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Rencontre avec Anna Sailer, nouvelle directrice inspirée du musée Tomi Ungerer


En mars dernier, l’Allemande Anna Sailer a passé le Rhin et est devenue la nouvelle directrice du Centre International de l’Illustration de Strasbourg, aussi connu sous le nom de musée Tomi Ungerer. Passée par la philosophie et l’édition, l’ancienne directrice adjointe du Museum für Moderne Kunst (MMK) de Francfort a plus d’une corde a son arc. Ce profil atypique dans le paysage muséal français nous a donné envie de savoir quelles voies Anna Sailer envisage d’emprunter à la tête du musée strasbourgeois. Faisons avec elle un point sur ce que ces premiers mois d’exercice lui ont inspiré.


Anna Sailer au musée Ungerer. Crédit: Jean-François Badias,

Ce n’est pas sur une page blanche qu’Anna Sailer doit imaginer le futur du centre. Elle nous accueille d’ailleurs d’abord dans la dernière exposition du musée, léguée comme un "cadeau d'arrivée" selon ses propres mots. Consacré à l’illustratrice Catherine Meurisse, ce parcours temporaire explore l'univers de l'artiste, ou plutôt ses univers, tant son oeuvre témoigne de la diversité de ses centres d'intérêt. Passée par les lettres modernes, Meurisse a le goût du beau mot. Elle fait souvent des clin-d'œils malicieux aux Classiques et n'hésite pas à elle-même prendre la plume.

Catherine Meurisse, Moderne Olympia, ed. Futuropolis, 2020. Extrait.

Pleine d'esprit, son style et sa verve sont largement influencés par la quinzaine d'années qu'elle a passé à Charlie Hebdo, comme dessinatrice. Mais loin de se cantonner à la caricature de presse, elle est autrice de bande-dessinée. Faire une exposition sur Catherine Meurisse, c'est aussi se donner la possibilité d'explorer l'histoire de l'art tant celle-ci nourrit son oeuvre, entre citation, parodie et émulation d'un style. L'exposition fait la part belle aux rapprochements visuels jouissifs, par exemple dans l'illustration des Fables de la Fontaine.


Dans l'exposition, "Le rat des ville et le rat des champs" version Catherine Meurisse (2021-2022) dialogue avec la version de Gustave Doré (1868).

Affiche de l'exposition "Catherine Meurisse. Une place à soi" Crédits: Musées de la Ville de Strasbourg.

À venir explorer jusqu'au 8 octobre 2023, le travail de Catherine Meurisse épouse à merveille une des missions principales que s’est fixées musée:

« C’est intéressant pour nous en tant qu’institution de penser en dehors des cases. Ungerer a fait des sculptures, des collages, des dessins libres, des illustrations de presse, des caricatures, des dessins satiriques et politiques. Il travaille sans se soucier des catégories et c’est un esprit que j’aimerais perpétuer, constituer un pont entre les arts.»

Il s’agit de mettre en lumière des artistes, qui à l’instar de Tomi Ungerer, s’autorisent des excursions constantes dans les différentes techniques et médiums et qui ne se laissent pas enfermer dans la notion d’art secondaire. Créé en 2007, le centre a toujours eu pour vocation de faire bouger les lignes, de donner à l’illustration une vitrine, un lieu de réflexion sur sa singularité, par rapport aux Beaux-Arts mais aussi par rapport à la bande-dessinée. Sa collection souche est constituée des diverses donations effectuées par Tomi Ungerer entre 1975 et son décès, en 2019. À ce jour, la collection est constituée de 14000 dessins originaux et estampes de Ungerer, ainsi que d'un nombre croissant d'œuvres d'illustrateurs internationaux. Ce fonds s'accompagne également de la large collection de jouets de l'auteur.


Autre point d’encrage de la réflexion d’Anna Sailer : faire du centre un lieu d'expériences et de rencontres:

« La grande différence entre l’album et l’exposition, c’est qu’il y a dans le rapport au premier quelque chose d’intime. Une exposition en salle c’est toujours une expérience partagée avec les autres, qui passe par le corps. Pour moi, il est très important d’y faire attention. Une exposition c’est intelligible mais aussi sensible. »

Fourmillant d’idée, Anna Seiler se questionne beaucoup sur les projets à mener pour rendre le centre toujours plus vivant et accueillant. Elle choisit par exemple de transformer les salles d’introduction à l’entrée en un large espace dédié à l’accueil de manifestations. Mais parfois, les changements sont plus compliqués. Composée en grande majorités d’arts graphiques, les collections ne peuvent être éclairées à plus de 50 lux. En découle le choix de laisser l’intégralité des murs blancs, dans un souci de luminosité. Mais l’expérience de visite peut parfois sembler ternie par l’effet white cube. Pour y remédier, la conservatrice a choisi dès la prochaine exposition de distiller des couleurs légères sur les murs des étages inférieurs. Une affaire à suivre donc.


Vue de l'exposition "Catherine Meurisse. Une place à soi". Image personnelle.

Concernant la mise en valeur des collections, Anna Sailer a également envie de changements. Partisane de l’archive «vivante», elle souhaite montrer aux visiteurs la vie du musée, parfois difficile à appréhender, et montrer l'envers du décor. Valoriser le processus souvent caché derrière le résultat, sensibiliser à l’univers scientifique qui veille à la conservation des collections : autant de sujets auxquels elle consacre sa pensée. Mais attention à l’effet "leçon de choses". La conservatrice est critique face à un musée qui «explique». À son avis, «il faut être modeste, un musée ne peut pas changer le monde. Mais il peut créer une autre façon, plus libre, de parler». Exit donc le discours dogmatique qui assènerait au visiteur un récit tantôt encyclopédique, tantôt hagiographique. La nouvelle conservatrice veut trouver des chemins, de travers s’il le faut, pour toucher les visiteurs et créer des connections entre leurs préoccupations et les œuvres. Sur ce point, Anna Sailer est définitivement au diapason avec Ungerer, qui en son temps faisait scandale en s’insurgeant contre la pédagogie qu’il malmenait dans ses livres pour enfants. Anna Sailer prend la relève et va par exemple disséminer dans le musée des feuillets que les enfants pourront collecter, sur lesquels seront revisitées les pages du Ni oui ni non d’Ungerer, format à l’origine paru dans Philosophie Magazine.

Tomi Ungerer, Ni oui ni non, Réponses à 100 questions philosophiques d’enfants, ed. École des Loisirs, 2018. Extrait.

Tomi Ungerer, Closer to thee my god, 1981 – 1982, Musée Tomi Ungerer – Centre International de l’Illustration.

Qu’il s’agisse d’une conviction de longue date ou de la pensée de Ungerer qui continue de planer sur son musée, il semblerait que les maitres-mots de l’ère Sailer au musée Ungerer soient pour l’instant la souplesse et l’audace. Le but est simple : refléter notre monde en mouvement, pour que le visiteur trouve dans ce musée une caisse de résonance des questionnements qui l’animent. Ainsi, elle prévoit de réinventer régulièrement le parcours autour de thématiques explorées par Ungerer et qui continuent de nous toucher. Prochain thème en date : la nature, toujours en tension dans l’œuvre de Ungerer, entre le tendre dessin d’observation et la critique du désastre écologique. Cela permettra de «nourrir la programmation de sujets qui relient l’art au monde qui vient ».


Le monde muséal strasbourgeois semble l’endroit rêvé pour développer de telles idées. Organisé en régie direct, le réseau des musées de la ville présente un visage singulier qui se prête particulièrement bien à ce type d’expérimentation. Chacun des onze musées bénéficie d’un conservateur responsable mais certains départements sont transversaux, centralisés, gérés à l'échelle de direction générale des musées. Cette formule encourage le dialogue et facilite les prêts entre les structures. Anna Sailer entend bien mettre à profit cette spécificité, notamment en invitant les artistes exposés à aller puiser dans les collections du réseau.


À la traditionnelle question Coupe-File Art : quelle est votre œuvre ou artiste favori, elle nous avoue qu'elle pense d'abord à ceux avec qui elle est en train de travailler tant la collaboration est profonde. En ce moment, c'est donc tout naturellement vers Anna Haifisch que se porte son coeur puisque c'est elle qui fera l’objet de la prochaine exposition du musée, à venir découvrir du 20 octobre 2023 jusqu’au 7 avril 2024. Nous attendons donc avec impatience de découvrir les premiers fruits de la synergie Sailer-Ungerer.

Anna Haifisch, The Artist, ed. Misma, 2016. Extrait.




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