top of page

[Référence] Le Louvre dans le Rap


Quand on s’intéresse à l’Histoire de l’Art, il arrive de remarquer que certains médiums, comme le cinéma, la musique ou le jeu vidéo, puisent souvent dans les arts classiques.


Dans ce premier épisode de notre série [Référence], nous nous intéressons au Louvre et à ce qu’il représente, autant textuellement que visuellement, dans la culture rap. Il est fréquemment cité aussi bien dans des titres de morceaux, dans des paroles, des clips ou encore comme cover d’album. Contrairement à ce que nous pourrions penser de prime abord, lorsque les rappeurs et les rappeuses utilisent le Louvre, ils le font dans des buts différents.

Salle Daru / ©NicolasBousser

I. Mettre le Louvre sur la carte, le Louvre incontournable des rappeurs-touristes

Les rappeurs étrangers associent souvent le Louvre et Paris. Le musée est alors simplement cité comme marqueur dans l’espace, plutôt que pour apporter une référence muséale ou artistique. Il peut également servir à introduire la Joconde. Nous pouvons le voir dans des textes de nombreux rappeurs et rappeuses comme par exemple Azealia Banks dans 1991, Pell dans Got it like that ou encore Kanye West dans le remix de Diamonds de Rihanna pour les anglophones. Mais aussi le rappeur coréen Layone dans Yay ou les Polonais Małach & Rufuz dans One Night in Paris.


Vue du Hall Napoléon, sous la Pyramide.

Dans ce genre, nous pouvons aussi trouver des références plus complexes. Un exemple avec Lupe Fiasco dans le titre Schemes. Le rappeur a construit le morceau comme une histoire qu’il raconterait à ses neveux. Le Louvre est ici utilisé comme monument de Paris pour une scène de course-poursuite. Mais nous nous intéressons surtout à l’utilisation de la pyramide. Elle est d’abord citée comme rappel avec le refrain qui fait référence à l’Égypte Antique et la Vallée des Rois. Plus étonnant, la référence ne s’arrête pas à la simple citation, le rappeur semble connaître l’architecture de la célèbre entrée du Louvre d’Ieoh Ming Pei puisqu’il dit : « Drive right through the glass pyramid with dope moves // A little shook from the landing. ». En parlant d’un atterrissage, il souligne ici la hauteur de laquelle il va tomber en passant à travers la pyramide. Celle-ci se trouve au dessus du Hall Napoléon, construit en même temps, servant d’entrée principale au Louvre et à travers lequel il va chuter. C’est désormais le symbole du musée, elle a été construite entre 1985 et 1989.


Souvent, dans des textes de rappeurs non-francophones, le musée est cité comme un lieu pour un rendez-vous amoureux, ce qui n’est pas vraiment étonnant en prenant en compte le fait que Paris est considérée comme LA destination romantique. Cette idée est par exemple visible chez trois rappeurs russes dans les titres La Défense de Flesh & Lizer : « Je me perds dans le Louvre, personne me retrouvera // J’embrasse tes lèvres, j’ai pas honte des gens autour » (où nous avons également une référence à la taille du Musée connu pour être l’un des plus grands du monde) et Делай как надо (Delai kak nado) de Jacques Anthony : « La meuf m’écrit « miaou-miaou » // pour elle j’fais une visite au Louvre ».


II. Le Rappeur Artiste


Les rappeurs et rappeuses peuvent utiliser cette notion pour souligner leur statut d’artiste mais aussi pour faire de leurs textes des œuvres d’art qui égalent ou égaleront dans le futur celles du musée.

Pour plusieurs rappeurs, le Louvre est donc vu comme un aboutissement. Ils voient leurs textes comme des œuvres qui finiront affichées au musée comme celles des grands maîtres : Damso dans N J respect R : « J'suis dans le mood de finir au Louvre // Parce que quand je l'ouvre, j'peins avec les mots » ou Kaaris dans Chargé : «mon art va se bicrave au Louvre ».

Même principe dans le son Louvre de Yes Mccan, rappeur québécois. Comme nous l’avons vu chez Damso, la rime avec ‘l’ouvre’ est également dans le titre de Yes Mccan mais aussi dans Réel de Cheu-B : « Bat les couilles du Louvre, nous c'qu'il nous faut c'est des lo' ».


Fondations de l'ancien Château du Louvre

Les rappeurs francophones utilisent donc le Louvre pour parler d’art et d’artistes, pourtant ce dernier n’a pas toujours été un musée. Il fut initialement une forteresse construite par le roi Philippe-Auguste dans le but de protéger Paris, qu'il voulait comme lieu central du pouvoir. À l’époque, le château-fort se trouve juste en dehors de l’enceinte de la ville à l’Ouest (les fondations encore visibles dans le musée se trouvent sous une partie de la Cour Carrée, voir ci-contre). La forteresse doit défendre la ville en cas d’attaque anglaise depuis la Normandie. Plus tard, le Louvre devient sous Charles V une résidence royale importante. C'est à cette partie de l’histoire du Palais que font référence la MZ dans le morceau #BBB : « J'veux être le prince de la ville // Avoir le château du Louvre comme nouveau domicile ».

Ce n’est que sous le règne de Louis XIV que le Louvre devient un endroit privilégié pour les artistes. Le roi délaisse en effet le palais parisien pour faire construire Versailles même s'il reste une résidence royale. Les artistes, dont certains se sont installés dans le palais laissé à l’abandon après le départ de la Cour, viennent afin de copier ou s’exercer en reproduisant certaines œuvres de grands maîtres des collections royales. Celles-ci formeront à la Révolution, et suite au projet de musée du comte d’Angiviller, le fond de départ du musée qui n’a plus bougé depuis. Les collections se sont enrichies au fur et à mesure faisant du Louvre l’un des plus grands musées au monde avec des centaines de milliers d’objets, sculptures ou encore peintures dans ses réserves.


Nous avons jusqu’ici vu le Louvre avec des références positives mais il est parfois controversé. Ali dans son morceau Piège de cristal fait à la fois une référence à la taille du musée, mais peut-être aussi aux différentes critiques auxquelles le Louvre a dû faire face, comme plusieurs musées français, pour des œuvres obtenues il y a plusieurs siècles lors des guerres à l’étranger et qui avaient été ramenées comme trophées sans être jamais rendues : « Mets la peine de mon peuple sur des toiles //Pour l'exposer, il faudrait plus spacieux que le Louvre ».

Louvre est aussi le nom d’un titre d’Alpha Wann. Le rappeur du label Don Dada ne se sert pas vraiment du Louvre comme les autres. Sans avoir à entrer dans l’interprétation, ses paroles dénoncent une forme de ségrégation culturelle et les privilèges de certaines communautés et classes sociales dans le monde culturel et muséal : « Mes n***** iront au musée quand ils vivront près du Louvre ».


Il n’y a pas que les francophones qui utilisent le Louvre pour parler d’art. En Grèce par exemple on retrouve cette idée dans le son Bingo de Tse : « Je fais de l'art pour le Louvre » et dans Μπάρες Γεμάτες Χρυσό de Raf : « Je peignais des soleils dans le noir // Graffiti, tags // J'ai l'impression d'être vendu à l'intérieur du Louvre // J'écris pas un rap, je le construis, mec. ». En Allemagne, dans cette même veine du rappeur artiste il faut citer Neunfünf qui, lui, se voit comme un peintre raté ayant rêvé d'exposer au Louvre dans son titre éponyme.

Plus surprenant, la référence du rappeur Big Boi, l’un des deux membres du duo américain OutKast, qui dans son titre Objectum Sexuality se pose en œuvre d’art dans un interlude en français dans le texte. « Les françaises ont peint le portrait de celui qu'on appelle au États-Unis: le mec au portefeuille rempli, et nous réclamons qu'il soit mis à sa place, au Louvre. ».


Toutes les formes de citations que nous avons vues dans cette partie sont une forme d’égotrip (terme venant de l’anglais et désignant dans le rap, mais pas seulement, une démarche qui tend à flatter son égo souvent en utilisant des figures de style comme des hyperboles), mais il peut prendre d’autres formes :

Étant donné l’importance du Louvre et sa notoriété, il n’est pas étonnant de voir des artistes se l’approprier ou se comparer à lui pour se mettre en avant.

Le rappeur chinois Masiwei par exemple, du groupe Higher Brothers, dans son titre Don’t be afraid utilise le Louvre pour développer son égotrip. Il compare sa puissance et son album au Louvre dominant Paris.

Jay-Z se le réapproprie aussi dans le titre Picasso Baby, où il cite de nombreuses œuvres d’art et compare sa propre maison au Louvre et à la Tate Modern. Le rappeur allemand Marteria fait la même comparaison dans son morceau OMG !, mais pour lui ce n’est pas la collection qui rapproche sa maison du Louvre mais son architecture.

Tyga dans 500 degrees, utilise le Louvre pour montrer sa puissance. Il viendrait y acheter des œuvres et des objets comme dans une simple galerie.

Apollon poursuivant Daphné, extrait du clip Louvre d'Alpha Wann, statue de Nicolas Coustou (1658-1733) réalisée vers 1713-1714.

Dans un featuring avec Kanye West, Vic Mensa compare sa façon de se présenter chez lui dans son quartier au style qu’il aurait au Louvre. Le Musée fait ici figure lieu de réussite, il est utilisé pour montrer l’ascension sociale du rappeur tout en soulignant le fait qu’il ne changera jamais sa façon d’être.



III. Le Louvre visuel


Certains utilisent le Louvre textuellement comme nous l'avons vu mais d’autres l’ont cité visuellement. Le titre Louvre d’Alpha Wann que nous avons déjà vu doit aussi être évoquer ici. Même si une majorité du clip est tourné en extérieur et sans lien avec le musée, une image presque subliminale se glisse dans le montage du clip. Il s’agit d’une photo prise dans la cour Marly (ci-contre) figurant Apollon poursuivant Daphné, par le sculpteur français Nicolas Coustou. Nous retrouvons aussi ce genre de plans furtifs au début du clip du titre Braille d’Ab-Soul et Bas.



Le Louvre n’a pas souvent été présent sur des covers d’album. L’un des rares exemples reste l’album ‘Everything is Love’ de The Carters que nous avons déjà évoqué. Leur pochette est une photo prise dans la Salle des États devant la Joconde.


La salle des états, aujourd'hui - extrait de Apeshit.
La Salle des états, sous le règne de Napoléon III - Gravure sur bois, Anonyme, Musée Carnavalet, Paris.

Anciennement placée dans la Grande Galerie, la Joconde se trouve depuis 2005 dans la Salle des Etats, aménagée à l’origine sous le Second Empire pour accueillir des séances législatives exceptionnelles.

Cover d'Everything is Love - The Carters

Sur la cover, les créateurs du visuel n’ont pas cherché à cacher l’aspect muséal de l’environnement. En effet, les barrières de protections en bois permettant de gérer l’affluence sont toujours apparentes.

La jeune femme en train de coiffer les cheveux de l’homme devant elle, dont seules les épaules dépassent du cadre, peut représenter une scène de vie quotidienne comme si cet endroit était le lieu de vie des deux personnages, comparables au couple d’interprètes.

Plus intéressant, la Joconde n’est pas mise en avant, elle est discernable à l’arrière plan mais le focus de la photo est sur le couple. Cela peut rentrer dans la logique égotrip que nous avons déjà évoquée. Cette cover n’était pas le seul visuel des deux artistes dans le musée pour cet album.


Le clip de la chanson Apeshit a en effet été tourné à l’intérieur du Musée. Nous pouvons y reconnaître plusieurs lieux importants comme la Pyramide et l’Escalier Daru, avec à son sommet la Victoire de Samothrace (construits sous le règne de Napoléon III comme les cinq autres grands escaliers du Louvre : Mollien, Colbert, Ministre, Lefuel et Flore) mais aussi la Grande Galerie.

Escalier Daru
Escalier Daru – extrait d’Apeshit

Nous avons vu une partie de l’histoire du Louvre plus haut mais nous n’avons pas abordé ses évolutions. Le château a connu des changements successifs sous les règnes des rois de France. L’un des projets les plus ambitieux étant certainement la construction de la Grande Galerie, abritant aujourd’hui les collections de peintures italiennes notamment, mise en place par Henri IV dans son Grand Dessein, elle réunissait le Louvre et le Château des Tuileries (détruit après la Commune de Paris en 1871).

Un aspect intéressant est que l’image du musée pour des auditeurs de rap américains est désormais associée au couple d’interprètes. Nous retrouvons même le Louvre cité comme référence non pas à lui-même mais à Jay-Z : « You only can afford what you could buy five of //You a fool in a war with the faint of hearts // I'll let the tool encore, take your brain apart //I'm at the Louvre on the floor by the hanging art ». Dans ce passage de la chanson Fubu de Royce Da 5’9’’, il y a d’abord deux références à des textes de Jay-Z puis une référence au Louvre qui vient terminer l’hommage.


Salle Daru, espace repensé pour le clip de Smile Mona Lisa

Avant The Carters, Will.i.am s’était lui aussi payé le luxe de tourner le clip de son titre Smile Mona Lisa dans le musée parisien. Contrairement au couple qui a utilisé l’espace des salles du musées comme scène pour leurs danseurs, ici l’artiste utilise les toiles du Musée pour parler de Mona Lisa interprétée par la chanteuse Nicole Scherzinger. La seule évocation d’espace est celle-ci:

Un mélange de deux espaces du Musée rendant plus simple l’utilisation des espaces dans la mise en scène. Dans cette construction imaginaire la Joconde et tout le mur central de la Salle des Etats sont positionnés au bout de la Salle Daru (salle 700), ce qui permet au réalisateur de faire se tourner les tableaux dans une direction comme s'ils pouvaient contempler l’œuvre de De Vinci directement. Dans l’histoire du palais, les salles Daru et Mollien sont assez tardives. Elles ont été réalisées comme l’escalier éponyme sous le règne de Napoléon III. Les deux salles presque jumelles, sont séparées par le Salon Denon (salle 701). Leurs décors, semblables, ont été réalisés par Alexandre Dominique Denuelle pour le musée impérial en 1863.


Le triomphe de la Chasteté - Piero della Francesca
Extrait du clip Smile Mona Lisa

Il s'y trouve les grands et très grands formats de la peinture française entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle. La salle Daru, visible dans le clip, est dédiée aux artistes néo-classiques alors que la salle Mollien est elle plutôt dédiée aux grandes peintures romantiques avec par exemple Le Radeau de la Méduse de Géricault ou encore La liberté guidant le peuple et La Mort de Sardanapale de Delacroix.

Le clip est composé de nombreuses incrustations de visages dans des œuvres. Cette démarche artistique de faire se mouvoir les images en les incarnant, est assez innovante. Cependant le choix des œuvres pourrait surprendre les connaisseurs du musée avec certaines œuvres représentées ne se trouvant pas dans les collections comme Le Triomphe de la Chasteté (ci-dessus) qui se trouve aux Musée des Offices de Florence ou encore le célèbre St Jérôme de Caravage (ci-dessous) qui se trouve à Rome. Les visuels sont les créations de Pasha Shapiro, un designer américain.


Extrait du clip Smile Mona Lisa
Saint Jérôme - Caravage

Dans le cadre de cette collaboration avec le Musée, Will.i.am avait discuté d’art décoratif avec l’un des conservateurs du département du Louvre, Frédéric Dassas, lien de l’entretien : https://www.dailymotion.com/video/x43mrro .



Le Louvre a donc plusieurs images. Il est à la fois figure de réussite et représentation des classes hautes de la société. Pour les non-francophones, il représente surtout la ville de Paris mais sert également souvent à introduire le figure de Mona Lisa.

Malgré cela, nous prenons conscience de l’importance de la notoriété du musée. En tant que francophones, nous pouvons avoir parfois du mal à nous rendre compte de cet état de fait étant donné l’importance qu’il a en France. Ici, nous avons évoqué des rappeurs des quatre coins du monde qui l’utilisent. C’est une référence quasi-universelle mais qui n’est pour autant pas lisse puisqu’elle peut évoquer des idées extrêmement différentes selon leur contexte.

Le rap notamment américain a de plus en plus tendance à vouloir s’emparer d’un répertoire artistique plus classique comme nous l’avons vu avec The Carters et Will.i.am mais aussi Kanye West qui dans une interview donnée au New York Times expliquait que lorsqu’il avait travaillé sur un de ses albums à Paris, il avait visité le Louvre plusieurs fois. Cette engouement progressif intéresse beaucoup les institutions, comme le Louvre, qui cherchent à se donner des images plus jeunes ou moins élitistes. Elles donnent de plus de plus de place à ces artistes, les intégrants dans leurs programmes de communication . À l’inverse le Louvre souffre encore parfois de cette image élitiste. On le ressent surtout dans le rap francophone comme dans Louvre d’Alpha-Wann ou dans Réel de Cheu-B.


Playlist spotify avec les titres cités :

Certains morceaux n’apportant pas aux propos et donc n’étant pas cités dans l'article se trouvent seulement sur la playlist.


Arno Le Monnyer

(remerciements à Anton, Lucien et Victor pour certaines traductions).

Comments


Post: Blog2_Post
  • Instagram
  • Facebook
  • Twitter

©2018-2024 Coupe-File Art

bottom of page