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Les villes ardentes, art, travail, révolte (1870-1914)




Le XIXe siècle fait incontestablement entrer les sociétés européennes dans l'ère des luttes et des bouleversements sociaux. La classe laborieuse, le peuple des faubourgs, c'est lui l'artisan de toutes les révolutions du temps. C'est lui que l'on retrouve sur les barricades de 1830 ou de 1848. C'est encore lui qui refuse de livrer Paris aux Prussiens et aux Versaillais en 1871, lors de la Commune de Paris. Derrière l'artisan des révoltes se trouve en fait l'ouvrier. Pour l'observer, l'étudier, le décrire en ce début de IIIe République, il y a l'artiste, souvent peintre - mais pas toujours. Celui-là va les montrer dans leur recherche d'identité tout en s'interrogeant sur la sienne. A travers les 150 œuvres exposées au musée des Beaux-Arts de Caen dans l'exposition intitulée Les villes ardentes, art, travail, révolte (1870-1914), les commissaires Emmanuelle Delapierre, conservatrice en chef et directrice du musée ainsi que Bertrand Tillier, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, entendent montrer que le mouvement impressionniste ne se destine pas qu'à l’œuvre d'agrément. Ainsi, en admirant ces témoignages des villes bouillonnantes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, se plonge-t-on dans la France des artistes de la Belle Époque, qui nous faisaient alors aussi découvrir une France industrielle.


Camille Pissarro (1830-1903), L'Anse des Pilotes, Le Havre, matin, soleil, marée montante, 1903, huile sur toile, musée d'art moderne André Malraux, Le Havre

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en entrant dans la première salle, on est effectivement plongé, comme dans une cuve de métal en fusion, dans le monde des ouvriers. Après avoir attendu quelques instants à l'entrée de l'espace d'exposition auprès des toiles des grands maîtres du XVIIe et XVIIIe siècle, nous voilà désormais face aux usines de la Révolution industrielle. Un univers fait de fumées, de cheminées et d'hommes travaillant comme des forçats. Pour autant, il ne faut pas résumer à cela le travail accompli pour cette exposition. Le propos y est en effet bien construit à travers différents thèmes qui permettent d'aborder autant la vie du monde ouvrier que le regard particulier des artistes qui s'en inspirent.


Jean Emile Laboureur (1877-1943), Les Usines, 1902, peinture médium Préaubert sur carton collé sur Isorel, musée d'arts de Nantes

Au fil de la visite, on est donc amené à aborder notre sujet sous huit angles différents. Huit angles qui sont autant de manières de voir dans l’œil des artistes. Dans les trois premiers thèmes, on y découvre une peinture de paysage avec les usines des faubourg, les quais où sont débarquées les marchandises et enfin les grands chantiers des villes. Après la vue d'ensemble, on découvre les personnes. Des scènes d'intérieurs qui donnent à voir la conditions des ouvriers et des ouvrières. On est ainsi invité à voyager dans la ville des travailleurs. 


L'autre avantage de voir le sujet sous cet angle est qu'il nous interroge sur ce que le peintre fait du sujet qu'il a devant les yeux. Certes, l'image que nous voyons nous renseigne sur une certaine réalité sociale, mais il nous en apprend également davantage sur l’intérêt qu'a trouvé l'artiste à réaliser son œuvre. Au delà du thème social, la vie ouvrière lui donne de nouvelles perspectives. Les chantiers, avec leurs grandes structures métalliques, leurs machines et les contrastes des couleurs dans les usines sont autant de nouvelles études à réaliser pour les peintres.


Armand Guillaumin (1841-1927), Le Cribleur de sable, 1891, huile sur toile, Petit Palais de Genève

C'est également l'occasion pour l'artiste de s’interroger sur sa propre place dans la société. Si le travailleur à l'usine est en perpétuelle lutte pour sa condition humaine, n'est-ce pas aussi le cas du peintre qui doit trouver sa place dans la société ? Comme l'ouvrier qui vend sa force à l'usine, le peintre cherche à vendre son œuvre au collectionneur en trouvant sans cesse de nouveaux sujets. C'est ce nouveau sujet qu'il trouve sur les chantiers. D'ailleurs, comme le font remarquer les commissaires de l'exposition, il est difficile de ne pas remarquer l'effet miroir entre le personnage du Cribleur de sable d'Armand Guillaumin et le peintre devant son chevalet. En somme, l'artiste est peut-être bien lui aussi un ouvrier.


Ferdinand Joseph Gueldry (1858-1945), Filature du nord, scène de triage de la laine, 1913, huile sur toile, La Piscine de Roubaix-musée d'art et d'industrie André Diligent

Il faut encore noter au cours de la visite plusieurs points intéressants tels que l'inscription sur les murs des dates des lois qui encadrent les heures de travail à l'usine, les acquis sociaux et le travail des enfants. Cela donne une évolution chronologique de la condition des ouvriers en même temps que le propos de l'exposition progresse. L'autre élément remarquable est la mise en perspective des œuvres présentées avec des cartes postales de l'époque qui traitent des mêmes sujets tout en gommant les réalités parfois difficiles présentes dans les toiles. On voit ainsi que la classe ouvrière est un véritable fait de société, un sujet politique, avec une réalité sociale qui dérange alors parfois et que l'on cherche à effacer dans certaines représentations. Cette mise en perspective permet de faire ressortir efficacement le propos de l'exposition: les artistes de la fin du XIXe siècle ne font pas que des œuvres d'agrément, ils font aussi ressurgir des faits sociaux.


On regrettera cependant que le travail des enfants, qui était traité en même temps que celui des femmes, n'ait malheureusement pas été plus approfondi. On sait qu'il s'agissait d'un vrai sujet de débat à l'époque, certes déjà souvent étudié, mais qu'il aurait été intéressant d'inscrire au travers d’œuvres plus nombreuses dans l'approche globale de l'exposition.


En outre, il est dommage de ne pas avoir mis davantage de textes dans les salles. Des espaces plus grands auraient pu leur être réservés pour étoffer le propos et permettre de mieux le faire comprendre aux visiteurs. S'il est indéniable qu'un musée se consacre au spectateur plus qu'au lecteur et que le visiteur ne doit pas être écrasé par une masse trop imposante de texte, il ne faut pas pour autant tomber dans l'excès inverse et oublier l'aspect pédagogique et explicatif que peut comporter une exposition. Il ne doit pas être nécessaire d'acheter un catalogue d'exposition pour comprendre la réflexion qui accompagne l'accrochage réfléchi et construit d'un corpus d’œuvres choisies.


Enfin, un petit espace introductif aurait pu rappeler que la condition ouvrière dans l'art à la fin du XIXe siècle hérite d'un intérêt porté sur ce thème depuis au moins les vingt dernières années avant la chute du Second Empire. Il explique dès lors l'intérêt porté à ce sujet par les impressionnistes. Des manques qui ne remettent en revanche pas en cause la qualité de l'exposition telle qu'elle existe déjà.  


Paul Louis Delance (1848-1924), Grève à Saint-Ouen, 1908, huile sur toile, musée d'Orsay, Paris

Les villes ardentes, art, travail, révolte (1870-1914) est une exposition qui retient notre attention parce qu'elle met en valeur d'une manière différente l'art des artistes impressionnistes. On y découvre des peintres plus connus pour des paysages de campagne ou de centre-ville, tels Camille Pissarro, dans des thématiques plus sociales. Cette exposition est véritablement l'occasion de voir quel rôle les peintres de l'époque cherchent à donner à leur art. Comme nous l'avons dit, on peut faire quelques reproches à l'exposition mais cela ne doit pas vous empêcher, chers lecteurs, de vous déplacer pour aller la voir. Ce partenariat avec le musée d'Orsay, à l'occasion de la quatrième participation de l'institution caennaise au festival Normandie impressionniste, reste une belle réussite qui propose au visiteur une véritable plus-value culturelle sur la façon d’appréhender le célèbre courant artistique qui comptait Claude Monet parmi ses illustres représentants.


 

Les villes ardentes, art, travail, révolte (1870-1914), au musée des Beaux-Arts de Caen, du 11/07/2020 au 22/11/2020. Plus d'informations sur le site: https://mba.caen.fr/exposition/les-villes-ardentes

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