicolas Fabri de Peiresc

  • N°4 : D’après Antoine V an Dyck, gravée par Lucas Vorsterman, Portrait de Nicolas Fabri de Peiresc

  • N° 5 et 6 : Athanasius Kircher, Étude sur la mer et ses mouvements / Les cœurs volcaniques de la Terre


L'Hôtel d'Agar conserve également un bel exemplaire du très célèbre Voile de sainte Véronique gravé par Claude Mellan.

La sainte face, par Claude Mellan (1598-1688), vers 1649. Une œuvre intemporelle et virtuose. Claude Mellan est considéré comme un des plus grands graveurs du XVIIe siècle. Il réalise la première carte de la Lune de l’histoire, avec Peiresc et Gassendi. Ensemble, ils partent sur le sommet de la montagne sainte Victoire avec la lunette de Galilée. La technique de cette estampe au burin est une référence directe aux textes de Pline l’ancien, qui vantaient la finesse et la virtuosité légendaire du peintre grec Apelle. Claude Mellan invente ici une technique hypnotique : en partant d’un point central, ici la pointe du nez, il dessine d’un seul trait l’ensemble de la composition. Cette technique sera reprise par plusieurs élèves et suiveurs de Mellan mais aucun n’aura surpassé le maître. En s’érigeant au même niveau qu’Apelle, Claude Mellan impose son statut de maître incontesté.

L’image se déploie sur le papier à partir d’un seul fil d’encre, formant une spirale. Chaque passage est parfaitement parallèle. Les effets de reliefs et de couleurs sont obtenus par un subtil engraissement du trait, résultat d’une sûreté de main miraculeuse. Le visage se dévoile telle une apparition magique.


L’Hôtel d’Agar présente un large ensemble de gravures originales de Claude Mellan.

Cette œuvre est en définitive un chef-d’œuvre de cabinet de curiosités! Les jeux d’anamorphoses, d’optiques ou de perspectives étaient très appréciés des membres de la République européenne des Lettres. Les érudits étaient souvent acteurs dans le processus de création de l’œuvre. Les deux sphères de la connaissance et du savoir-faire travaillent ensemble, tel un Janus artistique.

On lit à côté de la signature de Mellan « non Alter » : personne d’autre que moi ne peut le faire. Tout était dit.



Le Caravagisme.

La collection de gravure autour du Caravage et du caravagisme se compose de 98 gravures. La majorité sont des XVIIe et XVIIIe siècles. À l’origine de cette passion, il y a l’achat de deux peintures désormais rapprochées de Caravage, qui appartenaient semble-t-il à la collection de Nicolas Fabri de Peiresc. Entre le XVII et le XVIIIème siècle, il y a un phénomène d’explosion de la pratique de la gravure. Le XVIIIème siècle est un moment où l’on écrit beaucoup sur le Caravage. C’était alors un artiste oublié, ce qui a conduit à la fois à un intérêt nouveau pour l’artiste mais, malheureusement, également à de nombreuses erreurs d’attributions. Dès le moment où une peinture était un peu sombre, un peu sale ou vulgaire, les œuvres étaient attribuées la plupart du temps à Caravage. Ainsi, on met de côté des artistes comme Valentin de Boulogne, Manfredi ou Vaccaro et Ribera, qui étaient les auteurs réels de ces nombreux tableaux. C’est au XVIIème siècle que les graveurs s’étaient plus intéressé aux artistes caravagesques. La collection Morand se constitue ainsi d’un côté d’œuvres d’après Caravage, gravées particulièrement aux XVIIIème et XIXème siècle, et de l’autre de gravures d’après des œuvres attribuées à Caravage précédemment. En réalité, cette seconde catégorie est en lien avec la mythologie qui s’est tissée autour de l’artiste. En effet, l’imaginaire autour du Caravage est très nébuleux. Au XIXème siècle, nous parlions de plus de 600 tableaux en ce qui concerne le corpus de l’artiste ; de nos jours, ce corpus est descendu à 60 œuvres et forme un ensemble bien plus cohérant. L’artiste n’a jamais été en réalité ce « poète maudit » qu’on a tant aimé dépeindre. La collection de l’Hôtel d’Agar trouve son origine dans une volonté de démystifier une histoire qui s’étend du XVIIème siècle aux années 1960.


  • N°7: Le Caravage, Le Reniement de saint Pierre

  • N°8 : D’après Louis Finson, gravée par Coelemans, Portrait de François de Malherbe

  • N°9 : D’après Valentin de Boulogne, gravée par Coelemans, Le martyr de saint Sébastien

  • N°10 : D’après Simon Vouet, gravée par Claude Mellan, Le Martyre de Sainte Catherine

  • N°11 : D’après Aubin Vouet, gravée par Michel Lasne, David et Goliath

  • N°12 : D’après Charles Alexandre Debacq, gravée par Jean Georges Frey, Le convoi ou Le tombeau du Caravage

Le Reniement de Saint-Pierre par Caravage est une oeuvre gravée tout à fait exceptionnelle. Des gravures signées de la main du Caravage, nous n’en connaissons que deux. Il faut savoir que le « mythe Caravage », selon lequel l’artiste aurait été un homme torturé, qui ne dessine pas, nous a empêché longtemps de s’intéresser à sa production de dessins. Or, s’il y a des gravures signées, c’est que son rapport au dessin était bien plus complexe. On ne connaît que très peu d’éléments sur la vie de Caravage. Or, notre gravure a été réalisée dans sa période romaine (1690-95 – 1606). A la suite de son célèbre duel contre Ranuccio Tomassoni, il quitte Rome en juin 1606 pour Naples. Il arrive dans l’atelier de Finson. Sa première grande commande avait été celle de 1599 pour l’église romaine de Saint-Louis-des-Français. Mais c’est à partir de 1601 qu’il devient une vedette et vend de plus en plus d’œuvres. Il a beaucoup de commandes et il lui faut donc trouver un moyen de diffuser ses œuvres. S’il commence à graver à ce moment-là, c’est certainement pour diffuser son imaginaire, sa signature. On peut dire que ses deux gravures connues sont de très moyenne qualité. Cependant, la technique de dessin à l’encre est assurée. On pourrait rapprocher cette dernière de celle des Carrache. Une technique très libre du trait que l’on retrouve chez Leonello Spada ou chez Louis Finson. Sur cette gravure, très légère et très rapide, un peu violente ou brutale, on est presque dans une inspiration d’esquisse. Sa technique de dessin correspond tout à fait à celle de sa génération, de son temps. Cette gravure doit être rapprochée d’une œuvre du MET, datée de 1610, représentant un Reniement de saint Pierre (inv. 1997.167). La seconde gravure connue, quant à elle, représente une Diseuse de bonne aventure (un sujet bien connu de l’artiste comme en témoigne la très célèbre œuvre du Musée du Louvre, inv. 55, ainsi que l’ouvrage d’Alfredo Petrucci). Ces gravures de Caravage étaient sans doute des tests de l’artiste pour diffuser son œuvre, mais l’expérience semble ne pas avoir été réitéré. Enfin, ce qui est intéressant avec ces deux gravures, c’est qu’elles peuvent nous permettre de retrouver des dessins du Caravage par analogie de la technique. Les gravures de Caravage sont encore aujourd’hui peu connues, peu montrées, peu diffusées, d’une part à cause du mythe autour de Caravage selon lequel il ne dessinait pas, et d’autre part parce que ces dernières sont considérées comme de trop mauvaises factures.



La Peste de 1720 La collection Morand se constitue également d’une quarantaine de gravures autour de la Peste de 1720. Elles seront d’ailleurs bientôt publiées dans un catalogue d’exposition sur les liens entre la crise de la Covid et la Peste de 1720 durant l’année 2021. Dans la collection de Sylvain Gagnière, il y avait un fond très important sur la peste. Ainsi, après avoir racheté il y a 25 ans ce dernier, l’Hôtel d’Agar l’a considérablement augmenté par une politique d’acquisition très active. Par conséquent, la famille Morand détient aujourd’hui le plus grand fond au monde, en main privée, sur la peste Marseillaise de 1720. Il contient autant de gravures que de dessins ou de manuscrits. Par ailleurs, si la famille s’intéresse à la gravure, c’est aussi parce qu’elle permet d’expliquer, d’expliciter, les manuscrits. Avant le XVIIème siècle, on pensait que représenter une épidémie de peste emmènerait la colère divine et rendrait la peste réelle. Il y avait un véritable rapport physique à l’image. Or, cette superstition s’effondre au début du XVIIème siècle et puis étrangement disparait avec la peste de 1720. On se met alors à représenter cette évènement traumatique. Il y a tout de même eu 190 000 mort sur 400 000 en Provence, en deux ans. Cela a conduit à une explosion de la représentation de la Peste. Ainsi, la peste de 1720 est la première grande épidémie aussi bien connue, par les archives, les images, la musique, etc.


  • N°13 : Anonyme, Tract publicitaire : Modèle d’habit contre la Peste à Marseille, Aix et Montpellier, graveur anonyme de Montpellier.

  • N°14 : D’après Jean-François de Troy, gravée par Simon Henri Thomassin, Le Chevalier Nicolas Roze à la Tourette dirigeant l’évacuation des cadavres par les forçats

  • N°15 : Guyot Marchant, Les danses macabres

  • N°16 : D’après Marteen de Vos, gravée par Jan Sadeler I, La guerre, la famine et la Peste (Bella - Rerum Caritas - Pestilentiae)

  • N°17 : Anonyme, Le port de Marseille touché par la Peste

  • N°18 : Anonyme, Le jeu de la Mort : in hunc intuens pius esto


Plus que jamais, et depuis bien longtemps, nous ressentons tous le feu qui brûle dans nos corps et dans nos esprits lorsque nous nous élevons à écouter, à regarder, à vivre un fait culturel. Où allons-nous demain sans théâtre, sans cinéma, sans musée ? Dans le noir. Où allons-nous demain sans musique, sans littérature, sans pensées ? Dans les abysses.

Aujourd'hui, l'Hôtel d'Agar garde son flambeau allumé. En soutenant l'érudition locale et ses vertus de partage, de générosité, ce lieu culturel est un élément incontournable du paysage culturel français ! Contre la morosité ambiante et la perte du goût de liberté, soutenons ensemble les institutions culturelles françaises !

En attendant la réouverture de ces lieux de lumières, Coupe-File vous invite à aller voir cette visite virtuelle en 3D des lieux, pour préparer votre visite prochaine !



Jérémy Alves.

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