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Le mythe de l'Âge d'or, sujet intemporel de la peinture occidentale (1/2)




« L’âge d’or fut le premier des âges de la création. […] Le printemps était éternel, les tranquilles zéphyrs caressaient de leur souffle tiède les fleurs nées sans semence. Bientôt même la terre, sans l’intervention de la charrue, se couvrait de moissons, et le champ, sans aucun entretien, blanchissait de lourds épis ». Tels sont quelques-uns des mots utilisés par Ovide dans le premier livre des Métamorphoses au Ier siècle après J.-C. pour décrire cette époque idyllique qui suscita tant d'imagination chez les Romains. L’auteur latin reprend toutefois un mythe raconté pour la première fois au VIIIe siècle avant J.-C. par le poète grec Hésiode dans Les Travaux et les Jours. L’Âge d’or est celui où la souffrance et le travail n’existent pas, où la nourriture ne manque jamais et où chacun peut vivre en harmonie avec la nature. Il ne prend fin que lorsque Zeus détrône Cronos, provoquant ainsi un lent déclin de l’Humanité. L’œuvre d’Ovide reprend ce thème pour promouvoir le règne de l’empereur Auguste qu'il voit comme un retour à cette période révolue après les terribles guerres civiles de la fin de la République romaine. A sa suite, d’autres artistes reprendront au fil des siècles ce récit, notamment en peinture, pour le réinterpréter en s’inscrivant dans des conceptions spirituelles et sociales qui leur sont propres. Coupe-File Art vous propose d’analyser quelques-unes de ces compositions.


Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553), L'Âge d'or, vers 1530, huile sur bois, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo

Au Moyen Âge puis à la Renaissance, la culture antique imprègne toujours les esprits. Les écrits, les philosophes grecs et romains sont admirés de tous et la pensée intellectuelle européenne continue de s’inspirer de cet héritage. A la simple théorie et aux textes vont alors s’ajouter les images. Le cas de la représentation de l’Âge d’or au XVIe siècle par Lucas Cranach l’Ancien est particulièrement intéressant dans la manière avec laquelle le peintre adapte son sujet. Il ne faut en effet pas oublier que la pensée chrétienne imprègne désormais la société et qu’il convient d’adapter les mythes païens antiques à cette nouvelle réalité. C’est ce que cette première représentation s’emploie à faire.


Maître du Haut-Rhin (actif vers 1400-1425), Jardin de Paradis, vers 1410-1420, tempera sur bois, Städel Museum, Francfort-sur-le-Main

On retrouve bien dans cette œuvre les principales caractéristiques de cette époque idéale décrite par Hésiode : les hommes et les femmes sont tous jeunes, ne travaillent pas et se nourrissent des fruits de la nature. Les seules préoccupations des personnages sont l’amusement, les plaisirs et la danse, comme le montre la ronde de personnages autour d’un arbre fruitier. Mais il n’est pas question pour autant de faire gouverner ce monde par un quelconque dieu grec ou romain. La composition évoque ici avant tout le jardin d’Éden, créé par Dieu et où il plaça Adam et Eve, les premiers Hommes. Cette idée est renforcée encore par la représentation d’un jardin clos symbolisant le Paradis au Moyen Âge. En effet, ce principe iconographique donnant à voir un lieu protecteur et bienfaiteur se retrouve dans d’autres œuvres de l’époque comme le Jardin de Paradis, réalisé vers 1410-1420.


Ici, il ne s’agit pourtant pas de montrer Adam et Eve mais bien une multitude de personnages comme pour y identifier le spectateur contemporain et lui montrer qu’il existe un espoir de retrouver ce paradis perdu des premiers hommes par le salut de son âme auprès de Dieu. L’Âge d’or de Lucas Cranach est avant tout une promesse de la Miséricorde divine que tout un chacun peut espérer, à condition d’être fidèle à son créateur.


Frans Francken II le Jeune (1581-1642) et collaborateurs, Arcadie - L'Âge d'or, première moitié du XVIIe siècle, huile sur bois, collection particulière

Le XVIIe siècle en revanche, va se démarquer par la plus grande liberté des artistes dans le choix de leurs sujets. Certes, la religion est toujours très présente mais l’heure est à la Réforme protestante dans les Provinces-Unies et certaines parties du Saint-Empire. Ces derniers, moins favorables aux images religieuses vont pousser les peintres d'Europe du Nord à produire un art plus profane dans le contexte d’un marché de l’art ultra-concurrentiel.


L’Âge d’or trouve donc toute sa place au bout du pinceau, non plus comme sujet religieux mais comme scène de genre. Dans un travail collectif, l’artiste anversois Frans Francken le Jeune réalise ainsi une nouvelle version du mythe antique, qui attirera l’œil de l’homme cultivé, cette fois libéré de la parole religieuse. La scène s’anime dans une sorte de bal champêtre prenant pour décor une campagne flamande aux accents arcadiques. On retrouve les plaisirs et l’insouciance des personnages dans les différents thèmes développés, ceux des amusements, de la danse et de la musique avec encore une fois une ronde de personnages et un joueur de cornemuse à l’arrière-plan. On en profite même pour glisser un élément de nature morte au premier plan avec ce déjeuner proposé au spectateur. La composition fait appel à tous les sens, comme c’est la mode dans la peinture flamande : la vue bien sûr, l’ouïe, le goût, l’odorat, peut-être même le toucher…



La reprise de l’Âge d’or comme scène de genre s’explique donc d’abord par le marché de l’art qui se développe mais répond aussi à un nouveau goût de l’aristocratie pour la collection de toiles aux sujets profanes. De plus, les commandes et les achats d’œuvres s’internationalisent au même titre que le succès et la renommée des peintres. Impossible pour les artistes des Pays-Bas espagnols de ne pas répondre à cette nouvelle tendance. Par la reprise de ce mythe, ceux-ci choisissent la continuité artistique du sujet tout en y accommodant la nouveauté de la forme.


Pierre Charles Tremolières (1703-1739), L'Âge d'or, 1739, huile sur toile, musée d'art et d'histoire de Cholet

Nous voici rendu en France, en 1739, juste au début du règne de Louis XV. La mode est au raffinement dans les arts. Les esprits sont à la fête, notamment après les douloureuses dernières années du règne de Louis XIV. La période n’avait pas été heureuse, que ce soit pour les deuils successifs des différents héritiers de la couronne ou pour les nombreux revers de fortune dans la chose militaire qui entraînèrent la faillite financière du royaume. Les plaisirs en tous genres doivent alors permettre de digérer tous ces maux.


Avec sa composition, Pierre Charles Tremolières réalise une synthèse de ce à quoi aspire son temps. Nous retrouvons bien sûr les caractéristiques de ce fameux âge décrit par Ovide. Notons une nouvelle fois la présence de la ronde dansante à l’arrière-plan qui devient caractéristique de cette iconographie. En lien avec le style rocaille des arts décoratifs qui se développe en parallèle, la peinture traduit un important intérêt pour la nature. C’est particulièrement le cas ici, où l’Homme apparaît en symbiose avec cette dernière. Tandis que l’un cueille un fruit dans un arbre, l’autre donne à boire à un lion. Tremolières répond enfin aux besoins de légèreté et à l’esprit de libertinage de l’aristocratie en représentant de nombreux personnages totalement dénudés, dont le sexe n’est caché que par de petits éléments végétaux. L’érotisation de la beauté du corps et particulièrement celle du corps féminin est ici flagrante.


Pierre Charles Tremolières (1703-1739), Portrait de Pierre Charles Tremolières, vers 1737, huile sur toile, musée des Beaux-Arts, Quimper

Plus qu’une simple représentation du goût de l’époque, ce tableau se fait peut-être bien l’allégorie d’un idéal de la société pendant la première moitié du XVIIIe siècle. On cherche alors à retrouver le sourire dans une période idyllique où les ennuis les plus lourds sont portés loin des yeux et des esprits. En voyant une telle peinture, un spectateur contemporain ne pouvait sans doute y admirer que le bien-être auquel il escomptait.


Comme le lecteur a pu le constater, les artistes ont su adapter l’Âge d’or à leur manière. A cela il n’y a rien d’étonnant : ce récit hésiodique a en effet pour avantage de garder sa nature mythologique tout en permettant à celui qui l’évoque de signifier bien plus encore. De cette façon le mythe païen aura tout autant influencé la pensée chrétienne que les premières productions conçues pour plaire aux collectionneurs du XVIIe siècle. Mais la dernière dimension qui fut exploitée est sans aucun doute celle qui ouvre sur la pensée moderne : certes la version de Pierre Charles Tremolières a bien pour vocation de se conformer à la mode de son époque, pourtant, on y décèle également la volonté du peintre de transmettre au spectateur une sorte d’idéal à retrouver, un projet de société à atteindre auquel chacun aspirerait pour le bien commun. C’est cette vision de l’Âge d’or qui va se généraliser et s’approfondir à partir du XIXe siècle, comme nous le verrons dans la seconde partie de notre étude.

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