Né en 1970, Garth Bowden a grandi à Londres. Il étudie la sculpture et les Beaux-Arts au Camberwell Art College et à la Chelsea School of Fine Art. Coupe-File le rencontre sur les lieux de sa dernière exposition, Fallen Icons, et vous emmène à la découverte de son œuvre déroutante.
"Hybridation" est le mot qui revient le plus souvent lorsque Garth Bowden parle de ses créations. Malgré l'éclectisme de son œuvre, toutes ses pièces présentent des remous violents, comme des greffes en train d'aboutir. Les tableaux de Picasso fusionnent avec Mickey, et le résultat, non content de rappeler les recherches sur le portrait de George Condo, contient une réelle réflexion sur l'acte créatif lui même. En liant deux esthétiques iconiques qui ont coexisté sans toutefois se lier, l'artiste entend rendre tangible ses influences dans un monde qu'il ressent de plus en plus rapide. Ce qui était hier choquant semble aujourd'hui acquis, et rassembler ainsi les icônes prétendument immuables permet non seulement de comprendre mais surtout de ressentir ce que ces dernières avaient de révolutionnaire. En effet, il est fasciné par les travaux d'Hans Bellmer en cela qu'ils arrivent encore de nos jours à choquer de par leur monstruosité. Tout comme l'art africain et polynésien furent une influence pour Picasso, ce dernier est une influence pour Garth Bowden. Or cela engendre une reconsidération des rapports entre passé et présent. Dans la série The Artist's Studio, Garth Bowden utilise comme modèle des photographies de Picasso dans son atelier, qu'il peint en effectuant : "un voyage du présent au présent en passant par le passé". En effet, il réfléchit l'impact que son regard, influencé par le monde qui l'entoure, a sur le passé. Nécessairement, ses yeux le modèlent. Il explique alors que le passé varie en fonction du présent, et pas l'inverse.
Il décline ces recherches autour de l'hybridation en explorant de nombreuses techniques et de multiples styles. De la photographie à la sculpture en passant par le street painting, Garth Bowden refuse de se limiter. Sans cesse avide de nouvelles manières de percevoir le monde, il utilise les voyages et la méditation pour s'oublier et par conséquent se réinventer. C'est peu de temps après avoir quitté l'université, en 1999 que l'artiste réalise sa performance Hamster. Fasciné par les systèmes fermés, comme les zoos ou encore les parcs d'attraction, il a une idée en voyant la cage du hamster de sa compagne de l'époque. Lorsque, dans le cadre de l'exposition Epic Cure la galerie expérimentale The Dispensary, à Londres, avec d'autres artistes, il transforme une des pièces en une cage à hamster à taille humaine. Il y vit nu pendant plusieurs jours, se nourrissant exclusivement de fruits et de noix, buvant depuis un tube, dormant sur un tas de Nestex, déféquant dans un pot en forme d'animal et se lavant dans une bassine. Inspiré par l’œuvre I like America and America likes me, de Joseph Beuys, à laquelle il rend hommage, Garth Bowden est accompagné non pas d'un coyote mais d'un hamster, pour lequel il conçoit une petite habitation pavillonnaire : le rêve américain à l'échelle du rongeur. Lorsqu'il décrit la performance, l'artiste précise qu'il s'agissait d'un espace hybride qui ne prétend pas reproduire les conditions de vie exactes du hamster, mais questionne plutôt la relation qui s'établit entre l'animal et l'humain au travers de l'environnement que ce dernier impose au premier. En effet, l’œuvre ne s'arrête pas là. Les moindres mouvement de l'artiste étaient filmés et retransmis en direct sur des écrans disposés dans la partie visitable du bâtiment. Rappelant quelques peu le dispositif de la téléréalité, Garth s'impose un regard extérieur potentiel constant. Il avait emporté avec lui une collection de jouets qu'il brisait et remontait à loisir, les hybridant entre eux, faisant de cette pièce un lieu où toutes les frontières d'espèce sont estompées. Cela fait également écho au fait a son emploi de designer de jouets en freelance.
Certaines de ses œuvres questionnent quant à elles la réalité d'un objet conceptuel. C'est le cas de la série Modern Art, dont il a eu l'idée en découvrant un cartoon dans lequel le personnage de Minnie Mouse ouvre une galerie d'art. Les statues qu'elle y présente mélangent l'univers Disney et l'art moderne. Il crée alors une série de peintures qu'il accroche en 1997 aux fenêtres de la galerie de La Chelsea school of Art. Ces œuvres, des hybrides qui présentent des sculptures sous forme de découpages en deux dimensions qui, paraissant en relief de loin, rappellent la querelle du Paragone et mettent en avant l'importance du concept. Les sculptures de la bande dessinée existent en tant qu'idées et sont par conséquent réelles, à défaut d'être solides. Garth Bowden poursuit la question de l'hybridation en créant un contraste entre le sujet et sa représentation. L’œuvre a whole lot of love mêle la pornographie à l'innocence des personnages de Disney, mettant en exergue l’ambiguïté de ces derniers, qui sont souvent "à la fois innocents et corrompus, charnels et angéliques". Le choix du papier ancien et le traitement très classique de l’œuvre tranchent avec son sujet. Ce thème de l'angélisme corrompu est important pour l'artiste dès ses débuts, comme le montre l’œuvre Bear, réalisée en 1997 et présentant un ours en peluche affublé d'une muselière.
Les travaux de Garth Bowden donnent ainsi l'occasion au spectateur de ressentir l'influence de son regard sur l'univers qui l'entoure. A l'image de son œuvre Candy, réalisée en 2000 pour l'exposition Packed Lunch à la Hoxton Square School, elle invite le spectateur à comprendre comment il influence les œuvres qu'il voit. Interactive, elle vise à dépasser l'image immuable des œuvres en marbre ou en bronze qu'il est défendu de toucher pour privilégier des objets en PVC pensés pour être manipulés par les visiteurs. Son œuvre est certes imprévisible, réflexive et généreuse, mais elle est surtout profondément humaine.
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