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Luca Giordano au Petit Palais

Cet été, la presse a tenu en haleine ses lecteurs avec les différends entre la France et l’Italie concernant les prêts d’œuvres de Léonard de Vinci. Cependant, le début de la saison 2019-2020 du Petit Palais montre qu’une entente entre les deux pays est parfaitement possible, ici avec la collaboration étroite avec le Museo di Capodimonte de Naples. C’est en effet ensemble que les deux musées proposent deux redécouvertes majeures au public français: Vincenzo Gemito d’abord, Luca Giordano ensuite. Si le nom du premier était à peu près inconnu du public français, celui du deuxième, qu’on surnomme aussi « Fa Presto », semble plus familier. C’est néanmoins la première rétrospective en France, et seulement la deuxième hors d’Italie, que nous en offre le Petit Palais; il nous donne à voir l’œuvre de celui qui fut sans doute le plus grand peintre napolitain du XVIIe siècle.


Saint Michel Archange chassant les anges rebelles, Luca Giordano, 1657, Huile sur toile, Naples, Eglise de l'Ascension a Chiaia (Détail) © Antoine Lavastre

Luca Giordano est né en 1734 dans la cité parthénopéenne. Fils d’un peintre, on a longtemps dit de lui qu’il fut l’élève de Ribera. Aujourd’hui la thèse avancée est qu’il ne serait qu’un élève « par contagion » pour reprendre la formule du commissaire scientifique de l’exposition Stefano Causa. Giordano est en effet un cannibale, qui mange tout ce qu’il voit, qui copie, qui transcrit et qui ensuite réinterprète. Son art s’adapte alors aux commanditaires, aux lieux, aux sujets. Maître du baroque par excellence, il est cependant un artiste loin des peintres à l’art présentant une évolution continue. Giordano oscille ainsi entre influence riberesque et baroque céleste, aérien, à la Lanfranco tout au long de sa carrière. Le début du parcours exprime cela par l’image, en présentant des œuvres contemporaines, d’abord; des retables réalisés selon un style lumineux, dans l’héritage du baroque romain, puis des scènes bien plus sombres, plus naturalistes, dans un style à la Ribera.


Luca Giordano, Saint Janvier intercédant pour la cessation de la peste de 1656 (San Gennaro che intercede per la cessazione della peste del 1656), 1660, 400 x 315 cm, huile sur toile, Musée de Capodimonte, Naples, Italie © Studio digital Speranza

C’est cette manière en perpétuel mouvement, parfois même en opposition, que l’exposition du Petit Palais retranscrit avec un certain brio. En procédant selon un plan qu’on pourrait qualifier de scolaire; introduction, développement puis conclusion, les commissaires nous font parcourir l’œuvre de l'un des artistes les plus prolifiques de l’Histoire; on lui attribue en effet près de cinq milles œuvres. Ces œuvres, de formats divers, sont présentées dans un parcours qui semble parfois nous plonger au cœur d’une église, recréant ainsi la découverte progressive de grands retables, comme le chef-d’œuvre absolu qu’est l’ex-voto pour la grande peste de 1656 ayant décimé la population napolitaine, Saint Janvier intercédant pour la cessation de la peste de 1656. Cette œuvre nous fait ressentir l’horreur à travers les corps qui sont tout de suite à hauteur d’œil et à qui il ne manque plus que l’odeur pour s’incarner pleinement.


Par des effets typiquement baroques de surprise, de détours, les œuvres se découvrent petit à petit ou parfois toutes ensembles dans une symphonie de couleurs comme c’est le cas pour la seconde salle et ses immenses retables. L’œil se balade alors de toiles en toiles, de scènes en scènes, guidé par les chemins visuels que le peintre lui a créé, tous menant naturellement vers le haut des compositions, vers les Cieux.

Luca Giordano, Sainte Famille et les symboles de la Passion (Sacra famiglia con i simboli della Passione), huile sur toile, 430 x 270 cm, Musée de Capodimonte, Naples, Italie (détail) © Antoine Lavastre

Les commissaires se sont aussi attachés à montrer les différents médiums utilisés par Giordano pour exprimer ses idées. Une galerie des dessins est ainsi présente et ce malgré une redécouverte relativement récente du Giordano dessinateur. Nous pouvons ainsi y découvrir un artiste à la curiosité intarissable, toujours à la recherche de la composition parfaite ou de l’inspiration adéquate. Il semble appartenir à ces artistes qui, comme Léonard, voyait dans le dessin le support premier de l’esprit. Ses carnets et feuilles sont ainsi pour lui un recueil presque inépuisable de modèles glanés dans ses pensées ou dans ses voyages dans l’univers d’autres artistes.


© Antoine Lavastre

Le grand domaine, au-delà de la peinture sur toile, où va s’illustrer Giordano est naturellement la fresque, seul médium assez grand pour un peintre de son estime. Presque par nature, une fresque est le plus souvent in situ et ne peut donc être déplacée. C’est ainsi que des reconstitutions réalisées par d’habiles jeux de projections vidéo rendent hommage à cette part de l’œuvre de Giordano. Cette réalisation technique de la part du Petit Palais est à souligner car l’effet est assez bien réussi malgré, parfois, l’assez basse définition des images projetées.




Giordano est sans doute le dernier peintre voyageur napolitain. Point d’attache, la ville lui sert de base arrière lors de ses nombreux voyages. Ceux-ci semblent guidés par un sens inné de la carrière. D’abord Rome pour voir, puis Venise pour poursuivre les expérimentations, Florence ensuite pour s’affirmer et enfin l’Espagne pour exploser et devenir le peintre le plus célèbre d’Europe. Ces voyages sont le cœur de la carrière de Giordano et, ainsi, de l’exposition. Les salles se déroulent comme autant de nouveaux lieux parcourus par « Fa Presto ».



Enfin, le dernier grand axe appuyé par l’exposition est la diversité des sujets. En effet, Giordano n’est pas qu’un peintre religieux, il est aussi passé par le portrait et par la peinture mythologique. Évoluant selon les goûts de ses commanditaires, ses œuvres se font aussi bien de la sensualité presque sexuelle de l’Ariane abandonnée que de l’horreur d’un Marsyas écorché.

Luca Giordano, Ariane abandonnée (Ariana Abbandonata), 1675-1680, 203 x 246 cm, huile sur toile, Musée de Castelvecchio, Vérone, Italie (Détail) © Antoine Lavastre

Là où la vie de Caravage semble être un fuite perpétuelle, celle de Giordano est d’une réussite insolente. Cela est presque trop, puisque un peintre à qui tout réussit, à qui tout semble facile, perd son romanesque, et, bien plus encore que Rubens, Giordano est un génie mis de côté par le public et la recherche contemporaine. L’exposition du Petit Palais et du musée Capodimonte est ainsi une aubaine pour redécouvrir ce peintre dont le brio n’a que très peu de rivaux dans l’histoire de l’art. Il suffit ainsi de s’attarder sur ses drapés lumineux et ses bleus trompettes pour s’en convaincre pleinement. Il faut ainsi se presser pour arpenter les cimaises merveilleusement colorées du Petit Palais !


Antoine Lavastre


 

Luca Giordano (1634-1705) Le triomphe de la peinture napolitaine

14 novembre 2019 - 23 février 2020


OUVERTURE :

- Du mardi au dimanche de 10h à 18h

- Nocturne les vendredis jusqu’à 21h

- Fermé les lundis, 25 décembre et 1er janvier


TARIFS :

- Plein tarif : 13 euros Tarif réduit : 11 euros

- Billet combiné avec l’exposition Vincenzo Gemito Plein tarif : 16 euros Tarif réduit : 14 euros

- Gratuit jusqu’à 17 ans inclus


PETIT PALAIS Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris Avenue Winston-Churchill - 75008 Paris Tel: 01 53 43 40 00 Accessible aux personnes handicapées.


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