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Picasso et l'exil, une histoire de l'art espagnol en résistance


Picasso sur un escabeau peignant "Guernica" dans l'atelier des Grands-Augustins, mai-juin 1937, Paris. © Succession Picasso

Le musée des Abattoirs ré-ouvre ses portes au public toulousain ce vendredi 15 mars afin de présenter le fruit d'un projet initié il y a plus de trois ans en collaboration étroite avec le musée national Picasso de Paris : Picasso et l'exil, Une histoire de l'art espagnol en résistance. Coupe-file vous dit tout sur cette nouvelle exposition temporaire consacrée au rapport à l'exil du plus célèbre des peintres espagnols et de ses compatriotes.

Mêlant artistes du siècle passé et contemporains, cette exposition s'inscrit dans le cadre du programme Picasso-Méditerranée, une manifestation culturelle internationale se tenant du printemps 2017 au printemps 2019. Or cet événement trouve une résonance particulière à Toulouse et plus précisément au musée des Abattoirs, alors que la région commémore cette année les 80 ans de la « Retirada ».

Au printemps 1939, 500 000 espagnols traversent en effet les Pyrénées afin de fuir le régime du général Franco : c'est la «Retirada ». Les républicains ont fini par perdre la guerre débutée trois ans auparavant et dans laquelle on retrouve déjà tous les ingrédients pour préparer le second grand conflit mondial. Eu égard à la mémoire de la guerre civile, qui s'efface trop volontiers au bénéfice de celle de 1939-1945, et au rôle prépondérant d'accueil des réfugiés qu'elle a joué, la région occitane célèbre ainsi à travers cette exposition ce sinistre anniversaire. Le musée des Abattoirs se situe en effet dans le quartier Saint-Cyprien, haut lieu d'accueil des réfugiés espagnols qui y fondèrent notamment l'hôpital Ducuing- anciennement Varsovie - afin d'y soigner leurs compagnons d'exil.


Femmes réfugiées dans le camp de Rivesaltes, 1939. Image libre de droit.

Le parcours muséographique se déroule sur 3 étages tous indépendants les uns des autres. Au total, ce sont pas moins de 69 artistes contemporains et passés issus de 28 nationalités qui sont mis à l'honneur par le musée. La densité des œuvres présentées ne saurait soutenir une description exhaustive, aussi avons-nous choisi de nous attarder sur quelques pièces qui ont retenu notre attention. La première salle dans laquelle le visiteur pénètre à son arrivée est consacrée à la fuite hors d'Espagne des réfugiés et à leur installation dans des camps de fortune. Des photographies d'époque, souvent prises par des amateurs, témoignent de la précarité de la situation de ces hommes-là. Trois des quatre murs de la pièce sont recouverts tandis que le dernier est réservé au travail de l'artiste contemporaine franco-marocaine Nissrine-Seffar. La plasticienne a choisi de faire figurer des photographies du camp de réfuigés de Rivesaltes sur des blocs de plâtres alignés à la suite les uns les autres, comme pour représenter une pellicule de film. L'artiste explique s'être intéressée au camp de Rivesaltes dans le cadre de son travail sur la mémoire. Une mémoire désacralisée par l'exposition puisqu'elle est donc reprise à leurs comptes par des artistes non-espagnols n'ayant pas été touchés eux-mêmes par le conflit.


Une vue de la dépouille du Minotaure en costume d'Arlequin. © CoupeFileArt

En descendant vers l'étage inférieur, nous arrivons dans une immense pièce aux volumes gigantesques dont un mur est occupé par La dépouille du Minotaure en costume d'Arlequin. Cette fresque démesurée de Picasso constitue le rideau de scène de Quatorze-Juillet , une pièce de Romain Rolland montée en 1936 pour célébrer la première fête nationale sous le Front Populaire français. L'artiste a ensuite fait don de l'oeuvre à la municipalité toulousaine une fois les représentations terminées. La générosité du peintre est d'ailleurs régulièrement soulignée au fil de l'exposition, qui rappelle le rôle très actif de Pablo Picasso. Centralisant l'aide mondiale pour les réfugiés espagnols, celui-ci soutient les réfugiés républicains à travers des dons d'argent pour l'hôpital Varovie par exemple, ou pour les enfants d'exilés.


Garage Days Re-Visited, de D. Deroubaix, 2016. © CoupeFileArt

Symbole de l'engagement du peintre, Guernica, sa toile la plus célèbre, ne quitte plus le musée madrilène de la Reine Sofia. Pour donner cependant à l'oeuvre toute la place qu'elle mérite dans une telle exposition, les commissaires ont rivalisé d'ingéniosité. Tout d'abord en accrochant son châssis en bois original au mur d'une des salles du musée. Abîmé par les déplacements successifs du tableau à l'époque où il voyageait encore, le cadre rappelle par son seul état de délabrement la violence de la scène représentée par le peintre. De l'avis de la plupart des visiteurs auquel nous nous rangeons volontiers, l'effet produit est au moins à la hauteur de celui de l'oeuvre originale. D'autre part, Guernica est présent à travers la reproduction en bois gravé de Damien Deroubaix. Intitulée Garage Days Re-Visited, cette copie à l'échelle de l'originale réalisée par l'artiste contemporain français est constituée de 14 panneaux de bois gravés et encrés. Seuls quelques détails comme cette marque d'un tampon encreur « Made in China » différencient les deux œuvres.


Une visiteuse contemple les toiles de Javier et José Vilato. © CoupeFileArt

Outre Picasso, nombre de ses contemporains espagnols sont exposés aux Abattoirs. L'occasion de redécouvrir des grands noms comme Oscar Dominguez, Joan Miro, ou encore Julio Gonzalez. Mais aussi de faire la part belle aux femmes, comme Roberta Gonzalez, l'épouse de Julio dont le travail longtemps resté dans l'ombre de celui de son mari est aujourd'hui réhabilité. Le visiteur découvrira également avec plaisir les toiles de José et Javier Vilato, les neveux de Picasso.


Photographie du camp de réfugiés d'Argelès-sur-Mer. Le père de Serge Pey est visible sur le cliché. © CoupeFileArt

Enfin la visite s'achève avec l'étage supérieur dédié uniquement aux artistes contemporains. Le toulousain Serge Pey propose ainsi une oeuvre totale où sa voix murmure au visiteur des récits de la guerre d'Espagne pendant que celui-ci contemple une immense photographie du camp de réfugiés d'Argelès. Le thème de la mémoire est très présent via cette installation puisque le père de l'artiste figure sur le cliché. L'espagnole Nuria Güell joue quant à elle avec les codes de la célébrité en se rendant au Yémen interroger la popularité de Picasso dans cette région du monde à la culture et aux codes évidemment très différents des nôtres. Dans Résureccion, l'artiste s'est également filmée entrain de mettre en fosse des objets appartenant à la Fondation Franco qu'elle s'est procurée au moyen d'une fraude à la carte bleue. Une manière de dénoncer la pérennité de cette institution visant à promouvoir l'interprétation positive du dictateur espagnol.

Pari réussi donc pour le musée des Abattoirs qui propose avec cette exposition un regard nouveau sur la trajectoire de Pablo Picasso, pour qui la petite histoire a rencontré la grande. Ici l'exil rassemble tous les artistes. Qu'ils soient du siècle passé ou contemporains, leur travail semble en tout cas plus que jamais d'actualité.


Antoine Bouchet

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Du 15 mars au 25 août 2019

Musée des Abattoirs de Toulouse

Horaires: de 12h à 18h du mercredi au dimanche

Tarifs d'entrée à l'exposition: 8€ en plein tarif, 5 € en tarif réduit

Gratuit pour les -de 12 ans

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