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William Blake et la Divine Comédie










« L’imagination n’est pas un état ; c’est l’existence humaine toute entière »









Si William Blake a laissé derrière lui un héritage littéraire extraordinaire, rares sont les mots qui, comme ces derniers, peuvent se targuer de résumer en une phrase l’oeuvre et la vie d'un artiste. Peintre, graveur, mais surtout poète, William Blake était ce que l’on pourrait appeler un « original ». Sa sensibilité artistique en décalage avec son temps l’amena à emprunter les chemins pré-romantiques, où rêve et fantastique avaient la part belle, jusqu’à se voir confier, à la fin de sa vie, l’une de ses plus grandes commandes : les illustrations de la Divine Comédie de Dante Alighieri.


Si certains artistes découvrent leur vocation au gré des années et des rencontres, William Blake ne fut pas de ceux-là. Né en 1757, il ne fallut pas longtemps à ses parents pour se rendre compte que leur enfant avait un don. Le petit William, à dix ans seulement, compose des poèmes et dessine régulièrement. Aussi, alors tout jeune adolescent, Blake commence sa formation chez le graveur James Basire, et se destine à une carrière d’imprimeur, qui aboutit cependant rapidement sur une désillusion. Qu’importe, puisque son talent n’est pas là ; son talent est dans ses poèmes, qu’il n’hésite pas à illustrer lui-même.

Une telle virtuosité pourrait laisser présager une reconnaissance proportionnelle ; il n’en est rien. Pour la simple et bonne raison que William Blake, dans cette fin de XVIIIe siècle plongée dans le néo-classicisme, détonne. D’abord par sa personnalité ; affirmant être assailli de visions depuis l’enfance, il écrit des livres prophétiques, qu’on pourrait penser bien loin de la Raison des Lumières. Ensuite dans l’art : là où les artistes représentent des mondes antiques idéalisés, aux sentiments intériorisés et à la rigueur de composition inégalable, Blake laisse libre cours à son imagination où se bousculent visions fantastiques, drames et lumières fantomatiques. Alors que la scène artistique et littéraire le voit comme un illuminé, William Blake ouvre en fait la voie au romantisme de la première moitié du XIXe siècle, devenant l’archétype de l’artiste visionnaire encensé par le mouvement, qui doit traduire sa propre vision de la nature, traduire ce qu’il voit au plus profond de lui. Pourtant très isolé de ses compères, William Blake poursuit son art comme il l’entend, et ce jusqu’à la commande du peintre et imprimeur John Linnell, qui souhaite faire illustrer la Divine Comédie, poème écrit au XIVe siècle par Dante Alighieri, relatant son voyage surnaturel à travers l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis. 


Dommage, aquarelle et encre, 1795, Tate Britain

Does thy God O Priest take such vengance as this ?, gravure dans les Portes du Paradis, 1793

Quand Blake débute les illustrations de la Commedia à l’automne 1824, il a 67 ans. S’attaquer à ce monstre de la littérature médiévale n’est pas une mince affaire, mais l’artiste ne se laisse pas impressionner, s’étant déjà familiarisé avec l’oeuvre de Dante dans sa carrière. En effet, il avait déjà une affinité particulière avec le personnage d’Ugolin, tyran condamné à errer dans le dernier cercle de l’Enfer et à manger ses propres enfants affamés, qu’il avait représenté en 1793 dans Les portes du Paradis, ou encore en arrière-plan dans un portrait du grand Dante lui-même, commandé par William Hayley en 1800. John Linnell, grand admirateur du livre, sait qu’il peut avoir toute confiance en l’artiste, qui n’hésite d’ailleurs pas à se contraindre à apprendre l’italien pour capter l’essence du texte. William Blake s’attèle alors à la tâche, et réalise 102 esquisses au crayon ou à l’aquarelle et 7 gravures. La plupart se trouvent cependant inachevées ; William Blake meurt en 1827.

Malgré le caractère non-fini de ses dessins, Blake arrive à retranscrire toute la sensibilité et l’audace qui le suivirent tout au long de sa carrière. Il ne se contente pas d’illustrer les vers du poète italien de manière mimétique ; il les interprète, en offre sa propre vision. Il se sert de sa propre expérience de poète pour s’approprier le texte de Dante. Les images et les mots ne sont plus reflets les uns des autres ; il se complètent. William Blake continue de proposer des œuvres empreintes de mysticisme, comme on peut le voir dans le Tourbillon des Amants, qui montre Dante en témoin de la scène des amants condamnés à se faire emporter par le vent des enfers à jamais, couronné d’une source lumineuse irréelle.

Si William Blake est un artiste qui se distingue de ses contemporains par son ingéniosité, nombreuses sont cependant les influences que nous pouvons observer dans ces esquisses : ayant rencontré le sculpteur John Flaxman, il en puise son goût du contour. Un soupçon de Van Dyck, de Raphaël et de Michel-Ange est aussi visible à la fin de sa carrière.

Le Tourbillon des Amants, illustration du Chant V de la Divine Comédie, vers 1824, Birmingham Museum and Art Gallery

Nés à 500 ans d’écart, rien ne prédestinait l'artiste et le poète à se retrouver côte à côte dans les pages d’un livre. En effet, alors que Dante Alighieri était un fervent croyant, William Blake posait un regard très critique envers les religions institutionnalisées comme le christianisme. L’artiste ne pouvait d’ailleurs pas concevoir que Dante ne fût pas athée, ne comprenant pas que l’on pouvait croire que l’Enfer était une création de Satan et non de Dieu, et que la revanche fût un péché. Pour lui, l’Eglise manquait terriblement de compassion ; notion que l’on ne peut que difficilement, c’est vrai, appliquer au récit de Dante. Les illustrations et le texte se font donc les vecteurs de deux visions de la religion chrétienne, constituant un ensemble très riche.




William Blake fut donc un personnage des plus intéressants, de ceux qui osent casser les codes et s’en approprier d’autres pour créer une oeuvre singulière. Avec les illustrations de la Divine Comédie, il put déployer toute sa sensibilité poétique, artistique, mais aussi théologique, terminant ainsi sa vie sur un hommage final au poète médiéval, mais également à sa propre carrière, à ses propres idées, à son âme teintée d’imaginaire qui jamais ne faillît.


Raphaëlle Agimont



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