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"Marche et démarche. Une histoire de la chaussure." au musée des Arts Décoratifs

« Vous ne serez jamais assez soigneux quant au choix de vos chaussures. » Ces mots de Christian Dior, nous les avons entendus depuis l’enfance. Faire correctement ses lacets, ne pas sauter dans les flaques, ne pas mettre ses chaussures à l’envers, cirer correctement ses souliers... Toutes ces remontrances indiquent que la chaussure est un élément fondamental de la bonne tenue, si bien que la preuve de notre éducation se trouve sur nos pieds.




En 1934 dans sa conférence présentée à la Société de Psychologie, Marcel Mauss, père de l’anthropologie moderne, comprenait la marche comme une « technique du corps », un langage corporel variable selon les milieux sociaux et culturels. Si leur rôle premier est de couvrir et de protéger le pied, les chaussures participent de la mise en mouvement du corps vêtu et conditionnent une démarche particulière. Souvent, elles revêtent également une fonction symbolique importante. Jusqu’au 23 février 2020, le musée des Arts Décoratifs de Paris dévoile quelques cinq cents spécimens issus de ses collections et de prêts exceptionnels, questionnant le rôle de cet indispensable de la garde-robe à travers les époques et les aires géographiques.


De nos jours encore, pour trouver chaussure à son pied, il faut parfois y mettre le prix. Dans le monde rural, le sabotier pratiquait son métier à temps partiel en réalisant pour chaque paysan une paire de sabots par an qu’il fallait conserver jusqu’au printemps suivant. La chaussure a toujours été un produit de luxe de par le savoir-faire technique que requiert sa fabrication et le coût élevé de ses matériaux tels que le cuir fin ou les soieries. À l’inverse, le fait de ne pas en porter est signe de pauvreté. Dans l’Antiquité romaine, les esclaves et les prisonniers demeuraient pieds nus. L’expression de « va-nu-pieds » désigne encore les nécessiteux. Le pied chaussé constitue par conséquent un critère de liberté, à l’image du dieu Hermès (Mercure chez les Romains), messager de l’Olympe, qui traversait l’air grâce à ses sandales ailées. Cependant dans de nombreuses cultures orientales et extrême-orientales, se déchausser avant d’entrer dans un lieu relève du respect.


En déambulant dans l’exposition, le visiteur pourra remarquer que parmi tous les modèles exposés, les traces d’usage sont rares et l’état de conservation parait étonnamment excellent. En effet, les beaux souliers marquent la distinction d’une élite sociale, immobile, par rapport à une classe laborieuse. Dès l’enfance, la femme de haut rang reçoit une éducation qui fait d’elle un être chétif et fragile qui doit préférer à la marche, la pratique assise de la broderie. À Versailles, les déplacements s’effectuaient en chaise à porteur mais lorsqu’elle était en représentation, l’aristocratie devait faire valoir son noble maintien en appliquant les leçons reçues par un maître à danser. Lors des rares déplacements extérieurs, entre le pas de la porte et le marchepied du carrosse, les précieux souliers s’isolaient des rues boueuses et des immondices en se plaçant dans des patins ou socques surélevés.


Au fil des siècles, les chaussures n’ont cessé d’être au cœur des créations les plus innovantes. Leur incroyable diversité formelle a souvent façonné des silhouettes étonnantes, entre talons vertigineux et chausses « à la poulaine » outrageusement effilées.

Au cours du XIXe siècle, la diversité des activités incitent à développer des chaussures adaptées à chaque circonstance : loisirs balnéaires, chaussons de danse, « godillot » militaire. Le talon, introduit en Occident par les cavaliers perses à la fin du XVIe siècle pour caler le pied dans l’étrier, est aussi révolutionné par le cordonnier-bottier François Pinet. En 1854, celui-ci dépose le brevet d'un talon fait d’un seul tenant de cuir, plus léger et économique. Au XXe siècle, les expérimentations n’en démordent pas, enrichies de nouvelles matières et d’esthétiques avant-gardistes.


Cuissardes, laçages, cuir verni : les chaussures sont aussi étroitement liées à un univers érotique.

Le fétichisme des pieds semble trouver son origine dans des pratiques pluriséculaires chinoises, dans lesquelles le petit pied, déformé par un bandage savant, devient objet de désir. L’anatomie ainsi modifiée dès l’enfance crée une cambrure particulière du pied, alors logé dans de petits chaussons de soie brodée n’atteignant pas les dix centimètres de long.

La fascination pour le « lotus d’or » chinois s’apparente à l’idéal occidental du « pied mignon », signe de haute naissance. Les escarpins du poète Alfred de Musset révèlent également l’étroitesse des pieds masculins, ne dépassant pas les cinq centimètres de largeur.

De même, le talon rend la marche malaisée et correspond à une vie oisive. La mobilité ainsi entravée constitue une autre source de concupiscence. Par exemple, les socques en bois japonais (geta) portées par les prostituées de luxe leur conféraient une démarche lente et lascive.


Les pièces à ne pas manquer

  • L’exposition présente quelques pièces exceptionnelles par leur ancienneté, à l’instar des sandales d’Erétrie d’époque hellénistique (323 – 31 av. J.-C.) et d’Egypte antique des premiers siècles de notre ère.


  • Les esthètes se réjouiront de découvrir un impressionnant florilège de boucles de chaussures « à la d’Artois », de véritables bijoux encombrant le cou-de-pied, qui forçaient les hommes à marcher les jambes écartées.


  • Une importante sélection de babouches, sandales, mocassins, socques et autres bottes fait la part belle aux cultures extra-européennes (Afrique, Amérique, Asie) illustrant les besoins quotidiens des populations en fonction de leur climat environnemental.


Chaussure de Marie-Antoinette / 1792
  • Des chaussures pour pieds célèbres : la fameuse chaussure de Marie-Antoinette, récupérée dans la chambre au palais des Tuileries en 1792, les brodequins de Joséphine par le bottier de la famille impériale Antoine Vincent Janssen, les chaussures de sacre de Charles X (1825) ou encore la bottine à talon strass de John Lennon créé par Roger Vivier (1964) !




  • Les adeptes de la célèbre semelle rouge découvriront ses origines à la cour versaillaise: quand, lors d’une visite des abattoirs de Paris, Monsieur (Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV), marcha malencontreusement dans une flaque de sang…


Chaussure de Charlie Chaplin, XXe s / Etats-Unis
  • Enfin, dans l'espace dédié aux souliers des clowns, les passionnés de cinéma ne pourront que s'émouvoir devant l'une des célèbres chaussures de Charlie Chaplin, portée pour son rôle Charlot.









En cours d’exposition, le visiteur aventureux pourra s’essayer à chausser des reproductions de poulaines, chopines et autres chaussures impraticables dans le salon d’essayage. Cet exercice révèle que la marche n’est pas naturelle mais s’apprend en suivant les codes établis par les différentes sociétés. Il faudra attendre les revendications des médecins hygiénistes de la fin du XVIIIe siècle, qui se firent entendre dans les années 1870-1890, pour offrir au pied une chaussure mieux adaptée à son anatomie et à ses besoins.

Enfilez donc votre plus belle paire de sneakers pour arpenter à votre aise les dédales de cette singulière exposition.


Margaux Granier-Weber

 

"Marche et démarche. Une histoire de la chaussure."

Du 7 novembre 2019 au 23 février 2020

Paris, Musée des Arts Décoratifs


Commissariat : Denis Bruna, conservateur en chef - collections mode et textile antérieures à 1800


Scénographie : Eric Benqué


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