"C’est une femme des plus belles, dont le vêtement n’est pas peint mais fait de lin très fin et brillant, de perles resplendissantes, de gemmes splendides [...] Je n’ai jamais rien vu de plus soigné et de plus délicat."
Johannes de Wit, 1591
vers 1520-1525
huile sur bois
80cm x 70cm
Musée du Louvre
Trésor des collections des peintures d'Europe du Nord du plus grand musée du monde, la Sainte Madeleine attire tout de suite l’œil du spectateur par sa préciosité, son rouge chatoyant ainsi que par son personnage central majestueux. D'aucuns le verraient comme un chef-d’œuvre reconnu, et pourtant ce tableau fut longtemps victime d'une grande méconnaissance. Manquant de documentation, ayant été retenu dans la collection des Rothschild de 1840 à 2005, il fut difficile de se pencher sur cette peinture d'un des plus grands maîtres flamands du XVIe siècle, Quentin Metsys.
Suspendue aux côtés du prêteur et sa femme (1514) et de la Vierge à l'enfant (1529), une femme richement vêtue et au regard lointain nous fait face. Sa robe et sa coiffe rouges, bleues et blanches, garnies de fils d'or et de perles reflétant la lumière, contrastent avec le paysage panoramique qui se déploie à l'arrière plan. Deux colonnettes ainsi qu'un rebord de marbre encadrent la composition, séparant le spectateur de l'espace à l'intérieur du tableau. Pour un regard non-averti, il est difficile de penser que l'on se trouve dans un contexte religieux. Et pourtant, un élément précis nous met sur la voie : le vase à parfum, que la femme est en train d'ouvrir dans un geste délicat, est un attribut de Sainte Madeleine.
Qui est vraiment Sainte Madeleine ?
En ce début du XVIe siècle, un conflit théologique éclate, que l'on nomme "la querelle des trois Marie". Celui-ci a, entre-autres, pour but de déterminer qui était vraiment Sainte Madeleine. En effet, on peut voir derrière elle la pécheresse anonyme lavant les pieds de Jésus-Christ chez Simon le Pharisien, Marie de Magdala, ou encore Marie de Béthanie, convertie par le Christ et présente lors de sa crucifixion, sa mise au tombeau et sa résurrection. La tradition populaire avait alors tendance à toutes les confondre. Alors laquelle est donc représentée ici ?
Dans son tableau, Quentin Metsys décide en fait de faire allusion aux trois Maries en même temps. Par le vase à parfum, il se réfère à la pécheresse qui oignit les pieds de Jésus avant de les essuyer avec ses longs cheveux, mais aussi à Marie de Magdala, qui apporta du parfum lors de la mise au tombeau. Ce n'est pas une iconographie que le maître anversois invente ; Van der Weyden avait déjà, dans son triptyque de la famille Braque (1452), représenté la sainte richement vêtue, le vase à parfum à la main. La nouveauté se trouve véritablement dans l'ouverture de l'objet par la femme, et dans sa position de trois-quart, la tête tournée vers la droite.
La dernière des Marie, Marie de Béthanie, est à voir dans l'arrière plan ; à l'extrême droite de la composition, elle est représentée agenouillée et nue, en pénitence, à peine visible. Adaptation bourguignonne de la légende de Sainte Madeleine, on dit qu'elle se serait échouée à Marseille après un long périple sur une barque dépourvue de voile, et aurait dès lors parcourut la Provence afin de se repentir. Cela permet également d'expliquer le paysage portuaire se trouvant sur la gauche du tableau.
Cette idée de conversion et de pénitence est bien appuyée par l'iconographie présente sur le vase, qui donne à voir la scène de la circoncision du Christ. Cette cérémonie purificatrice symbolise le passage de la sainte de la vie mondaine à une vie pieuse bien ancrée.
Des modèles prestigieux
Avant toutes ces réflexions, Sainte Madeleine avait tendance à être représentée dans des scènes de crucifixion, ou sur un volet d'un retable, diptyque ou triptyque. Dès ce début du XVIe siècle, son importance croissante fait qu'elle peut désormais être peinte individuellement. C'est donc une véritable innovation qui nous est donnée à voir, conjuguée au pinceau d'un grand maître flamand qui se place dans la lignée de ses prédécesseurs, tels Jan Van Eyck ou Van der Weyden, cité plus haut. D'eux, il récupère le grand réalisme, les effets de lumière dans les parures qui semblent refléter celle de notre propre espace, ou encore le paysage panoramique.
Il est intéressant de noter que l'artiste s'inspira presque certainement d'une esquisse antérieure de Léonard de Vinci qui représentait la sainte dans cette position exacte ( Dessins pour une Sainte Marie Madeleine, environ 1486-8) . Il faut en effet ne pas oublier que la Renaissance Italienne influence grandement les peintres d'Europe du Nord (et vice-versa), comme cela se voit également dans les colonnes de marbre à l'antique.
Quentin Metsys nous a donc livré une œuvre pleine de finesse aux multiples histoires, façonnée sur l'héritage de grands artistes de la Renaissance dont il rejoint le panthéon.
Raphaëlle Agimont
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