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Les temporalités de la restauration patrimoniale : exposition « Patrimoine en mouvement » au château de Pierrefonds

  • Photo du rédacteur: Solene FEIX
    Solene FEIX
  • il y a 27 minutes
  • 8 min de lecture

Par Solène Feix


Longtemps, la restauration du Patrimoine a été l’affaire de lignées d’architectes, souvent réunis par le sang : frères, pères et fils se succédant sur les chantiers, dans une transmission où parfois l’un effaçait l’autre, et où le temps, à son tour, pouvait les effacer. Si cette continuité familiale persiste çà et là dans le paysage professionnel contemporain, elle répond aujourd’hui à une tradition institutionnalisée : celle du geste restaurateur transmis par la formation, incarnée par l’École de Chaillot qui depuis 1887 forme les architectes du Patrimoine. Ces praticiens œuvrent quotidiennement à la conservation, la réhabilitation et la mise en valeur de notre bâti.

C’est précisément cette réalité, à la fois humaine et matérielle, que donne à voir l’exposition présentée actuellement au château de Pierrefonds. Ce dernier, restauré au XIXe siècle, devient le théâtre d’une réflexion sur les gestes passés et présents de la restauration, un lieu de mémoire qui cristallise les tensions, les savoirs et les enjeux liés à l’acte même de restaurer.

Le château de Pierrefonds en chantier. (c) Base de données POP.
Le château de Pierrefonds en chantier. (c) Base de données POP.

Pierrefonds au passé, restaurer au XIXe siècle

 

Pierrefonds est un château dont on a longtemps cherché à rétablir la réalité derrière son projet de restauration souvent décrié. Restauré par le célèbre architecte Viollet-le-Duc, Pierrefonds est avant son intervention, selon lui, un édifice austère sans confort moderne. Il le nomme dès 1857 un « spécimen » de l’art français dont la vocation est de servir d’« objet d’étude ». L’architecte va plus loin encore : avec la reconstruction de Pierrefonds, « c’est l’art français du XVe siècle qu’il convient de faire reconnaître au niveau de l’art italien du Quattrocento ». Avant de parvenir à ce but, aussi fantastique soit-il, l’architecte doit démarrer ce projet sur une ruine. En effet, pendant des décennies c'est sous cette forme que le château était connu, alimentant un certain imaginaire romantique. Le château était à une étape proche de la disparition, comme l’écrit Antoine Picot dans son ouvrage, La matérialité de l’architecture ; « c’est de la matière qu’il reste enfin dans les ruines une matière qui perd progressivement les arêtes vives qu’on lui avait imprimées pour s’en retrouver à l’état de nature. »

 

Cessant ce lent passage du temps, la restauration débute en 1857 sur les ruines. Elle commence par un acte très répandu dans la pratique actuelle de l’architecture, celle de la réhabilitation du donjon.


Le donjon restauré parmi les ruines. (c)  Base de données POP
Le donjon restauré parmi les ruines. (c) Base de données POP

Puis, le projet évolue, grossit, et Viollet-le-Duc s’attèle à reconstruire l’ensemble du château dans les années 1865. Il veut que celui-ci soit un témoignage de l’histoire et de l’architecture française du début du XVe siècle, une image de forteresse correspondant alors parfaitement à cet idéal. De fait, il bâtit sur les ruines de l’ancien édifice un château correspondant à l’image médiévale que l’on se fait au XIXe siècle. Il se veut spectaculaire et éducatif. Au-delà de l’architecture, Viollet-le-Duc souhaite en effet instruire le visiteur par le biais des décors qui sont à mi-chemin entre architecture et art pictural ou sculptural, par exemple des dizaines de gargouilles diverses et variées. Ce projet relevant de l’architecture tant intérieure qu’extérieure répond à une esthétique globale que l’on nomme aujourd’hui néogothique.

 

Dans ce chantier architectural d’envergure, les enjeux politiques se mêlent au Patrimoine. Comme cachés derrière les maçonneries, ils étaient et sont toujours d’actualité. Précisément, au XIXe siècle, l’enjeu est de taille : passer d’une ruine à un château impérial. Cette idée prend ses racines dès 1855, lorsque l’Empereur Napoléon III, passionné par les nouvelles technologies industrielles, initie l’Exposition universelle de Paris. Grâce au succès de celle-ci, attirant plus de cinq millions de visiteurs, l’Empereur affirme son pouvoir et décide de faire du château de Pierrefonds une pièce maîtresse du rayonnement de la France, mais aussi de ses savoir-faire industriels et artistiques. Plus qu’une restauration, Pierrefonds est une vitrine, un outil de rayonnement alliant nouveautés techniques et art.

 

Il s'agit alors non seulement de rétablir une architecture, mais aussi de raviver l’histoire qu’elle porte, empreinte de la puissance des rois d’autrefois. Ce regard porté vers le passé constitue l’une des caractéristiques majeures des interventions du XIXe siècle. Peu à peu, cependant, s’impose une autre exigence : si revenir à l’histoire reste essentiel, il convient désormais de penser l’avenir de notre Patrimoine et de regarder vers un futur plus ou moins proche, porteur de nouveaux enjeux, différents de ceux du XIXe siècle. Comment restaurons-nous aujourd’hui ? De plus, en quoi l'acte de restaurer peut-il s'inscrire dans une perspective de durabilité et répondre aux défis de la transition écologique ?

 

Restaurer, au présent

 

Chantiers fraîchement terminés de la dernière restauration du château débutée en 2022 et chantiers faisant date, entre les murs du château de Pierrefonds, les temporalités se croisent jusqu’à l'exposition « Patrimoine en mouvement, construire un avenir durable ».


In situ, présentation de l'exposition (c) Cité de l'architecture et du patrimoine.
In situ, présentation de l'exposition (c) Cité de l'architecture et du patrimoine.

Proposée par l’École de Chaillot, et coproduite par la Fondation du patrimoine, cette présentation s’inscrit à la croisée de plusieurs objectifs : faire découvrir les métiers du Patrimoine, interroger les pratiques actuelles, et sensibiliser aux enjeux écologiques qui redéfinissent désormais l’acte de restaurer. L’exposition sillonne nos régions avec cet objectif. Actuellement, la saison 2 prend siège dans la région Hauts-de-France, et se déplacera prochainement à Sens ou encore à Amiens. Allant à la rencontre de ses publics, elle se place au croisement des restaurations passées, présentes et futures face aux enjeux contemporains que les professionnels du Patrimoine affrontent. Au château de Pierrefonds, cette itinérance mêle récits de terrain, interviews filmées des acteurs du patrimoine, et dispositifs de médiation, offrant au visiteur une plongée sensible dans les manières contemporaines de restaurer.

 

L’architecture se comprend lorsqu’elle se confronte au terrain, aux lieux où l’on restaure, réhabilite. Ainsi, l’exposition porte cette expérience à nos yeux en offrant une sélection de chantiers en lien avec la formation des architectes-élèves de l’École de Chaillot. Leurs pratiques, ici dévoilées au public, suivent un processus rigoureux : relevé du site, identification des matériaux, étude des techniques constructives, diagnostic sanitaire, définition d’un programme de restauration, puis élaboration d’un projet de mise en valeur. Autant d’étapes qui rendent visibles les gestes concrets du métier et la méthode qui sous-tend toute intervention sur le bâti. À travers cette exposition, un véritable état des lieux des pratiques de restauration est proposé. En France, ces interventions trouvent leur cadre dans la formation dispensée par l’École de Chaillot, selon une approche duale : l’observation du terrain et un enseignement entre praticiens.

Ce double regard, constitue la singularité de l’École et structure le propos de l’exposition. C’est pourquoi, afin d’appréhender toutes les dimensions d’un chantier, les techniques mises en œuvre par les architectes sont retracées, révélant la complexité mais aussi la richesse d’un métier à la croisée des disciplines.

Restaurer un édifice, c’est donc aussi raconter une histoire humaine, avec, au centre, l’architecte des monuments historiques et ou celui du patrimoine. Comme le souligne Delphine Aboulker, commissaire de l’exposition, l’architecte agit comme un véritable « chef d’orchestre », rassemblant autour de lui les différents corps de métier, chacun avec sa spécificité et son savoir.

Hier, Viollet-le-Duc se voulait architecte pédagogue à Pierrefonds ; aujourd’hui encore, ce rôle demeure essentiel. Selon Delphine Aboulker, l’architecte du patrimoine continue d’incarner un médiateur entre l’État, les entreprises, les usagers et le bâti, au cœur des projets de restauration contemporains.

 

Au-delà des figures humaines, les gestes techniques et les savoir-faire déployés sur les chantiers font pleinement partie de l’histoire d’un bâtiment. Depuis l’époque de Viollet-le-Duc, les méthodes ont certes évolué, les matériaux se sont diversifiés, mais l’objectif préalable à une restauration demeure inchangé : révéler les proportions d’un édifice et comprendre son histoire accompagnée des éléments constitutifs de son enveloppe architecturale.

À travers l’exposition actuelle, c’est précisément cette face souvent invisible de la restauration, celle des coulisses, des diagnostics, des choix techniques, qui est mise en lumière. Mettant l’accent sur la dimension humaine et collaborative, la seconde section de l’exposition illustre la pluralité des acteurs engagés dans la restauration du bâti, à travers une série de témoignages filmés. Par ces diverses séquences, une transmission et une sensibilisation s'opèrent, un regard déjà existant au XIXe siècle sur ce chantier dont Viollet-le-Duc souhaitait diffuser les savoirs techniques et historiques issus de son travail. Aujourd’hui, ce souhait de diffusion des connaissances transparaît lors d'expositions de ce type. Le contexte, lui, change, nous sommes désormais dans un moment de basculement avec le dérèglement climatique dont l’architecture ne peut détourner le regard.

 

Le patrimoine est alors en oscillation, s'accompagnant d’un mouvement dans nos pratiques changeant avec les époques, c’est pourquoi la réhabilitation est un objectif phare. Nous quittons l’ère de la démolition-reconstruction, aujourd’hui considérée comme une alternative moins vertueuse sur les plans écologique et culturel. À titre d’exemple, l’exposition met en avant des lieux fraîchement réhabilités comme la cité des Électriciens (Pas-de-Calais), la plus ancienne cité minière conservée du Nord de la France.


Cité des électriciens, Pas-de-calais, après restauration. (c) Ecole de Chaillot.
Cité des électriciens, Pas-de-calais, après restauration. (c) Ecole de Chaillot.

Construite entre 1856 et 1861 afin de loger les familles de mineurs, elle a progressivement été abandonnée après l’arrêt de l’activité minière en 1979. C’est à partir de 2013 qu’un vaste chantier de réhabilitation a été lancé, aboutissant à sa réouverture en 2019 motivée par la communauté d’agglomération ayant choisi d’en faire un équipement culturel et touristique, en conservant la trame du quartier, en restaurant les bâtiments, les jardins et les dépendances d’origine. Aujourd’hui, la cité accueille des expositions, des résidences d’artistes, des ateliers et des hébergements. Ce projet illustre une autre manière de faire vivre le patrimoine : sans en figer la mémoire, mais en lui redonnant un usage vivant, en phase avec les besoins actuels.

Ainsi, il ne s’agit plus seulement de restaurer un bâtiment à l’identique, mais de lui redonner un usage, une fonction, lui permettant de perdurer dans le temps. Un lieu patrimonial mobilise une pluralité de savoir-faire au moment de sa restauration. Lors des travaux achevés, il doit aussi continuer à rassembler plusieurs générations autour de nouveaux usages : bibliothèque, musée, tiers-lieu, sont autant de possibilités. Pour faire vivre ces lieux et leur enveloppe, certaines techniques anciennes peuvent être réemployées, comme celle du pisé ; une terre crue compactée, biodégradable et dotée d’une forte inertie thermique. Autrefois utilisé, le pisé redevient d’actualité pour certains projets. La boucle cyclique du temps nous pousse à revenir sur nos usages et nos modes de construction. Certes, l’architecture est en questionnement, mais c’est aussi l’homme d’une façon plus large qui l’est. L’architecture du patrimoine, en constante évolution, interroge nos pratiques contemporaines. À la croisée de la matière, de la pensée théorique et de l’ancrage territorial, qu’il soit urbain ou rural, elle nous oblige à repenser nos modes d’intervention. Dans un contexte de transition écologique, certaines pratiques doivent aujourd’hui être reconsidérées. La gestion raisonnée des ressources, la rénovation bas-carbone ou encore la limitation de l’étalement urbain deviennent des priorités. Changer de regard sur ce qui existe déjà, sur ce qui nous entoure, permet de redéfinir les contours de notre patrimoine. C’est dans cette optique que l’exposition élargit les représentations : elle met en valeur des éléments parfois négligés du paysage bâti, tels que des moulins, des granges ou des logements ouvriers, affirmant que le patrimoine ne se résume pas aux seuls monuments prestigieux, mais réside aussi dans les architectures ordinaires, témoins silencieux de notre histoire commune.

 

L’architecte s’adapte donc au bâti sur lequel il doit travailler, au projet qui est poursuivi comme la réalisation d’un musée, l’extension d’un édifice existant, alors, restaurer à l’identique n’est pas le seul modèle, la pluralité des restaurations s’observe. Évoluant avec son temps, la législation, les avancées techniques, cette exposition est finalement comme une mise en abîme de la restauration dans l’une d’entre-elle, celle du château de Pierrefonds restauré à partir de 1857 jusqu’en 1885, soit au-delà du décès de l’architecte Viollet-le-Duc.

 

Présentée en trois volets, l’exposition offre une plongée concrète dans le travail des architectes du Patrimoine, notamment à travers des chantiers structurants qui façonnent notre paysage bâti et paysager. Elle aborde les grandes questions qui sous-tendent leur pratique : que restaurer, que conserver, comment intervenir. À travers des études de cas, des entretiens, et des dispositifs interactifs, le visiteur découvre ainsi les métiers du patrimoine et la complexité des choix présidant aux chantiers.

Visible jusqu’au 31 août au château de Pierrefonds, l’exposition poursuivra son itinérance dans la région Hauts-de-France, avant de rejoindre la Bourgogne à partir de 2026.

Tarifs pour la visite de l'exposition et du château :

9€ ou gratuit pour les - de 26 ans.

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