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Lumière de vitrail : Chantilly, la Renaissance et l'Amour.

Le 7 mai 1897, en Italie, s’éteint le fils de Louis-Philippe, ancien roi des Français. Henri d’Orléans, duc d’Aumale, n’a laissé derrière lui nul autre descendant qu’un morceau de gloire, d’amour et de passion pour la petite et la grande histoire de France : le château de Chantilly.

Charles Jalabert, Portrait de Henri d’Orléans, 1866

Héritier de la maison d’Orléans, le duc a traversé durant toute sa vie des courants mouvementés, de la Restauration à la Monarchie de Juillet en passant par la Deuxième République. Son enfance a été marquée par la disgrâce de son monde, où les traditions avec lesquelles il avait évolué ont perdu leur place dans la réalité de la France du XIXème siècle. Sa conscience de son appartenance à un monde désuet, ainsi que son âme de collectionneur et d’amateur d’art et de beauté, conjuguées ensemble, ont certainement été les raisons heureuses de la constitution d’une exceptionnelle collection d’art, léguée à sa mort à l’Institut de France dans un écrin de pierre, témoignage à la France de son amour aussi immortel que les membres qui en composent ses Académies. Le domaine de Chantilly, qu’il reçoit à l’âge de 8 ans en 1830, le duc a passé une très grande partie de sa vie à l’enrichir, à le conserver. Ayant restauré et reconstruit le château détruit en grande partie lors de la Révolution française, en le meublant de peintures, de dessins, d’estampes, de manuscrits ou encore d’objets d’art, il impose dans son testament l’entretien et la conservation à l’identique de son œuvre, ainsi que l’ouverture de celle-ci aux Français. Le domaine de Chantilly ouvre ainsi ses portes au public en 1898, sous le nom de « Musée de Condé » et, grâce à l’attachement du prince d’Orléans pour l’idée de patrimoine, cette collection, la plus ancienne et la plus belle après celle du Louvre, est aujourd’hui un fleuron épanoui et rayonnant de notre histoire.


Au sein de cette collection, faisant entrer la lumière dans une galerie du château, se trouvent des vitraux un peu particuliers, qui n'ont par ailleurs pas toujours été là. Au nombre de quarante-quatre, ces panneaux de verre racontent le mythe d'Eros (Amour) et Psyché.

Tout en donnant son nom à la Galerie de Psyché dans laquelle il se trouve, ce cycle est un témoignage exceptionnel de la Renaissance en France. Attribué à un maître verrier de l’école de Fontainebleau, il donne à voir le goût des contemporains de Raphaël, artiste particulièrement apprécié par le duc d’Aumale, pour la redécouverte et la ré-appropriation de l’Antiquité. A l'origine commandé par le puissant connétable Anne de Montmorency (1492-1567), compagnon d’arme et ministre de François Ier puis d’Henri II, l'ensemble a été exécuté entre 1542 et 1544 afin d'illustrer l'histoire narrée par Apulée dans son ouvrage L’Âne d’Or au IIe siècle ap. J.-C., dans le but d’orner la galerie du premier étage de l’aile occidentale de son château d’Écouen.

Peints en grisaille et rehaussés pour certains de jaune d’argent, les vitraux sont légendés, en français, par des vers en huitains et quatrains. Ils ont très certainement été réalisés à partir de cartons attribués au peintre flamand Michel Coxcie. Ces derniers reproduisaient des gravures du Maître de Dé, connu comme étant le fils du graveur Marc-Antoine Raimondi qui copiait notamment les œuvres de Raphaël. En effet, ce cycle de vitraux est le résultat d’un brassage artistique mêlant la genèse iconographique italienne de Raphaël et de ses suiveurs, les gravures du Maître de Dé, les dessins flamands de Michel Coxcie et puis l’invention française de l’école bellifontaine ; l’art de Fontainebleau s’exprimant ici par la présence de cuirs enroulés, de fruits et feuillages, de putti et de masques, qui ne sont pas sans rappeler le décor de la galerie François Ier.

Dans son ouvrage, Apulée raconte l’histoire du jeune homme Lucius, transformé en âne parce qu’il a commis des fautes et enlevé par des brigands. Tout comme lui, une jeune femme est retenue prisonnière : elle a été enlevée le jour de ses noces. Cette dernière est gardée par une vieille femme qui lui raconte l’histoire de Psyché et Cupidon et évoque ainsi la jalousie de Vénus envers Psyché. Le mythe s’achève sur la mise à l’honneur du couple, placé sous la protection de Jupiter, lors du « banquet des dieux ».

ttribué à un maître verrier de l’école de Fontainebleau,  La Vieille raconte l’histoire de Psyché à la jeune femme enlevée le jour de ses noces, Lucius écoutant à gauche sous la forme d’un âne,  Vers 1542-1544,  Vitrail n°1, grisaille, plomb, 110 x 55,5 cm, Conservé au musée Condé, Château de Chantilly.  © RMN – F. Raux / R.-G. Ojéda.
Vitrail n°1, 1542-1544, grisaille, plomb, 110 x 55,5 cm

C'est ainsi que sur le premier vitrail de la série, le visiteur voit apparaître Lucius au moment où, ayant déjà été enlevé et transformé en âne, il écoute la « Vieille » raconter l’histoire de Psyché à la jeune femme. Incapable de parole, Lucius ne peut qu’écouter le récit tout en étant séparé du groupe des deux femmes par le trait vertical du plomb encadrant les différents personnages. En outre, en haut du vitrail sont visibles des colonnes qui d’une part s’inspirent beaucoup de l’architecture italienne et, d’autre part, sont représentées plusieurs fois dans différents vitraux. Elles font référence au temple de l’Amour où Psyché sera par la suite emmenée. Enfin, aux pieds de la « Vieille » se trouve un chien à l’œil morne, qui semble lui aussi écouter l’histoire, la tête tristement posée sur une de ses pattes. Dans la tradition, le chien est un symbole de luxure ou de mélancolie. Il fait certainement allusion au sentiment de la jeune femme. On notera que la figure du chien est ici empruntée à une gravure de Dürer intitulée La Mélancolie (1514), où l’on retrouve la même posture de l’animal allongé de manière recroquevillée sur lui-même et situé aux pieds d’une femme.

Albrecht Dürer, Melancholia I, 1514

Par son ampleur et son homogénéité, ce cycle peint sur verre est remarquable dans le corpus de la production verrière de la Renaissance française, d’autant qu’il est aujourd’hui le seul ensemble complet conservé en France. Vous pourrez non seulement admirer la suite de cette histoire sur vitrail qui, après après avoir traversé les âges, vous inondera de lumière, mais aussi visiter l'exposition "Raphaël à Chantilly" ! Alors n'attendez plus, le château de Chantilly rouvre ses portes dès le 21 mai !


Jérémy Alves.




Historique : Vitraux saisis à la Révolution et transportés au dépôt de l’hôtel de Nesle à Paris ; en 1796 déplacés au Musée des Monuments Français sous la demande d’Alexandre Lenoir ; en 1816 rendus au prince Louis Joseph de Bourbon-Condé et conservés en caisse au Palais-Bourbon ; le 19 novembre 1843 transportés au château de Chantilly chez Henri d’Orléans qui en hérite ; en 1847 une restauration après une tempête est nécessaire sur quatre vitraux ; 1852-1876 exil des vitraux à Twickenham (Angleterre) auprès du duc d’Aumale ; 1875 retour des vitraux à Chantilly ; nouvelle restauration entre 1879-1883 ; dernière restauration en 2005.




Bibliographie :


- DE HALLEUX, Elisa, Androgynie, érotisme et ambiguïté de l'image picturale à la Renaissance : un exemple paradigmatique, dans Seizième Siècle [en ligne], 2011 (N°7), pp. 37-47


- MAUCHANT-RENOULT, Pascale, « Éros et Psyché. Un conte, un parcours initiatique », Cahiers jungiens de psychanalyse [en ligne], 2017 (N° 145), p. 27-37


- DESPLECHIN, Marie, La Galerie de Psyché, Padoue, Italie, Editions Nicolas Chaudun, Paris, 2009.


- L’Objet d’Art, Hors-Série n°43, 2009, p. 56-62 


- ZENER Henri, L’art de la Renaissance en France, Flammarion, Paris, 1996.  

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