top of page

The Power of My Hands

Depuis bientôt un an, @suitedelavisite propose deux rendez-vous par semaine : l’un sur les réinterprétations d’oeuvres d’art et l’autre sur l’actualité artistique. Pour cette collaboration avec Coupe-File Art, @suitedelavisite souhaite s’essayer à des formats d’articles plus denses autour d’enjeux contemporains. Pour ce deuxième article, nous souhaitons évoquer notre exposition coup de coeur de la réouverture des musées parisiens : The Power of My Hands. Afrique(s): artistes femmes, présentée au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.



La genèse du projet


L’exposition, conçue autour des grands défis du XXIème siècle dans le cadre de la Saison Africa2020, a été co-pensée par des professionnels africains en partenariat avec des institutions françaises. Les commissaires, Suzana Sousa et Odile Burluraux, interrogent ainsi le rôle des femmes dans les sociétés africaines à l’aune de la diffusion des connaissances, de l’histoire et des archives liées au continent africain. Ce projet permet au musée d’Art moderne d’ouvrir sa programmation d’expositions contemporaines à l’art d’un continent en perpétuelle évolution, parcouru par une énergie créatrice et émancipatrice inédite. L’exposition, The Power of My Hands. Afrique(s): artistes femmes – qui reprend le titre d’une œuvre de Keyezua présentée au sein de l’exposition – présente le travail de seize artistes africaines qui, de manière plus ou moins intime, mettent en exergue les défis de leurs existences à travers une pratique plastique. Le titre même de l’exposition souligne les possibilités infinies de ce que les mains peuvent réaliser, depuis la soumission aux tâches domestiques à la libération par le truchement de la création artistique…


Seize artistes et cinq coups de coeur


Njideka Akunyili Crosby : mêler l’Histoire


Njideka Akunyili Crosby, Predecessors, 2013 / ©Tate

Njideka Akunyili Crosby est née au Nigeria, où elle a vécu jusqu’à l’âge de seize ans. En 1999, elle déménage aux États-Unis et sort diplômée de l’académie des Arts de Pennsylvanie et de l’université de Yale, en section Art. Grâce à l’usage d’une technique mixte, alliant collage de journaux, dessin, peinture et transferts photographiques, ses compositions picturales hybrides associent les souvenirs de son pays natal avec la culture de masse américaine. À travers la représentation de scènes d’intérieur intimistes, l’artiste interroge la notion d’identité transculturelle contemporaine à l’aune de son expérience personnelle. Dans la série Predecessors, présentée dans l’exposition, elle réalise un travail sur la filiation en explorant la construction de l’espace domestique. Si le traitement similaire des tableaux donne une impression d’unicité au sein de la scène représentée, il n’en est rien. L’artiste élabore une composition imagine fondée sur un saut dans le temps et l’espace. À gauche, le panneau présente l’artiste dans son appartement à Brooklyn tandis que la composition de droite reconstitue la table du salon de sa grand- mère, dans un petit village au Nigeria. À nous, spectateur d’essayer de déceler les sens cachés de l’œuvre…



Kudzanai-Violet Hwami : entre histoire personnelle et symbolique


Kudzanai-Violet Hwami, Speaking in Tongues, 2019

Jeune artiste, Kudzanai-Violet Hwami passe son adolescence en Afrique du Sud avant de rejoindre le Royaume-Uni et d’étudier la peinture au Wimbledon College of Arts, à Londres. Inspirée par le travail de Robert Rauschenberg et l’esthétique de Jean-Michel Basquiat, Kudzanai-Violet Hwami utilise des anciennes photographies de famille des années 1970 qu’elle travaille sous la forme de collages numériques, peints sur des toiles de grand format. Au sein de sa pratique, elle multiplie les techniques, faisant appel au fusain, à la sérigraphie et au pastel, et porte un regard nouveau sur son passé et son pays d’origine. L’exposition présente deux de ses œuvres qui illustre toute l’étendue de sa pratique artistique.


Dans Newtown, elle réalise une composition picturale complexe, marquée par l’usage de la photographie et de la cartographie. Cette scène intimiste, représentant deux femmes complices, invite le spectateur à s’interroger sur les notions de déplacement, d’identité et de genre. Dans l’incroyable composition Speaking in Tongues, réalisée lors de son récent voyage au Zimbabwe, elle mêle scènes d’histoires personnelles et symboliques à des représentations de sculptures spirituelles shona, tout en dénonçant l’omniprésence des réseaux sociaux… Dix-huit panneaux à la fois énigmatique et porteur de sens.



Gabrielle Goliath : le Boum de l’exposition


Gabrielle Goliath, Roulette, 2012 / ©Gabrielle Goliath et Goodman Gallery

Et si nous devions résumer toute la puissance et la nécessité de cette exposition, elle pourrait l’être avec l’œuvre Roulette de Gabrielle Goliath.


Depuis plus d’une vingtaine d’années, Gabrille Goliath questionne les traumatismes non résolus du colonialisme et de l’apartheid, omniprésents en Afrique du Sud par le biais d’une pratique artistique pluridisciplinaire. Sa recherche intersectionnelle et anti-coloniale interroge les violences faites aux femmes présentes dans la société sud-africaine patriarcale. Choquée par la perte tragique d’une amie d’enfance à la suite d’un acte de violence domestique et, après avoir pris connaissance que statistiquement toutes les six heures une femme meurt sous les coups de son conjoint en Afrique du Sud, elle crée l’œuvre Roulette en 2012. Pensée comme une installation participative, l’œuvre invite le visiteur à se placer sur le paillasson afin de se saisir de la paire d’écouteurs suspendue et d’écouter le silence... percé à intervalles réguliers par la détonation d’une arme à feu. En 2020, Gabrielle Goliath adapte son œuvre aux statistiques les plus récentes. Une femme étant assassinée en Afrique du Sud toutes les trois heures - un coup de feu survient donc et cela durant la durée de l’exposition, à ce rythme sidérant. Si les règles sanitaires n’ont pas permises de présenter l’œuvre sous sa forme originelle et de placer le casque sur les oreilles du spectateur, l’alternative mise en place par le musée fonctionne tout aussi bien… En même temps, peut-on faire une œuvre plus percutante ?



Kapwani Kiwanga : langage textile


Kapwani Kiwanga, Praxes of a dialectical dialect, 2012 / ©Kapwani Kiwanga

Kapwani Kiwanga a marqué les esprits à l’automne dernier avec sa consécration au Prix Duchamp et ses bouquets de fleurs aux couleurs des cérémonies d’indépendances africaines cristallisant les blessures ouvertes du continent.

Dans la vidéo présentée durant l’exposition - Praxes of a dialectical dialect - l’artiste, anthropologue de formation, s’intéresse aux formes de langages déployées par des femmes qui utilisent le textile pour communiquer. Le Kangas est un des nombreux tissus africains porté principalement en Afrique de l’Est, le wax n’est effectivement pas la norme. Ces tissus ont la particularité de se composer à la fois d’un motif général et d’un proverbe. L’artiste met en scène deux femmes qui entament une discussion silencieuse, avec comme outil d’échange les textes tissés sur ces tissus qui nous sont retranscrits à l’écran. La démarche est simple, on se répond en portant un nouveau kangas et donc une nouvelle citation qui met en lumière l’état d’esprit de celle qui la porte. À l’instar du reste de son œuvre, Kipwani Kiwanga entend redéfinir les systèmes de communications, de représentations et de repenser la réalité du continent dans une démarche affranchie de toute objection.



Lebohang Kganye : souvenirs de mon enfance


Lebohang Kganye Pied piper’s Voyage, 2016 / ©AFRONOVA GALLERY

Lebohang Kganye, Ke Lafa Laka (Her-story), 2013 / ©AFRONOVA GALLERY

Lebohang Kganye est une jeune artiste sud-africaine qui se passionne dans un premier temps pour la photographie qu’elle vient nourrir par la suite par divers médiums comme la sculpture, la performance et la vidéo. Dans les œuvres présentées, l’artiste s’intéresse principalement aux souvenirs de son enfance et se rend sur les lieux qui l’ont rythmé en 2012, traumatisée par le décès de sa mère. Ainsi dans la série Ke Lafa Laka (Her-story), elle lui rend hommage en apparaissant dans les photographies de famille comme un fantôme auprès de sa mère. Elle s’inspire de son style vestimentaire et, par l’utilisation du montage numérique, s’ancre comme son doublon auprès d’elle dans un mise en scène intime et percutante. De la même manière, dans la série Pied piper’s Voyage, Lebohang Kganye, inspirée par Le Joueur de flûte de Hamelin, elle retrace l’histoire de sa famille, toujours à partir d’images d’archives familiales. Cependant, cette fois-ci, elle prend la place et la position de son grand-père afin de bousculer la hiérarchie des genres et renverser les rapports de force qu’elle sous-tend. Elle se vêtit d’un costume et met à mal la figure du patriarche par excellence.

Cette navigation au sein de ses souvenirs d’enfance lui permet de mettre en images des douleurs et vécus tout aussi personnels qu’universels en mêlant histoire intime et mémoire collective. Dans la même dynamique, elle se réapproprie sa propre histoire, libérée de l’imaginaire occidental et parle ainsi à toute une génération!


En somme, une exposition à ne surtout pas manquer, qui traite de sujets aussi passionnants que nécessaires. À voir jusqu’au 22 août au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.


Sarah Nasla, Laure Martin


 

The Power of My Hands

Afrique(s) : artistes femmes

Du 19 mai au 22 août 2021 au musée d'Art Moderne de la ville de Paris


Tarifs :

Plein tarif: 7€

Tarif réduit : 5€

Gratuit : -18 ans

La réservation en ligne est obligatoire

Comments


Post: Blog2_Post
bottom of page