25 novembre 2019. Il est presque cinq heures du matin lorsque les pompiers de la ville de Dresde sont avertis d’un incendie dans un quartier du centre-ville. Arrivés sur place, les secours constatent la destruction d’un transformateur, privant d’électricité l’ensemble des bâtiments adjacents. Quelques minutes plus tard, c’est au tour de la police d’être alertée par le déclenchement des alarmes de la Grünes Gewölbe (la « Voûte Verte », tirant son nom de la couleur de certains plafonds de sa galerie), l’un des musées les plus prestigieux de la capitale saxonne, abrité dans l’ancien château des princes-électeurs. Les forces de l’ordre ne peuvent alors que découvrir avec stupeur l’ampleur des dégâts : plusieurs vitrines contenant les trésors des souverains de Saxe ont été fracturées et leur contenu dérobé. L’émotion est vive lorsque se répand la nouvelle qui fait le tour du monde. La collection, constituée à partir de 1723 par August II « le Fort », également roi de Pologne et son successeur August III, faisait partie des plus anciennes et des plus importantes collections de joaillerie d’Allemagne et du monde.
La police fédérale se met aussitôt au travail tandis que vient l’heure de chiffrer la valeur du larcin. Interrogée sur la question, Marion Ackermann, la directrice du musée réouvert en 2006, indique qu’il est impossible d’évaluer le montant du butin. Ces pièces ne sont en effet pas à vendre et elles représentent avant tout une part essentielle du patrimoine saxon. Michael Kretschmer, le ministre-président du Land de l’époque renchérit en indiquant « qu’il est impossible de comprendre ou d’expliquer ce pays sans cette collection, qui a été créée au fil des siècles. » Cela n’empêche pas le quotidien allemand Bild de qualifier ce crime de plus important vol de l’histoire des musées en Allemagne et de se risquer à estimer le préjudice à près d’un milliard d’euros.
La conservation du musée, se gardant bien d’alimenter les plus folles rumeurs journalistiques, procède quant à elle à l’inventaire des pièces dérobées. Ce n’est pas moins de vingt-et-une parures entières ou partielles constituées de 4300 diamants qui ont disparu pour une valeur totale de 113,8 millions d’euros. Parmi les objets volés, citons une décoration de l’Aigle blanc polonais confectionnée par Christian August et August Gotthelf Globig, une broche ayant appartenu à la reine Amalie Auguste de Saxe par Christian August Globig ainsi qu’une épaulette agrémentée du « Blanc de Saxe », un diamant de 49 carats, par les joailliers Franz Diespach, Christian August Globig et Jean-Jacques Pallard. Cette dernière donnera son nom à l’enquête, connue désormais sous le nom de « l’affaire épaulette ».
Du côté des autorités, tous les moyens sont employés pour résoudre l’affaire. Les enquêteurs savent que les premières heures et les premiers jours suivant le vol sont cruciaux pour espérer retrouver les bijoux. Ils établissent ainsi rapidement le lien entre l’incendie du transformateur électrique et le vol dans la galerie, tous deux situés dans le même quartier. Les malfaiteurs ont profité de l’incendie qu’ils ont eux-mêmes provoqué pour détourner l’attention des autorités et couper momentanément les alarmes de la Grünes Gewölbe. Comme le confirment les images d’une caméra toujours active lors du vol, il n’a fallu que huit minutes aux coupables pour pénétrer dans le musée par une fenêtre après en avoir découpé les barreaux et pour détruire les vitrines aidés d’une hache à la lumière de leurs lampes torches. Une rapidité d’action qui suggère, là encore, une préméditation minutieuse. Deux agents du service de sécurité du musée, un temps suspectés d’être complices pour n’avoir pas alerté immédiatement la police, seront même interrogés.
Pour espérer obtenir des résultats le plus rapidement possible, la police allemande annonce offrir 500.000 euros à tout particulier permettant d’identifier les auteurs du vol ou de localiser le butin recherché. Interpol participe également à l’enquête en ouvrant une page internet entièrement consacrée au vol des bijoux. Malgré tous les efforts employés, aucune piste n'aboutit durant près d’un an jusqu’à ce que la police allemande lance une vaste opération dans un quartier de Berlin impliquant 1600 agents. Elle procède à trois arrestations et dix-huit perquisitions, mais toujours aucune trace du trésor… Dans les mois qui suivent, de nouveaux suspects sont arrêtés : c'est à présent six hommes, membres présumés du « clan Remmo », une famille de la pègre allemande d’origine libanaise, qui sont inculpés. Ils sont déjà connus pour avoir dérobé en mars 2017 une pièce en or de cent kilos au Bode-Museum de Berlin, équipés uniquement d’une brouette et d’une échelle. Dans l’affaire qui nous intéresse, les suspects purent être identifiés à l’aide de l’ADN retrouvé sur les barreaux de la fenêtre qu’ils avaient pris soin de recoller en repartant afin de maquiller leur méfait.
Ouvert en janvier 2022, le procès des six hommes touche à sa fin et le verdict devrait être connu dans le courant du mois prochain. À la suite de pourparlers entre le parquet et les avocats de la défense, la police a annoncé le 17 décembre dernier avoir retrouvé presque miraculeusement la majeure partie des bijoux, un peu plus de trois ans après les faits. Plusieurs pièces manquent cependant toujours à l’inventaire, notamment la broche de la reine Amalie Auguste.
Au-delà des conditions spectaculaires dans lesquelles les œuvres furent subtilisées et leur grande valeur pécuniaire, ce sont les dimensions patrimoniales et culturelles atteintes par ce crime qui ont beaucoup marqué les esprits. Comme l’avait précisé Roland Wöller, le ministre de l’Intérieur saxon en 2019, il s’agissait d’un vol s’en prenant « à l’identité culturelle de tous les Saxons », car la Grünes Gewölbe était aussi le symbole de la renaissance de Dresde, cet écrin d’architecture baroque presque entièrement détruit par les bombardements alliés meurtriers de février 1945 et privé de son trésor princier par l’occupant soviétique jusqu’en 1958. En outre, les événements de la Grünes Gewölbe eurent un écho tout particulier dans le monde des musées, la plupart d’entre eux renforçant leurs systèmes de sécurité, la surveillance des collections par le personnel de salle et les règles de confidentialité de leurs employés en contact avec les œuvres. En définitive, la morale de cette histoire est bien simple : gare à celui qui, en panne d’inspiration pour Noël, voudrait s’offrir un joyau des collections publiques…
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