Ce 1er juillet, le musée de Cluny rouvre ses portes, prolongeant par la même occasion la présentation temporaire « Regards sur la vie quotidienne » jusqu’au 28 septembre. Intégralement conçue à l’aide des riches collections du musée, cette présentation se veut pédagogique, levant quelque peu le voile de clichés tendu au-dessus du « noir » Moyen Âge, et constitue un complément à la présentation Trésors s’intéressant, elle, essentiellement aux arts somptuaires et productions de grand prestige. Comment les hommes et les femmes vivaient-ils durant la période médiévale ? Voilà un sujet passionnant, pertinemment développé par la mise en lumière de très beaux et rares objets sortis des réserves, principalement datés des XIV et XVe siècles.
Un Moyen Âge en mouvement
L’une des principales caractéristiques du mobilier médiéval est sa transportabilité. Les classes les plus élevées sont mobiles et la cour royale peut par exemple avoir recours à l’itinérance. L’un des objets centraux du mobilier des élites comme des classes les plus modestes est le coffre. Il permet le rangement de toutes sortes de biens, notamment de linge et peut aisément être déplacé.
Contrairement à une idée reçue, la maisonnée médiévale n’est pas en désordre et les sols sont entretenus. Pour preuve, la maison bourgeoise idéale est, selon Le Menagier de Paris rédigé à la fin du XIVe siècle, celle dans laquelle «rien ne traînait par terre». La présentation donne à voir un très bel ensemble de carreaux de pavement en terre cuite glaçurée de la deuxième moitié du XVe siècle mais aussi, et c’est assez exceptionnel, un fragment de pavage du XIIIe siècle provenant de la salle capitulaire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Même si ce dernier est issu d’un site à fonction religieuse, il permet de saisir l’effet que produisait un sol recouvert de ces carreaux, présents dès l'époque romane, dans les intérieurs médiévaux.
Le coffre prend généralement place dans la chambre à coucher, laquelle s’organise autour du lit. L’imposante table sur laquelle nous nous restaurons aujourd’hui n’existe, quant à elle, pas en tant que telle. Elle consiste en de simples tréteaux sur lesquels est posé un plateau. La vaisselle constitue un ensemble de pièces d’apparat orfévrées chez les classes aisées et dans les milieux princiers. Les classes inférieures utilisent des pièces plus communes en bois, bien souvent en céramique, plus rarement en verre, mais aussi en fer pour les ustensiles de cuisson ou encore en laiton. L’étain, quant à lui, apparaît sur la table dans la deuxième moitié du XVe siècle. Est, entre autres, présentée une intéressante tasse polylobée en terre cuite de la fin du XIIIe siècle. En revanche, il faut noter que l’on ignore encore l’usage de la fourchette, qui n’apparaît qu’au XVIe siècle.
Le mobilier n’est pas simplement utilitaire et dénué de décor. Au-delà des meubles courants, on retrouve généralement un dressoir au sein de la maison bourgeoise, meuble d’apparat reprenant les formes architecturées du temps. On y présente des objets de prestige, comme des plats en émaux dits vénitiens, dont la production se développe en Italie dans les années 1480, et des faïences hispano-mauresques en lustre, importées dès la fin du XIVe siècle. On recense également de petites tables d’appoint, pouvant elles-aussi être ornées de décors architecturés, de formes gothiques.
Résonance avec notre époque
En se penchant sur la foule d’objets présentée, il est aisé de voir émerger les parallèles avec notre époque. Nos besoins primaires n’ont guère changé et sont intemporels. Les équipes du musée ont cherché à souligner ce constat.
Dans la vitrine consacrée à l’hygiène et au soin du corps, quatre cure-oreilles sont exposés. Réalisés en os ou en ivoire pour les plus luxueux et ornés de motifs sculptés, ces objets de soin sont véritablement les ancêtres de nos cotons-tiges. Ils tordent par la même occasion le cou à l’idée selon laquelle le soin du corps et la propreté sont absents au Moyen Âge. De même, on trouve dans cette vitrine diverses céramiques à reflets métalliques ayant alors pour principale fonction la conservation de substances cosmétiques ou médicinales mais aussi un très beau peigne orné de scènes religieuses.
Puis, l’on découvre, dans la vitrine consacrée aux jeux et jouets, une dînette du XIVe siècle. Composé d'une dizaine d'éléments de vaisselle miniatures, cet ensemble en plomb a été retrouvé au XIXe siècle par Arthur Forgeais au niveau de l’île de la Cité et voisine ici une petite effigie de cavalier, également en plomb. Ces pièces sont d’un intérêt capital car elles démontrent la considération portée aux enfants durant la période médiévale, supplantant l’idée d’une enfance négligée et méprisée. Cette dînette est loin d’être un cas isolé. Des jouets ont pu être retrouvés d’un bout à l’autre de l’Europe. La découverte de ces différents objets révèle véritablement un phénomène de masse. Le musée Carnavalet (toujours en rénovation à l’heure actuelle) conserve par exemple des oiseaux-sifflets et d’autres dînettes. Nous renvoyons nos lecteurs à un ouvrage publié par Pierre Riché & Danièle Alexandre-Bidon, L’Enfance au Moyen Âge (Ed. Le Seuil - 1996).
Parallèlement à ces jeux d’enfants, quelques cartes à jouer sont exposées dont une très belle datée de la seconde moitié du XVe siècle.
Objets luxueux et nouvelle acquisition
La présentation induit tout de même des objets de grand luxe. Ils concernent principalement le spirituel. A la fin du XIVe siècle apparaît un nouveau type de dévotion, plus ancrée dans le privé, la devotio moderna. Apparue au Pays-Bas, elle induit une abondante production de nouveaux supports pour une piété plus personnelle. Cadre domestique et vie spirituelle se combinent peu à peu. Fleurissent toutes sortes de diptyques et triptyques portatifs, effigies de la Vierge ou du Christ de dimensions réduites, reflets d’un fort développement de la piété mariale au début du XVe siècle. La présentation présente un large panel de ce type d’objets, certains très luxueux. Nous n’en citerons que deux. Le premier incarne une typologie de réalisations quelque peu surprenante et finalement assez rare (seuls quelques dizaines d’exemplaires recensés), ici en corrélation avec l’expansion du culte rendu à la Vierge.
Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant ouvrante réalisée en Prusse Orientale vers 1400. Composé de bois polychromé, peint à l’extérieur comme à l’intérieur, cet objet est un chef-d’oeuvre, peut-être commandé par l’ordre des chevaliers Teutoniques. Elle présente, une fois « ouverte », la Trinité sous la forme de Dieu le père soutenant le corps du Christ en son centre et des donateurs, sans doute les commanditaires de l’objet, sur ses volets latéraux. De manière générale, les Vierges ouvrantes sont toujours réalisées en bois ou en ivoire. On peut en tirer plusieurs types : les Vierges-reliquaires (accueillant des reliques), les Vierges-tabernacles (ayant au centre de la poitrine une cavité vitrée servant de sacraire) et les Vierges triptyques (pour n’en citer que trois). C’est précisément cette dernière typologie qui nous intéresse ici. Fendues verticalement, les Vierges-triptyques s’ouvrent donc comme des triptyques et dévoilent en leur sein diverses merveilles de sculpture et/ou de peinture. Elles induisent soit des scènes de la Passion soit, et c’est le cas ici, des images de la Trinité.
Le deuxième objet est une effigie en bois polychromé du Christ enfant produite à Malines au début du XVIe siècle. Acquise par voie de préemption par le musée de Cluny le 18 décembre 2019, dans une vente Haute Époque et Curiosités organisée par la maison Pierre Bergé & Associés (Drouot), la sculpture est pour la première fois exposée dans les salles du musée et nous nous en réjouissons. Esquissant de sa main droite le geste de bénédiction, l’Enfant Jésus tient dans sa main gauche le globe, renvoyant à sa nature divine de Sauveur du Monde. Très fréquentes aux alentours de 1500, ces représentations réduites en ronde-bosse de l’Enfant Jésus en Salvator Mundi incarnent à merveille la notion de devotio moderna.
Elles constituent un support parfaitement adapté à la prière dans un cadre intime. L’exemplaire du musée de Cluny est d’autant plus précieux qu’il s’insère dans une production d’une douzaine d’exemplaires seulement d’Enfant Jésus bénissant exécutés à Malines dans les premières années du XVIe siècle. Comme le rappelait La Tribune de l’Art en décembre 2019, les collections françaises n’en possédaient aucun jusqu’à l’acquisition en 2009 d’une version en tout point similaire à celle-ci par le Musée du Louvre (ci-contre).
Cet article n’aura évoqué que quelques objets et concepts d’importance sans traiter l’intégralité des thèmes abordés dans l’exposition. Cette très belle présentation aborde en effet également l’art de l’écriture mais aussi de la lecture, l’éducation des plus jeunes, les configurations de l’économie médiévale et les divers systèmes de mesures. Autant de sujets développés et expliqués par la monstration de très beaux objets, bien souvent à grande valeur historique mais aussi artistique. C’est une passionnante et très réussie plongée dans la vie quotidienne au Moyen Âge que nous propose le musée de Cluny, que nous serons ravis de retrouver ce 1er juillet.
Le 28 septembre au soir, l’institution parisienne fermera de nouveau ses portes pour une durée d’un an afin de réaliser la dernière phase de travaux de rénovation entrepris en 2016, raison de plus pour s’y rendre sans plus tarder.
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