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Le dernier commanditaire du Moyen Âge, l'amiral de Graville (vers 1440-1516)


Proche de plusieurs souverains successifs, Louis XI, Charles VIII et Louis XII, Louis Malet de Graville (vers 1440-1516) connut une longue et prestigieuse carrière politique, occupant des rôles stratégiques. De même, sa commande artistique fut l’une des plus importantes de la seconde moitié du XVe siècle. Pourtant, ce riche seigneur ne connut pas une grande postérité et fut quelque peu oublié. S’inscrivant dans un mouvement de réhabilitation de ce moment particulier que constitue pour les arts le tournant entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, initié par l’exposition fondatrice France 1500 en 2010-2011 (1), une passionnante étude sur celui qui fut amiral à partir de 1587 vient de paraître aux éditions universitaires du Septentrion, dans la collection histoire de l’art dirigée par Étienne Hamon. Son auteur, Mathieu Deldicque, ancien élève de l’École des chartes et conservateur du patrimoine au musée Condé, publie ici le fruit de près de dix années de recherche, presque cinq ans après l’exposition consacrée à l'amiral de Graville au Havre en 2017 (2).



Quelques éléments biographiques


Louis Malet de Graville est issu d’une famille de la noblesse normande historiquement établie dans la seigneurie de Graville. Cette famille est connue au moins depuis le XIe siècle. Guillaume Malet, décédé en 1071, fut un compagnon de Guillaume le Conquérant à la bataille d’Hastings. Au XIIIe siècle, un autre Guillaume Malet figure parmi les signataires de la Magna Carta. Les Malet de Graville ont par ailleurs, au moins depuis le XIVe siècle, une tradition de service auprès des rois de France. Jean V, le grand-père de l’amiral, fut un compagnon de Jeanne d’Arc, et son père, chambellan de Charles VII et de Louis XI, connut une longue captivité en Angleterre alors qu’il participait à la Guerre des Deux Roses pour le compte de ce dernier.


C’est à la cour de Louis XI que Louis Malet de Graville débute véritablement sa carrière. La confiance octroyée dans de courts délais par le roi lui vaut plusieurs charges et récompenses. À la mort de celui-ci, il est un personnage essentiel du Conseil du roi et soutient le jeune Charles VIII. Sa fidélité est récompensée en 1487, il devient amiral de France. S’opposant aux guerres que le souverain veut mener en Italie à partir de 1494, il est nommé gouverneur de Normandie et de Picardie. Suite à l’accession au trône de Louis XII en 1498, il est un temps écarté des affaires de l’État avant de reprendre des charges en 1504. Jusqu’au début du règne de François Ier, il est un personnage incontournable dans le paysage politique. Il meurt le 30 octobre 1516.


Fig : Jean Perréal ? Portrait de l'amiral Louis Malet de Graville. Dessin à la pierre noire et à la sanguine. Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. ©The State Hermitage / Inna Regentova


La commande artistique


L’étude de Mathieu Deldicque veut apporter un éclairage renouvelé sur les modalités et les enjeux de la commande nobiliaire autour de 1500. Manuscrits enluminés, châteaux, églises rurales, vitraux, sculptures, tapisseries, portraits peints ou dessinés composent la large et abondante commande artistique de l’amiral de Graville. Celle-ci est notamment connue par les nombreux manuscrits enluminés voulus par ce dernier. Un corpus assez important, d’une trentaine de pièces toujours conservées, est défini.


Si la bibliothèque de l’amiral est, par le contenu des ouvrages, assez classique pour un personnage de sa position en cette seconde moitié du XVe siècle, l’on décèle par ailleurs notamment un goût prononcé pour les textes traduits sous le règne de Charles V, illustrant sa singularité. Dans cette bibliothèque, les manuscrits dotés de luxueuses reliures côtoient également des ouvrages plus utilitaires, destinés au travail et à la lecture. Parmi les volumes les plus illustres, on note le Terrier de Marcoussis (3), étudié par Paul Durrieu en 1926 et aujourd’hui non localisé (excepté un feuillet conservé au musée Marmottan Monet et reproduit en couverture de l’ouvrage). Relevons en outre le manuscrit du procès en réhabilitation de Jeanne d’Arc.


Fig : Terrier de Marcoussis. L'amiral de Graville chassant le sanglier. Paris, musée Marmottan Monet / ©Musée Marmottan Monet


Louis Malet de Graville est à la tête de nombreuses possessions en Normandie, avec la seigneurie de Graville mais aussi et surtout au sud de l’Île-de-France. Plusieurs seigneuries d’importance sont évoquées dans l’ouvrage à commencer par Marcoussis, Malesherbes et Milly-la-Forêt. Le château de Marcoussis, bâti entre 1403 et 1408 par l’un des ses aïeuls, Jean de Montaigu, est restauré et modernisé par l’amiral. Il ne reste malheureusement aujourd’hui que les fondations de l’édifice, démantelé au début du XIXe siècle, et une tour, dite Henri IV. Le site vient d’ailleurs de recevoir une aide de 77 000 € de la part de la mission Bern pour la restauration de ce dernier vestige encore debout. Les travaux s’étaleront de janvier à septembre 2022 (4).


Fig : Château de Marcoussis, ou Montagu, en 2018 / ©Maxime B

À Milly-la-Forêt et à Arpajon, l’amiral de Graville fait édifier de grandes halles toujours en place aujourd’hui, vraisemblablement réalisées au cours de la décennie 1470. À Malesherbes, qui semble être un lieu plus intime pour ce dernier, il entreprend également des modernisations, fait édifier une vaste grange de près de 40 mètres de long et quatre niveaux, commande en 1495 pour la chapelle du château une Mise au tombeau, chef-d’œuvre sculpté.


Fig : Mise au tombeau. Malesherbes, église Saint-Martin, 1495 / ©GFreihalter


Nous n’aurons naturellement évoqué ici que quelques points localisés de cette foisonnante étude de près de 498 pages. Nous la recommandons chaudement à nos lecteurs. La figure de Louis Malet de Graville ressurgit et sa personnalité se révèle peu à peu au fil de ses charges, de sa commande artistique.

 

À lire

Mathieu Deldicque

Le dernier commanditaire du Moyen Âge. L'amiral de Graville, vers 1440-1516

498 p, 2021. Ed. Septentrion, 36 €.

 

Notes

(1) France 1500, entre Moyen Âge et Renaissance. Du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011 au Grand-Palais, Paris. Commissariat général : Elisabeth Taburet-Delahaye, Geneviève Bresc-Bautier, Thierry Crépin-Leblond et Martha Wolff.


(2) Être mécène à l'aube de la Renaissance - l'amiral Louis Malet de Graville. Du 21 juin au 19 septembre 2017 à l'Abbaye de Graville. Commissariat général : Elisabeth Leprêtre. Comité scientifique : Mathieu Deldicque.


(3) Un terrier est, de manière simplifiée, une description des droits et revenus d'un seigneur. "C'est un document de gestion commode" (p.74)



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